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Violences policières : les footballeurs s’en mêlent enfin
Les violences policières sont devenues un sujet de société, que cela plaise ou non au gouvernement. Au point qu’à la suite de l’agression d’un producteur de musique dans le 17e arrondissement par des membres des forces de l’ordre, des joueurs de football, cette fois-ci, se sont exprimés sur les réseaux sociaux, jusqu’à interpeller le ministre de l’Intérieur. Est-ce une prise de conscience de leur rôle ou juste un émoi passager ? Les Bleus vont-ils devenir des garants de la République autrement qu’en entonnant la Marseillaise ?
Les images de l’enquête de Loopsider ont très vite tourné en boucle sur les réseaux sociaux, surtout dans un contexte accaparé par le projet de loi de sécurité globale et l’évacuation sans ménagement, et avec brutalité, des exilés place de la République. L’extrême violence qui s’y affichait sans fard, captée par de nombreuses caméras et smartphones de voisins, n’a pour une fois pas nécessité l’usage de la VAR pour que des joueurs français prennent la parole via leur compte officiel. Beaucoup d’observateurs ou de figures engagées leur avaient reproché leur frilosité face à ce problème. Surtout au regard de l’origine culturelle, sociale et géographique de la plupart d’entre eux. Les rares exceptions lors des mobilisations autour de l’affaire Adama Traoré ne masquaient pas le décalage avec la situation aux States où, pour le coup, sportifs et sportives s’étaient largement impliqués.
« Mal à la France »
Antoine Griezmann a, de la sorte, reposté la vidéo en question avec un cinglant « J’ai mal à la France », avec Gérard Darmanin en ligne de mire d’un beau @. Bien loin de la bévue de la blackface, voilà que l’attaquant du FC Barcelone monte au créneau de manière pour le coup directe. Son propos inhabituel, presque clivant, révèle finalement le malaise d’une partie grandissante de la population.
J’ai mal à ma France ! @GDarmanin https://t.co/78HRfoyqhA
— Antoine Griezmann (@AntoGriezmann) November 26, 2020
Le fait d’interpeller directement un responsable politique, qui plus est au gouvernement, détonne pour un homme en bleu censé représenter presque institutionnellement la nation sur les pelouses. Des diplomates qui lui ont offert une fort belle jolie seconde étoile. De fait, cette parole participe d’un phénomène récent dans l’Hexagone. Des franges de plus en plus conséquentes de la société réagissent sur ce sujet. Il était resté pourtant longtemps un angle mort collectif ou juste considéré comme une obsession de groupuscules ou d’intellectuels « d’Ultra_gauche » , d’associations banlieusardes ou d’avocats « anti-flics » . Le tweet de Griezmann indique bien à quel point une bascule s’opère, pour que même ce foot et ces Bleus si sages, si lisses, sortent de leur réserve.
Défenseur des droits ?
Surtout qu’il n’est pas le seul. Samuel Umititi a lui aussi également décoché son tweet, certes un peu plus humaniste que partisan : « L’être humain… est capable de faire des choses inhumaines ! » Il n’empêche, on n’avait pas l’habitude de voir des crampons tricolores évoluer sur pareil terrain, qui peut sentir facilement le soufre de la division ou faire fuir les sponsors. Plus étonnant reste que l’argument le plus politique a été dégommé par leur cadet, Jules Koundé : « Contre cette frange de policiers qui outrepasse grandement ses droits en tabassant, en tuant même parfois. » « Nos caméras sont nos meilleures armes ! » Il ne s’agit plus seulement de s’indigner du sort réservé à l’un de nos concitoyens par des hommes qui ont abusé de leur fonction. L’international espoir du Séville FC intervient pour souligner les risques, concrètement observables, portés par une loi qui vient d’être votée amplement à l’assemblée. Pour cela, il emploie des arguments et un vocabulaire d’habitude consultables sous la plume ou les comptes de François Ruffin ou David Dufresne.
Faut-il en déduire que nos stars du ballon rond vont jouer davantage à l’extérieur ? Ces quelques joueurs donnent au moins l’impression d’accepter un nouveau rôle. Ou plutôt de ne plus limiter leur fameuse « exemplarité » à poster des messages consensuels sur la nécessité de travailler à l’école ou en faveur des soignants, à juste titre, personne n’en doute. Mais aussi, dans la foulée des minutes de silence après l’assassinat de Samuel Paty dans les stades, ils illustrent en acte l’importance de la liberté d’expression, d’user pleinement du droit à s’indigner. Dans une démocratie, les valeurs républicaines se défendent également ainsi, et pourquoi pas depuis son statut de capé. Pour mémoire, l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 dispose que « le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression. » Sans forcement avoir besoin d’attendre l’arbitrage vidéo de l’IGPN…
Par Nicolas Kssis-Martov