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Vladimir Manchev : « La Bulgarie n’est pas un pays raciste ! »
Meilleur buteur du LOSC en 2004, le Bulgare a gardé de son passage dans le Nord un « excellent souvenir » et un français presque parfait. À 42 ans, l'ex-buteur vit désormais à Sofia où il entraîne les équipes de l'académie de son club de cœur, le CSKA. Présent comme commentateur le 14 octobre dernier pour Bulgarie-Angleterre, l'ex-international revient sur les incidents racistes qui ont émaillé la rencontre, le sentiment de honte de ses compatriotes et dresse l'état des lieux d'un football en crise.
Comment as-tu vécu le match Bulgarie-Angleterre (0-6) et les dérives des supporters bulgares qui l’ont entaché (cris de singe et saluts nazis envers les trois joueurs de couleur de l’équipe, Marcus Rashford, Raheem Sterling et Tyrone Mings) ?J’étais au Vasil Levski et pour moi, ce fut une soirée très bizarre, marquée par deux interruptions de match. Dans le stade, l’atmosphère était normale, le match pas électrique.
De mon poste de commentateur pour la télévision nationale, je n’ai rien entendu, mais on savait que de tels incidents étaient possibles, car il y avait déjà eu des insultes racistes à destination de Sterling de la part d’un supporter bulgare à Londres. Toute la semaine précédant le match, la Fédération et les joueurs anglais en ont beaucoup parlé, ont évoqué les risques et leurs réponses éventuelles à des débordements, et je pense que cette communication a attisé la bêtise de certains supporters en réaction… Mais les actes de cette vingtaine de personnes stupides ne reflètent pas le comportement du reste des supporters bulgares. C’est n’importe quoi.
Les fauteurs de troubles sont partis à la mi-temps. Qui sont-ils ? Quel est ton point de vue sur eux ?Le fait qu’ils puissent entrer et quitter le stade tranquillement prouve qu’il y a eu un problème de la part des organisateurs ou de la sécurité. Malheureusement, à chaque fois, ce genre « d’ultras » vient pour provoquer, pourrir les matchs, qu’il s’agisse de l’Angleterre ou d’une autre équipe… Ces gens ont un problème d’éducation, et se servent du football comme vitrine pour attirer l’attention. C’est pourquoi je pense qu’il s’agit d’une question politique qui dépasse le football.
Justement, quelle a été l’opinion des gens à Sofia ? Ce n’est pas agréable pour les Bulgares, on a honte. Nous sommes fâchés contre ces gens car ils donnent une image faussée de notre pays. Ici, il y a beaucoup de gitans, de Turcs, d’Arméniens, des gens de toutes origines ou religions et cela ne pose pas de problème dans la société. La Bulgarie n’est pas raciste ! Ces personnes doivent être condamnées pour le mal qu’elles font à l’image de notre pays.
Selon toi, comment le foot bulgare en est-il arrivé à ces incidents ? Il y a eu des alertes, mais c’est la première fois que cela se produit à cette échelle. Lorsque j’étais joueur, je pense qu’il se passait déjà certaines choses, mais on en parlait moins. L’UEFA et la FIFA s’intéressaient moins au problème du racisme, il n’existait pas toutes ces campagnes importantes. Mais je le répète, durant ce match, ce ne sont que 20 personnes qui ont agi. Je trouve la réaction médiatique internationale exagérée car la xénophobie est une problématique générale de société qui n’est pas spécifique au foot bulgare.
Le Premier ministre, Boïko Borissov, a réagi très sévèrement après le match, a parlé de « honte » , annoncé qu’il rompait financièrement avec la Fédération et depuis, le sélectionneur, Krasimir Balakov, et le président de la Fédération, Borislav Mihaylov, ont été poussés vers la sortie. Que penses-tu de ces décisions ? Pour le président de la Fédération, c’est une accumulation. Il paye les événements du match et les résultats de la sélection depuis plusieurs années. Il n’a pas eu le choix. Le chef du gouvernement a considéré que le racisme et la xénophobie étaient inadmissibles. Et c’est bien. Des enquêtes sont lancées, des gens ont été arrêtés (16 suspects identifiés, 12 arrestations) et j’espère que les coupables seront gravement sanctionnés. Des mesures doivent être prises dans la lutte contre le racisme avec les organisations.
À la fin du match, Hristo Stoichkov, très ému, a demandé une exclusion de la Bulgarie des compétitions internationales. Quel est ton avis sur cette idée ?Stoichkov était très fâché. Il a parlé sous le coup de l’émotion, mais je pense que c’est une sanction extrême, démesurée. Exclure la Bulgarie de toutes les compétitions n’est pas une solution *. On ne doit pas pénaliser une nation pour les erreurs d’une vingtaine d’individus. Nous devons créer des lois strictes – c’est le rôle des politiques ! – et les supporters les respecter pour venir aux matchs faire la fête.
Existent-ils les mêmes problèmes dans le championnat bulgare ? Il y a eu des condamnations de la part de l’UEFA pour des matchs européens, mais on ne peut pas dire qu’il se passe grand-chose lors du championnat. D’autant que tous les effectifs des grandes équipes de Bulgarie sont composés de personnes de couleur ou d’origines différentes et je n’ai pas souvenir d’insultes ou d’actes particuliers.
En Bulgarie, les médias n’ont parlé que de ces incidents après la rencontre ?Pas du tout, ils ont beaucoup parlé du résultat catastrophique. C’est une période de grande frustration autour de la sélection et du football en général. Il va y avoir des élections à la Fédération et tout le monde espère que ça va bouger, afin d’améliorer l’image et les résultats de notre sport.
Comment juges-tu le niveau des clubs bulgares ? Notre championnat est dominé par Ludogorets depuis huit ans et c’est difficile de lutter, car ils ont beaucoup d’argent grâce à leur propriétaire (Kiril Domuschiev), jouent l’Europe régulièrement et écrasent la concurrence. Les clubs historiques peinent. Le CSKA Sofia, club le plus titré de l’histoire, n’a plus été champion depuis 2008, le Levski depuis 2009… Sur les dix dernières années, nous n’avons remporté qu’une Coupe, en 2016. J’étais d’ailleurs entraîneur avec Hristo Yanev, l’ancien joueur de Grenoble.
Lorsqu’on évoque la Bulgarie en France, on se rappelle forcément novembre 1993. Or, depuis 2004, la Bulgarie n’a plus disputé de compétition internationale…1993, c’est très loin pour nous…
Et je pense que la France devrait nous remercier car depuis cette défaite, vous avez remporté beaucoup de titres. On souffre du fait que depuis Berbatov, nos joueurs ne jouent plus dans les grands clubs ou dans les grands championnats. Le niveau général du football bulgare est devenu moyen, car dans les académies, on a mal travaillé… Pour entraîner des jeunes, je constate qu’il y a toujours du talent, mais pour qu’il puisse se voir en sélection, il y a un vrai travail de fond à faire. La Fédération doit revoir son organisation, la formation des entraîneurs et apporter de la confiance à nos espoirs. Nos grandes équipes comptent trop de joueurs étrangers, ce qui empêche nos jeunes de faire leurs preuves. Ça va être difficile, mais on ne désespère pas.
Propos recueillis par Ken Fernandez
* La commission de discipline de l'UEFA examinera le 28 octobre le cas de la Bulgarie.