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Vladimir Šmicer : « Je crois au destin »
Aujourd'hui président d'un petit club de football près de Prague, patron d'une agence immobilière et ambassadeur de Liverpool à travers le monde, Vladimir Šmicer prend quelques heures pour ouvrir la boîte à souvenirs. Que ce soit lorsqu'il faut évoquer le Slavia, la sélection tchèque, la France ou Liverpool, l'ancien milieu de terrain tchèque ne parvient pas à se défaire de son sourire. Un homme qui a eu de la chance, et qui en est conscient.
Ici, en Tchéquie, les gens t’appellent « Lucky Man » . Pourquoi ? C’est simple, dans tous les clubs où j’ai joué, on a gagné quelque chose. Au Slavia, j’ai remporté le championnat après 49 ans sans titre pour le club. Ensuite à Lens, on a gagné deux trophées, pour Lens c’était historique. À Liverpool, j’ai beaucoup gagné. J’ai aussi marqué des buts importants en sélection et les journalistes m’ont nommé « Lucky Man » . J’apportais de la chance à l’équipe. Je n’ai jamais été une grande star dans mes clubs, mais j’étais toujours le détail important pour mon équipe.
Il te plaît ce surnom ? Parce que la chance, ça se provoque.Bien sûr ! Je ne pense pas que je suis arrivé à ce stade grâce à la chance. Il faut travailler. Mais je l’aime bien ce surnom. C’est toujours mieux que « poisse man » . (Rires.)
C’est quand la dernière fois que tu as eu de la chance ? C’est facile, la semaine dernière il y avait le concert de Depeche Mode. Nous étions quatre amis à y aller et on buvait des bières. On faisait des pierre-feuille-ciseaux pour savoir qui devait payer les bières. Je n’avais jamais perdu jusqu’à la quatrième bière, où je me suis fait battre. Quand je suis allé chercher les bières, je suis parti avec tous nos verres vides. J’étais prêt à payer et ce que je ne savais pas, c’est que c’étaient des verres consignés. Alors, je n’avais rien à payer. Mieux, j’ai même gagné un peu d’argent ! (Rires.) Même quand je perds, je gagne.
Tu es né à Verneřice, comment se passait ta vie là-bas ? C’était un petit village à 80 km à côté de Prague. On avait 800 habitants avec une école, un beau terrain de foot et un petit terrain de hockey sur glace.
Pendant l’été, je jouais au foot, et l’hiver, au hockey. J’ai commencé le foot à cinq ans, car mon grand-père était le coach de l’équipe. Il n’y avait pas beaucoup de tranches d’âge. Alors, dès mes cinq ou six ans, je jouais avec des gens qui en avaient dix. Il m’a mis numéro 8 et je pouvais me cacher sur le côté. J’étais tellement petit que, quand je portais le numéro 8, ça faisait un 0 tellement le maillot était grand. Je ne touchais pas beaucoup de ballons, mais j’étais là pour faire le compte. La première année était compliquée, on prenait des 20-0, mais après, c’était notre tour de mettre ce score-là.
Il paraît que tu étais très bon élève. Mais tu faisais quand même quelques bêtises, non ?Comme tous les gamins. (Rires.) On a essayé les cigarettes, bien sûr. Dans notre petit village, on était toujours en vélo, alors on faisait des sprints, on se faisait des aventures. La plus belle, c’est qu’un jour, on a décidé d’aller dans la plus grosse ville du coin, à 24 km. On a fait l’aller et le retour, on était fatigués. Un de mes potes n’était pas bien et il n’y avait pas de téléphone. Les parents étaient fâchés qu’on rentre vers 23h. Ils ne savaient pas où on était et ils avaient peur. Bon, quand je suis rentré, ils m’ont confisqué le vélo et j’ai pris une ou deux baffes ! (Rires.)
Qu’est-ce que qui diffère entre tes entraînements de l’époque et ceux de ton fils aujourd’hui ?J’allais à l’entraînement une fois par semaine et pour le match. Sinon, je m’entraînais avec les gens de mon village. Mon fils qui joue au Slavia s’entraîne quatre ou cinq fois par semaine, mais il ne joue plus dans la rue. Il a les ordinateurs, les téléphones, nous on communiquait dans la rue. Maintenant il va à l’école, à l’entraînement et ensuite il se met devant ses écrans.
On apprend quoi dans la rue ? Lui, quand il arrive à l’entraînement, tout est déjà prêt et il suit les consignes de son entraîneur. À l’époque, on créait les entraînements avec les copains et on se faisait des situations. Parfois, quand je vois mon garçon, je me dis qu’il ne se fait pas plaisir, car il ne fait pas ce qu’il veut sur le terrain. Il écoute le coach et c’est tout. On était plus créatifs ! En Tchéquie, il n’y a plus assez de joueurs créatifs, techniques. Dans la rue, tu joues dans des petits espaces, il faut s’en sortir avec le ballon. On se pose souvent cette question en Tchéquie : « Pourquoi on n’arrive plus à sortir des joueurs créatifs ? » On n’a pas encore les réponses, mais celle-ci en est peut-être une. (Rires.)
Comment s’est passée ton arrivée au Slavia, à 14 ans ?On a déménagé à Prague, juste pour ça. Mes parents se sont dit : « Bon, si on reste ici, tu as moins de chance d’arriver au niveau où tu veux aller. »
C’était encore le régime communiste ici, et nous n’étions pas habitués à déménager. On passait quand même de 800 à un million d’habitants. Je voyais le métro pour la première fois. Mon père m’a emmené au Slavia pour leur demander si je pouvais jouer pour eux, tout simplement parce que c’était le stade le plus proche de notre nouvelle maison. C’était drôle car, quand nous sommes arrivés, le secrétaire nous a dit : « Mais, qu’est-ce que vous faites ici ? » Mon père lui a répondu : « Mon fils veut jouer pour vous. » « Quelqu’un vous envoie ? » « Non, on a déménagé de Děčín, et maintenant, on est ici et on a envie de jouer pour vous. » « Ok, on va faire une semaine d’essai. » Et j’y suis resté, rien de plus compliqué.
À ce moment-là, les choses sérieuses commencent au Slavia. On dit souvent que les footballeurs ratent leur adolescence. Tu as cette sensation ?Pour moi, il n’y avait que le foot. J’étais à l’école, c’était tranquille vu que j’étais assez bon élève. Entre les deux, c’est dur de trouver du temps. C’est vrai que souvent, on me dit que j’ai raté mon adolescence. J’étais jeune, je n’avais pas de copine… mais j’avais le foot et c’était tout ce qui me satisfaisait. Je n’avais pas besoin de plus. C’est sûr, aller boire des bières à 17 ou 18 ans, c’est sympa, mais j’étais déjà heureux avec ce que j’avais. Ma vie, c’était le foot. Je ne pense pas avoir raté quelque chose.
À quel moment tu as réalisé que tu pourrais devenir footballeur ?À 17 ans. Avant, j’étais remplaçant et physiquement, ils étaient bien plus prêts que moi. À 16 ans, j’ai pris quinze centimètres en six mois. J’avais mal au dos, je ne pouvais pas jouer pendant quatre mois, je ne pouvais même pas courir. J’étais obligé de travailler mon dos à la gym et le rendre plus fort. Tout d’un coup, j’allais plus vite, j’étais plus musclé, et avec la vision du jeu, ça commençait à bien marcher.
Tu commences à jouer pour le Slavia, puis tu remportes quatre ans plus tard le titre qui vous manquait depuis 49 ans. Ça faisait un bail ! On avait une belle équipe. C’était l’année où on a signé Poborský et il était la dernière pièce de cette magnifique équipe. Il y avait Radek Bejbel qui a joué à Lens, Jan Suchoparek, qui a joué à Strasbourg. On avait fait trois fois deuxième avant ce titre en 1996. Historiquement, le Slavia est une grande équipe. Sauf que quelques générations n’avaient jamais vu le club remporter un titre. Alors c’était la folie. En plus, c’était aussi l’année où on joue Lens et Bordeaux en Coupe de l’UEFA. C’était la première fois que je voyais Zinédine Zidane. Un festival. Le terrain était difficile, mais avec sa roulette, il nous roulait la tête ! (Rires.)
Lors de ce parcours en Coupe d’Europe, Lens te repère et te fait signer. Comment tu as géré ton arrivée dans un pays étranger, sans parler un mot de français ?Au départ, c’était difficile, je parlais un peu allemand, mais en France, ce n’est pas trop ça… Ils m’ont dit : « On préfère que t’essaies le français ou que tu ne parles pas du tout. C’est toujours mieux que l’allemand. » (Rires.)
Guillaume Warmuz m’a pris sous son aile, il m’a appris la langue. Avant les matchs, on était dans la même chambre, il m’aidait. C’était difficile, j’apprenais avec des bouquins, j’écoutais la radio, je regardais la télévision et j’avais un dictionnaire. Petit à petit, je me suis amélioré et sur le terrain, pas besoin d’avoir un grand vocabulaire. J’ai marqué lors des trois, quatre premiers matchs. Ils ont tous pensé que j’allais marquer à tous les matchs. (Rires.) Sauf que, physiquement, je me sentais mal. Les six premiers mois étaient compliqués. Au mois de décembre, le coach m’a donné deux semaines de plus pour me reposer, car j’étais cuit, avec l’Euro dans les pattes.
Tu avais quelle image de la France avant de venir à Lens ? Le père de ma femme avait joué pour Le Havre, pendant deux ans, alors il me parlait souvent de la France. Je savais que c’était un beau pays, avec de la bonne bouffe, du bon vin et du pastis. (Rires.)
Qu’est-ce que ce passage à Lens t’a apporté ?C’était le transfert parfait pour ma carrière. J’avais le support des dirigeants, de l’équipe, des supporters. Le foot, c’est tout pour eux. Je n’avais pas besoin du soleil, d’amusement, j’avais juste besoin de football. Le championnat français est meilleur que le championnat tchèque, j’apprenais à chaque match. Pendant trois ans, je suis devenu un meilleur joueur. Même en tant qu’homme, ça m’a donné plus de confiance. Peut-être qu’à Lens, il n’y a pas de soleil, il n’y a pas la mer, mais il y a le cœur.
Quel est le secret du titre de 1998 ?Je pense qu’au début de saison, on ne savait pas où on était. Petit à petit, une très belle atmosphère s’est installée dans l’équipe. Roger Lemerre nous donnait ce sentiment : « Être fier d’être lensois. » Parce qu’il était de la région. On a commencé à jouer en 4-3-3. Il savait qu’à l’extérieur, c’était très risqué. Il nous disait : « Si on est mauvais, on peut en prendre quatre. Même si je sais qu’on va perdre ce match, on ne perdra jamais notre philosophie. S’il faut retourner ce match, on va le retourner ! »
Quand tu étais jeune, tu étais supporter de Liverpool. Qu’est-ce que ça t’a fait de signer là-bas en 1999 ?C’était fou. Je me rappelle une anecdote. Pour un Noël, ma sœur avait demandé un jean, et mes parents étaient partis en Allemagne pour lui en acheter un. Comme elle ne s’y est pas rendue avec eux, ce jean était trop petit. Elle a commencé à pleurer et je lui ai dit : « Un jour, quand je serais un joueur de Liverpool, je t’achèterai un nouveau jean ! » Toute ma famille était au courant de cette histoire. Alors, quand elle est venue me voir à Liverpool, nous sommes allés faire les magasins et je le lui ai acheté. C’était un super moment. Je tenais ma promesse que j’avais fait vingt ans avant.
Avant la finale de Ligue des champions 2005, tu ne joues pas le dernier match de la saison contre Aston Villa à domicile et tu ne peux pas faire tes adieux à Anfield Road… Ça t’a blessé ?J’étais déçu… Benítez était assez honnête avec moi. Quand je suis revenu de ma blessure au genou en janvier, il m’a dit : « Vladi, je ne vais pas te donner un nouveau contrat, je préfère acheter un jeune pour travailler avec lui durant un nouveau cycle. »
Contre Aston Villa, c’était mon dernier match à Anfield après six ans passées là-bas. Nous étions sûrs de finir cinquièmes et eux sixièmes. Il n’y avait rien à jouer. Benítez avait laissé au repos Gerrard et Luis García, je pensais que j’allais jouer. Eh bah non. J’étais dégoûté ! C’est la première fois de ma carrière que je suis allé me plaindre à un coach. Je lui ai dit qu’il ne m’avait pas respecté pour ma dernière à Anfield, peut-être qu’il ne savait pas ce que ça représentait pour moi. Il m’a dit : « Je fais les meilleurs choix pour l’équipe, je dois faire jouer les meilleurs joueurs pour les finales qui vont arriver. »
Du coup, avant d’aborder la finale de C1, tu penses que tu ne joueras pas…Après notre discussion, durant toute la semaine avant la finale, j’étais tranquille. J’allais m’entraîner le matin et l’après-midi, j’allais jouer au golf avec les copains, petite bière, tranquille ! Et vendredi, quand il dévoile la liste, je me dis : « Oh putain ! Pourquoi j’ai fait ça ?! Ce n’était pas sérieux. » Samedi et dimanche, j’ai refusé les parties de golf.
Qu’est-ce que tu te dis quand Harry Kewell se blesse ?Je me sentais vraiment bien, car un jour avant la finale, je fêtais mes 32 ans. Quand Kewell s’est blessé, j’étais à l’échauffement avec Didi Hamman et Djibril Cissé. Je me disais : « Peut être que… » Il n’allait pas faire entrer Didi puisqu’on perdait déjà 1-0 et il ne pouvait pas faire entrer Djibril, car c’était trop tôt. C’était un peu bizarre, car quand Benítez m’appelle pour me faire entrer, je me dis : « Vraiment ? Moi ? Une semaine avant, tu ne me fais pas jouer dans un match qui compte pour rien et là, maintenant, tu veux me faire entrer ? En finale de Ligue des champions ? Allez d’accord, j’oublie ce que tu as fait la semaine dernière et j’y vais ! » (Rires.)
Il va falloir nous dire ce qu’il s’est passé à la mi-temps.Les premières cinq minutes, personne ne parlait. Ensuite, Benítez arrive, il était calme. Il était assez positif. Petit à petit, il nous redonnait la confiance en nous disant que même si on n’allait pas gagner, il fallait quand même sauver l’honneur. Il nous a dit : « On ne va pas ruiner tout notre beau parcours en finale alors qu’on a 40 000 supporters qui sont avec nous, marquez au moins un but. Et après, qui sait ? » Tout ce qu’il a dit, ça s’est passé. On marque ce premier but assez vite et quand je marque le second, ils devenaient nerveux. Je me dis : « Ça y est, ils sont cuits ! » Sur mon but, je sentais qu’il fallait mettre de la puissance puisque je ne suis pas du genre à marquer en dehors de la surface. J’ai de la chance, car Dida réagit un peu tard et quand la frappe part, Milan Baroš masque le départ du ballon. Il m’avait même dit qu’il l’avait touché, mais c’était complètement faux ! (Rires.)
Tu marques aussi le dernier penalty de ton équipe. Dans les grandes compétitions, les Tchèques ont remporté toutes leurs séances de tirs au but sans louper une seule tentative. Il y a un secret en Tchéquie ? Peut-être que c’est la peur de rater. Tu sais que, si tu rates, tu ne pourras peut-être pas rentrer en Tchéquie ! (Rires.) Dans les séances de tirs au but, tout le monde oublie qui marque. Mais tu te souviens toujours d’un joueur qui loupe.
Je me sentais bien dans ce match et je me suis dis : « Si Benítez te demande de frapper, tu réponds quoi ? J’ai 32 ans, j’ai presque 80 matchs en équipe nationale. Allez come on, c’est un moment où tu dois prouver ta maturité. » C’est la dernière fois que je touche un ballon avec le maillot de Liverpool, c’est une véritable chance. Il me demande si je veux frapper, je réponds que oui, et du tac au tac il me répond : « Ok, t’es quatrième frappeur ! » J’étais en train de me chier dessus. Lorsque Riise s’élance, je me dis que s’il marque, j’aurai le penalty de la victoire après. Je me disais : « Putain, si je marque, je cours là-bas. Non, là-bas, près des fans de Liverpool… » Je réfléchissais déjà où est-ce que j’allais célébrer la victoire. (Rires.) Sauf qu’il manque, mais Shevchenko aussi.
Tu as gambergé pour savoir où tu allais tirer ce penalty ?Je voulais frapper à droite, c’est mon endroit préféré. Sur le match, Dida avait sauté quatre fois à gauche. J’ai demandé à Milan Baroš : « Je veux frapper à droite, mais Dida est déjà parti quatre fois à gauche, il va certainement partir à droite… » Il me répond : « Choisis ton côté préféré, c’est tout. » Il m’a donné cette petite confiance qui m’a permis de ne pas douter. Et quand je le vois partir à gauche, c’est la libération. Après le loupé de Shevchenko, j’ai couru sur Jerzy Dudek, il avait arrêté deux penaltys et fait un match extraordinaire. Dans le match, quand il sort sa double parade face à Shevchenko, je me suis dit que la Coupe était pour nous. C’était le destin. S’il ne marque pas sur cette action, ce sera pour nous.
Dans ta carrière, il y a plein de petits signes du destin, comme si tout était écrit. Par exemple, avec le Slavia, tu as affronté Lens et Bordeaux, deux de tes futurs clubs, en C3. Tu crois au destin ?Il y a aussi ce match contre la Russie lors de l’Euro 1996. J’entre et je marque le but de la qualification pour les quarts dans les dernières minutes. Et c’était à Anfield. Je prends ça comme un signe, oui. Avec le communisme, nous n’avions pas de religion. Mais je crois au destin, oui. Quand je dois faire des choix, je fais souvent les bons. (Rires.) Je ne peux pas dire que je crois en Dieu, mais je crois qu’il y a quelque chose au-dessus de nous. Souvent, quand tu prends ta voiture, tu peux avoir un accident et mourir, ce n’est pas de ta faute. Tu ne peux pas contrôler ces choses-là. Parfois, les choses sont écrites. En revanche, on ne peut pas se reposer sur ça et ne rien faire. Mais je crois en ça.
Propos recueillis par Kevin Charnay et Gad Messika, à Prague