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Vincha : « Il n’y a rien d’inné dans le football »
Voyageur, chanteur, nostalgique des grandes heures de l'AJA, Vincha revient avec réalisme sur les concessions et les efforts qu'implique une carrière, et ne manque pas de rappeler les parcours singuliers de Kool Shen et Sefyu.
Quand tu évoques le football et la musique, tu parles de passions dévorantes. Peux-tu t’expliquer ?Quand tu veux devenir footballeur, tu ne te poses pas la question de savoir si un autre boulot pourrait t’arranger. J’ai vu des gars arrêter de chercher des emplois parce qu’ils étaient persuadés qu’ils deviendraient des stars du foot. Tu retrouves ça aussi dans la musique. Tu rencontres des personnes qui ont déjà fait trois albums, qui ne percent pas, mais qui continuent. Je pense que la passion est trop forte, tellement forte qu’aucun autre job ne fait le poids.
Quelle serait la recette pour réussir ?Il n’y a que la persévérance qui paye, sinon tu n’as aucune chance. Sur 1000 passionnés, deux vont peut-être vivoter de cette passion et un dernier en vivre vraiment. Les autres se contenteront de jouer en amateur.
Tu mets le facteur « efforts » très en avant ?Pour ceux qui parviennent à se faire une place, c’est beaucoup de galère et de travail qui ne portent jamais vraiment leur nom. C’est marrant comme on minimise toujours les succès du footeux ou des musiciens. On dit souvent que c’est du génie, que c’est inné, que c’est un truc un peu mystique. Pourtant, il n’y a rien d’inné : c’est du travail dans les deux cas, en football comme en musique. Sauf qu’à un moment, il y en a un plus obstiné que l’autre.
L’obstination peut durer des années. Un grand nombre perce tard, notamment dans la musique…Il arrive effectivement de percer tard, surtout dans la musique, mais une carrière peut aussi s’arrêter très vite. Vous pouvez vous retrouver au cœur d’une espèce de buzz à un moment donné, puis disparaître de la circulation en trois secondes. C’est un drôle de choix, une drôle de filière. Kool Shen a failli devenir footballeur professionnel avant de finalement choisir le rap. Et ce n’est pas le seul.
Sefyu jouait par exemple à Arsenal !Le cas de Sefyu est intéressant. Le cliché voudrait que, quand tu viens d’une cité, les deux seules filières dans lesquelles tu peux réussir soient le foot et le musique. J’ai étudié à la Sorbonne pendant six ans. Là-bas, j’ai vu des petits gars et des petites nanas issus de familles qui ne gagnaient pas un rond. Et bien, à force de bourse et de persévérance, ils ou elles ont réussi leurs études et sont aujourd’hui journalistes ou chercheurs. Mais souvent, malheureusement, on préfère mettre en avant des carrières fantastiques dans le foot ou la musique, ça fait de belles histoires d’intégration.
Selon toi, faut-il inciter les jeunes à s’orienter professionnellement vers le football ?Si un jour j’ai un fils, je le laisserai faire ce qu’il voudra et je l’accompagnerai. Mais je pense qu’on ne peut pas inciter un jeune à lui dire : « Vas-y, fais du foot, fonce, il y a une place pour toi. » Ce ne serait pas rationnel. Choisir cette voie, c’est bien, mais il faut avoir un background culturel suffisamment fort pour pouvoir se démerder en cas de pépin. À une époque, beaucoup pratiquaient le football et la musique, à haute dose. Aujourd’hui, professionnellement, la plupart d’entre eux ne font ni l’un ni l’autre.
Vincha, Si Si La Famille, album disponible (Zamora Productions)
Propos recueillis par Romain Lejeune