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Vinícius Júnior, les cris et le désespoir
Victime de racisme pour la énième fois, Vinícius Júnior a mis la Liga face à ses responsabilités. Sans grande réaction.
C’est un triste refrain, répété week-end après week-end en Espagne et que l’on évoquait en septembre dernier, déjà. Celui qui, loin de Santiago-Bernabéu, émane de milliers de supporters aveuglés par leur bêtise : « Vinícius mono ! Vinícius mono ! » (Vinícius sale singe, en français). En face, Vinícius Júnior, 22 ans. Un gamin dont le seul crime est de dribbler et de régaler les spectateurs du monde entier. Alors ce dimanche, ce même gamin a décidé de dire stop. À un quart d’heure du terme de ce Valence-Real Madrid sans saveur à Mestalla, le Brésilien a dégoupillé en répliquant face à la Grada Mario Kempes, la tribune ultra valencienne.
[🎞️VIDEO] 🇪🇸 #LaLiga ✋ Le match s'interrompt après que Vinicius semble dénoncer des insultes venues du public… https://t.co/Dpg1dkIGsm
— beIN SPORTS (@beinsports_FR) May 21, 2023
L’arbitre Ricardo de Burgos Bengoetxea interrompt alors le jeu, Carlo Ancelotti propose même à son joueur de quitter la pelouse, mais ce dernier refuse, certainement par fierté (les Merengues s’inclinent 1-0). Comme un mauvais clin d’œil, il finit même expulsé en fin de match, à la suite d’une bagarre dont il a une nouvelle fois été la victime. Et si au terme de la partie, les communiqués de plainte et de soutien se sont succédé, force est de constater que l’Espagne a une nouvelle fois fermé les yeux sur ce phénomène devenu gangrène dans ses enceintes, mais visiblement toléré parmi les plus hautes sphères.
Balotelli 2.0
Ces multiples incidents visant Vinícius Júnior se sont d’ailleurs transformés en cas d’école de l’autre côté des Pyrénées. Un macabre jeu, dont l’objectif est de déstabiliser le joueur par les pires des chants. « Ces insultes ne sont pas vraiment racistes, c’est simplement pour le déstabiliser. Comme les Italiens avec Balotelli », pouvait-on alors lire sur les réseaux sociaux. L’exemple de la mentalité généralisée au sein du football ibérique, dont le « clubisme » et l’euphorie provoquée par un match permettent à une poignée d’individus d’allégrement dépasser les limites. Dans son rapport publié la nuit de ce Valence-Real Madrid, De Burgos Bengoetxea n’a pourtant pas hésité à évoquer le caractère raciste des cris émanant des travées de Mestalla : « À la minute 73, un spectateur de la tribune sud “Mario Kempes” s’est adressé au joueur n°20 du Real Madrid CF, Monsieur Vinícius José Paixão de Oliveira Júnior en lui criant : “sale singe, sale singe”. Pour cette raison, le protocole antiracisme a été activé, informant le délégué de terrain de faire préalable, via le système de sonorisation. Le match a été arrêté jusqu’à ce que ladite annonce soit diffusée. » Noir sur blanc, tout est écrit, tout est dit.
Car si l’administratif travaille, rien de concret n’en découle. On peut alors penser aux joueurs de Valence dont le premier réflexe – comme souvent – a été d’invectiver Vinícius Júnior. Un manque de solidarité criant, certainement involontaire, mais qui aurait dû offrir à José Luis Gayà, le capitaine valencien, l’occasion de porter un sérieux coup de massue à ses quelques supporters. Malheureusement, la « réputation » de Vinícius a pris le pas sur tout discours raisonné. À l’image des scabreux arguments avancés pour décrédibiliser Mario Balotelli en Italie, le Brésilien paierait visiblement sa réputation de dribbleur, de provocateur, voire de râleur. En résumé : rien qui justifierait ce dédain entre collègues de ballon.
Racisme institutionnalisé
Ce ras-le-bol, Vinícius Júnior l’a résumé en une seule phrase dans son communiqué de circonstance : « Le racisme est toléré en Liga. » Pour preuve, les plus grands soutiens auront émané de l’étranger. Kylian Mbappé, Rio Ferdinand et même le chef d’État brésilien, Lula, exhortant la Liga « à prendre des mesures fortes et définitives », ont volé au secours de l’attaquant madrilène. En Espagne ? Pas grand-chose. Ou plutôt, une (énième) sortie catastrophique de Javier Tebas, président de la Liga Nacional de Fútbol Profesional. En réponse au feu, le dirigeant a préféré y ajouter de l’huile, au détour d’une déclaration hors sol : « Cher Vinícius Júnior, avant de critiquer la Liga pour ses prises de position contre le racisme, il aurait fallu que vous fassiez le premier pas. Vous ne vous êtes jamais présenté aux deux réunions dont vous avez demandé l’organisation. Donc au lieu de vous faire manipuler au niveau de votre communication, tâchez de vous renseigner correctement sur ce que fait la Liga pour combattre le racisme. » Totalement déconnecté du bon déroulement de son championnat, Tebas se casse une nouvelle fois la figure dans son costume de VRP prêt à tout pour défendre son produit, pourtant pourri de l’intérieur.
Une absence de courage terrifiante, dont la Liga a visiblement fait son credo, six mois après les attaques contre le même Vinícius Júnior par des supporters de l’Atlético ou les accusations de Mouctar Diakhaby (de Valence justement) à l’encontre de Juan Cala, joueur de Cadix, l’an dernier. La meilleure manière de donner raison aux dix, cent ou mille mal-éduqués des stades locaux. Constamment pointées du doigt, l’Italie et la Serie A paient cher pour apprendre de ce fléau, au point d’en être devenues cliché. Désormais, ce racisme latent semble doucement s’ancrer dans le football – voire la société – espagnol, sans que les instances ne daignent se l’avouer ou le reconnaître. Et à l’heure où les extrêmes de tous bords gagnent du terrain en Europe, il n’est pas trop tard pour réagir. Afin de ne plus parler que de terrain justement.
Par Adel Bentaha