- Espagne
Voilà les plans de Javier Tebas
Alors que Javier Tebas, le président de la Ligue espagnole, a récemment annoncé qu'un match de Liga serait organisé aux États-Unis la saison prochaine, le championnat ibérique poursuit son processus d'internationalisation. Le tout dans l'optique de pouvoir regarder financièrement la Premier League dans le blanc des yeux d'ici quelques années.
En bon président de la Liga espagnole, Javier Tebas est un homme avec une vision. Celle d’une Europe du football où l’Angleterre ne serait plus le mastodonte économique indétrônable qu’elle a longtemps été. En 2017, il jouait même cartes sur table en affichant ses objectifs : « Nous voulons nous rapprocher de la Premier League. Je pense que d’ici dix ans, nous engendrerons des revenus quasiment similaires au championnat anglais. » Signe que les grosses têtes du football espagnol veulent croire que le rapport de force est appelé à s’inverser, doucement, mais sûrement, avec le rival britannique.
L’Internationale
Symbole de la politique expansionniste de la Liga, cette volonté de délocaliser un match de championnat dès la saison prochaine en terre américaine, et ce, pour les quinze prochaines années. Une décision qui constitue une grande première dans l’histoire de la Liga. « L’internationalisation de la Liga est le grand objectif de Tebas, souligne Carlos Canto, membre de l’association espagnole de marketing, directeur de la firme de consulting SPSG et spécialiste de l’économie du football ibérique. Et ce n’est pas un hasard s’ils ont choisi les USA. Entre autres facteurs, il y a la Coupe du monde 2026 qui se profile là-bas… » Ce match sur le sol américain n’est qu’une composante parmi d’autres de la stratégie menée par le football espagnol pour concurrencer l’Angleterre sur les plans économiques et marketing. Les exécutifs de la Liga avaient d’ailleurs déjà donné le ton en faisant jouer pour la première fois cette saison en dehors d’Espagne la Supercoupe au Maroc, à Tanger.
De fait, le football ibérique regarde de plus en plus vers l’étranger, comme la Premier League l’avait déjà si bien fait il y a quelques années. Si l’Amérique constitue une cible évidente, la Chine et l’Asie ne sont pas oubliées pour autant puisque, depuis 2016, la Liga programme certains de ses matchs à 13 heures pour qu’ils soient diffusés en prime time à l’autre bout du monde. « Ils misent même sur les deux marchés, l’américain et l’asiatique, poursuit Carlos Canto. Comme l’année dernière, on suppose que, cette saison, un Clásico sera joué à 13 heures pour satisfaire la demande du marché asiatique et un autre tard dans la soirée, pour être raccord avec l’audience américaine. »
Marchés émergents
La Liga a également lancé en 2016 un programme de développement à l’étranger, La Liga global network. Elle a ainsi ouvert une dizaine de bureaux à l’international aussi bien en Chine ou en Inde qu’en Afrique du Sud et compte sur un réseau d’une quarantaine de délégués internationaux pour valoriser son image, trouver de nouveaux partenaires commerciaux ou encore organiser des événements promotionnels. Entre autres exemples, elle a noué un accord avec VKontakte, l’équivalent russe de Facebook. « Notre représentant s’est rendu compte que se contenter de Facebook ne serait pas une bonne décision là-bas, étant donné que ce réseau social couvre beaucoup moins d’utilisateurs en Russie, explique Nico Garcia, un des pontes de la stratégie de développement de la Liga à l’international. Donc nous avons conclu un accord de promotion avec VK et nous sommes maintenant en mesure de communiquer avec notre public potentiel en Russie. »
Ces deux dernières années, le championnat espagnol a aussi signé des contrats de sponsoring régionaux, comme avec l’entreprise de paris sportifs SportPesa en Afrique du Sud, ou de diffusion de contenus en ligne comme avec MTN, une société de télécommunication iranienne. Plus récemment, la Liga a aussi vendu à Facebook ses droits de diffusion de 2018 à 2021 en Inde et divers pays d’Asie du Sud-Est, pour un montant estimé à 90 millions d’euros par Marca. Les 380 matchs de la première division de football espagnole seront ainsi disponibles gratuitement sur Facebook en Afghanistan, Bangladesh, Bhoutan, Inde, Népal, Maldives, Sri Lanka et Pakistan.
Droits TV gonflés
Résultat : à l’international, la valeur médiatique et économique de la Liga a explosé depuis que Tebas est à la tête de la Ligue espagnole. Alors que la Liga percevait moins de 200 millions d’euros par exercice en droits TV internationaux entre 2012 et 2015, le championnat ibérique est parvenu à obtenir la somme de 636 millions d’euros par saison de 2015 à 2018. De 2019 à 2024, cette somme atteint désormais près de 900 millions d’euros par an. De quoi chatouiller la Premier League, dont les droits TV internationaux s’élèvent à 1,2 milliard d’euros annuels jusqu’en 2019. Mieux : sur le plan national, l’Angleterre, confrontée à une forme de stagnation, a vu ses droits TV domestiques retomber à près d’1,7 milliard par saison de 2019 à 2022, ces derniers étant de 2,3 milliards de 2016 à 2019. A contrario, les droits TV domestiques de la Liga continuent de progresser, puisqu’ils atteignent une moyenne de 1,14 milliard d’euros par saison de 2019 à 2022, une hausse de 15% par rapport aux trois saisons précédentes.
Déracinement
Cette mercantilisation du championnat espagnol ne fait néanmoins pas que des heureux. Les supporters-actionnaires de clubs, réunis en Espagne au sein de la Fédération FASFE, s’inquiètent ainsi de la perte d’ancrage local de la Liga. « Face à l’annonce de l’organisation aux États-Unis de matchs de compétition de Liga, nous lançons un appel à tous les supporters pour nous mobiliser contre une telle aberration » , ont-ils ainsi dénoncé dans un communiqué. Même refrain du coté de l’Association des footballeurs d’Espagne, qui a carrément fait planer la menace d’une grève. Un combat légitime, mais probablement perdu d’avance. Car Javier Tebas sait précisément où il veut emmener sa Liga, qui tangue plus que jamais vers le modèle anglais. Quitte à ce que l’élève dépasse le maître, dans un futur pas si lointain.
Par Adrien Candau
Propos de Carlos Canto recueillis par AC, ceux de Nico Garcia issus de sportbusiness.com