- Ballon d’or 2024
Vinícius Júnior, maître du monde parallèle
Tout était prévu : le voyage à Paris, le beau costard, la grosse teuf dans la foulée. Pourtant, Vinícius Júnior n’est que second du Ballon d’or 2024 et son club du Real Madrid - sentant la désillusion se profiler - a décidé de tout annuler. Et puisqu’on avait aussi tout prévu, on avait un article pour le lauréat des bookmakers. Le voici, en guise de consolation.
Patron du Real Madrid auréolé en Liga et en Ligue des champions, Vinícius Júnior a remporté le premier Ballon d’or de sa carrière. À son arrivée dans la capitale espagnole, en 2018, personne n’imaginait qu’il serait celui qui prendrait la suite de Cristiano Ronaldo et Lionel Messi.
Il ne lui aura fallu que six ans pour récupérer ce qu’il était venu chercher à Madrid. Inutile de rembobiner jusqu’en juillet 2018 pour se souvenir que Vinícius Júnior transportait, lors de son passage de Flamengo au Real contre 45 millions d’euros, un sacré lot de doutes et de critiques. Depuis, l’ailier brésilien a mis tout le monde d’accord et trône désormais seul au-dessus de la concurrence au moment d’être sacré Ballon d’or 2024. Celui que son pays natal rêvait en futur Neymar a donc dépassé l’idole nationale en matière d’accomplissement individuel. Il paraît toujours aussi fluet, montre le même sourire Colgate après avoir fait trembler les filets et fait dégoupiller autant d’adversaires par les dribbles que par le vice, mais le gamin de São Gonçalo a pourtant bien grandi. Scruté sous tous les angles deux fois par semaine depuis six ans, il n’a jamais eu le droit à l’erreur et s’est forgé pour contourner les nombreux obstacles rencontrés en chemin.
Le besoin d’un électrochoc
« Il fait n’importe quoi. Frère, joue pas avec lui, la vie de ma mère. Il joue contre nous », chuchotait Karim Benzema à l’oreille de Ferland Mendy, en octobre 2020, en évoquant leur jeune coéquipier. La première période du Brésilien face au Borussia Mönchengladbach (2-2) était bien trop insuffisante, comme la majorité de ses rencontres depuis son arrivée dans la capitale espagnole. Malgré une envie débordante, les débuts n’étaient pas aussi enthousiasmants que les échos venus du Brésil. À peine majeur, l’ailier s’obstinait dans des dribbles rarement réussis avant de s’empaler sur tous les gardiens de Liga. Avec seulement trois buts en 31 matchs, toutes compétitions confondues, lors de sa première saison, il avait l’art de rendre dingues les supporters du Real, avec le mérite de ne jamais être devenu à leurs yeux un paria.
Vinícius a, en réalité, profité de la coupure liée au Covid pour se mettre au niveau physiquement. Rapide, mais manquant d’explosivité, il s’entoure alors d’un cuisinier et d’un préparateur physique pour trouver du gaz qui va permettre de faire exploser toutes les défenses d’Europe. La punchline de Karim Benzema a-t-elle servi de second électrochoc ? On ne le saura sûrement jamais, mais il est indéniable qu’une véritable transformation s’est effectuée à l’hiver 2021. Il laisse derrière lui les critiques de Clarence Seedorf et d’autres anciens de la Maison-Blanche, et même si les statistiques ne s’envolent pas aussitôt, son sourire commence à devenir éclatant.
Un travail de longue haleine
À l’aube de la saison 2021-2022, le Brésilien a compris que sa carrière commençait à prendre une autre tournure. Il inscrit cinq buts en autant de matchs de Liga et savoure dans les colonnes d’AS : « C’est le fruit d’un grand travail, de plusieurs heures passées à l’entraînement à Valdebebas afin d’améliorer ma finition. Depuis que je suis arrivé à Madrid, j’ai toujours dit que j’allais marquer à un moment beaucoup de buts à la suite. » Avec Karim Benzema, et sous la houlette d’un Carlo Ancelotti qui le comprend mieux que Zinédine Zidane ou Julen Lopetegui, il forme un duo qui met la main sur le championnat espagnol et la Ligue des champions et se présente enfin comme ce joueur capable de faire basculer les rencontres. Comparé à une carabine de foire par un journaliste de Marca à ses débuts, il n’est pas devenu un sniper, mais a bien réglé la mire.
Au fil des années, Vinícius n’arrête surtout jamais ses efforts, avec une séance d’éveil musculaire, l’entraînement collectif matinal et, parfois, des séances de renforcement musculaire au centre d’entraînement du club, d’après L’Équipe. La presse espagnole compare son travail à celui de Cristiano Ronaldo. Sous ses airs de jeune fantasque propres à tous les attaquants brésiliens, son hygiène de vie est parfaite, sans le moindre excès et en mangeant du poisson tous les jours malgré son désamour pour cet aliment. Vous avez dit « Neymar » ? Cela lui permet en tout cas de surmonter plusieurs blessures et d’en tirer du positif : « Mes deux blessures en début de saison (2023-2024) m’ont fait devenir un meilleur joueur. J’ai eu plus de temps pour réfléchir à mon jeu, sur tout ce que je pouvais faire pour progresser, mais aussi pour m’entraîner et travailler des aspects que je n’ai pas le temps de bosser d’ordinaire. Et je suis à mon meilleur niveau. »
Pas gêné par les pépins physiques, ni par la concurrence sur le front de l’attaque madrilène, il arrive même à s’émanciper de l’ombre de Karim Benzema. Avant d’aller chercher, comme un grand, une Ligue des champions 2024 marquée de son empreinte, le Carioca avait pris soin de remercier l’avant-centre français en retenant « des buts, des rires, des titres et, surtout, de l’apprentissage » plutôt qu’une phrase sortie dans un contexte brûlant. Victime d’insultes racistes dans plusieurs stades d’Espagne, celui que ses fans surnomment seulement « Vini » porte la cause sur ses épaules et devient un patron en dehors du rectangle vert. Avec ses larmes, en mars dernier, au moment d’évoquer ce combat social, le jeune Brésilien avait conquis les cœurs de ceux qu’il pouvait encore agacer par son chambrage et sa mauvaise foi une fois les crampons chaussés. Deux ans après l’un de ceux qui ont façonné son début de carrière, Vinícius est bel et bien le Ballon d’or du peuple.
Par Enzo Leanni, qui ne voulait pas bosser pour rien