- Nos jours Euro
- Épisode 4
- Euro 1996
Vincent Guérin : « L’Euro 1996 a été la meilleure préparation pour la Coupe du monde 1998 »
L’Euro 1996 est coincé entre deux des pages inoubliables de l’histoire de l’équipe de France : le traumatisme de novembre 1993 contre la Bulgarie et la victoire du Mondial 1998. Malgré la demi-finale en Angleterre et cette colonne vertébrale championne du monde déjà prête, Vincent Guérin détaille les derniers réglages qu’il manquait.
Vous faites partie des huit joueurs présents lors du fiasco de France-Bulgarie 1993 et à l’Euro 1996, comment vous êtes-vous relevés ?
Ça met du temps. Je n’ai pas participé aux qualifications à l’Euro dès le début, je n’étais pas encore dans les plans d’Aimé Jacquet. J’étais très performant avec le Paris Saint-Germain, tous les médias citaient mon nom, mais je n’étais jamais sélectionné. Je me souviens d’un titre de L’Équipe : « Et Guérin alors ? » Entre France-Bulgarie et mon retour dans le groupe, il s’est passé plus d’un an, donc je pense que tout le monde était passé à autre chose. Peut-être qu’ils en avaient déjà discuté auparavant, mais la volonté principale est surtout de se servir de l’Euro 1996 pour laver l’affront.
Quand vous revenez, en avril 1995, les résultats des Bleus ne sont pourtant toujours pas bons.
Les qualifications étaient effectivement très mal barrées pour l’équipe de France. Il y avait des résultats très moyens face à des adversaires bien plus faibles : l’Azerbaïdjan (victoire 0-2), Israël (0-0), la Pologne (0-0)… Ça serait prétentieux de dire que le retournement de situation s’est passé quand je suis arrivé, mais c’est un peu le cas. (Rires.) Je reviens pour France-Slovaquie où on gagne 4-0, je suis plus ou moins décisif sur les quatre buts et je marque le dernier d’une manière que je n’ai jamais refait dans ma carrière, une reprise de volée en pleine lucarne. Il faut dire que c’était tout ou rien, on était au pied du mur. J’ai ressenti une grosse pression autour de cette équipe, avec beaucoup de crispation. Je pense que c’était, de manière inconsciente, surtout en interne que ce stress montait, mais la presse et les spectateurs n’ont pas aidé, ça gazouillait pas mal. Je crois que la chose qui nous a fait oublier les fantômes de France-Bulgarie est surtout qu’on soit un groupe issu à quasi 100 % du championnat de France. On était plusieurs Parisiens, on sortait d’une victoire en Coupe des coupes et de quatre demi-finales européennes consécutives.
Vous n’avez pas souffert des absences de Jean-Pierre Papin, Éric Cantona et David Ginola ?
Non, c’était des joueurs exceptionnels, mais on a réussi à prendre la relève parce qu’on avait quand même un groupe expérimenté en club. Le capitanat a souvent changé de bras, entre Laurent Blanc, Didier Deschamps, Marcel Desailly, moi-même parfois. Chacun a eu des arguments intéressants. C’est aussi la compétition qui fait éclore Zinédine Zidane. Il a eu un accident avant l’Euro, donc il a mis un peu de temps à rentrer dans ses matchs. C’était un jeune plein de talent, et de malice, mais on est encore loin du Zizou de 2000 ou 2006. Le duo avec Youri Djorkaeff commençait à se mettre en place, on sentait déjà ce qu’ils pouvaient faire. Défensivement, on avait une bonne assise, c’est peut-être devant qu’on a un peu pêché.
À titre individuel, que ressent-on lors de sa première compétition internationale ?
C’est évidemment particulier, mais j’avais déjà un certain âge, donc l’expérience qui va avec pour ne pas trop m’éparpiller. Je retiens surtout que l’Euro a été une aventure incroyable qui s’est mal terminée. On aurait pu être champions d’Europe. On avait l’équipe pour ça et, en plus, on avait battu les Allemands en match amical avant la compétition. On était dans une position un peu ambiguë, car on n’était loin d’être favoris, mais on se devait quand même de redorer le blason de l’équipe de France.
Après la victoire initiale contre la Roumanie (1-0), le match nul contre l’Espagne (1-1) vous met en mauvaise posture. Y avait-il une grande appréhension dans le vestiaire au moment de retrouver les Bulgares où la victoire est primordiale ?
Le ouf de soulagement de se qualifier et de commencer par une victoire contre la Roumanie, qui sortait quand même d’un quart de finale à la Coupe du monde 1994, était tellement fort qu’on s’est peut-être un peu relâchés. Tous les matchs ont été très, très durs, car toutes les sélections qu’on a affrontées étaient à leur sommet, il n’y avait pas de petites équipes. Notre nul contre l’Espagne dans les dernières minutes nous a mis sur les nerfs. Pour autant, je n’ai pas senti beaucoup de pression avant la Bulgarie et on avait un groupe si fantastique qu’on a réussi à gagner (3-1) et à chasser nos démons.
À l’issue de cette qualification en quarts, Jacques Chirac félicite l’équipe de France via un communiqué solennel. Ça symbolise le manque de certitude autour de vous avant la compétition ?
C’était le ressenti de tout le monde après 1993. Surtout que les qualifications très moyennes dont je parlais n’ont pas aidé à refermer la plaie. Certains ont cru que l’équipe de France ne verrait pas l’Euro 1996, alors sortir de la poule en étant premier était presque impensable. Mais ça ne sortait pas de nulle part, il y avait une super ambiance dans ce groupe, avec des joueurs exceptionnels qui se sont soudés avant la Coupe du monde 1998.
Lors de la séance de tirs au but face aux Pays-Bas en quarts, Seedorf manque sa tentative juste avant vous. Qu’est-ce qui se passe dans votre tête à ce moment-là ?
En m’avançant vers la surface, j’ai vu Anfield tout orange, il y avait très peu de supporters français, puis je suis arrivé devant Edwin van der Sar qui prenait énormément de place. J’y suis allé avec confiance et sérénité, j’étais déterminé. Pendant un penalty, il faut se poser le moins de questions possible, j’ai tiré en force et en hauteur pour être certain de marquer.
En demi-finales, contre la Tchéquie, les absences de Didier Deschamps, blessé, et de Christian Karembeu, suspendu, ont-elles été préjudiciables ?
C’est sûr et certain, mais je pense qu’on a surtout eu un manque de fraîcheur athlétique. On a terminé sur les rotules, on avait fait trop d’entraînements entre les matchs. Il y avait aussi une fatigue mentale parce qu’on n’a jamais eu de temps de repos avec nos familles. C’est une érosion qui s’est faite au fil du temps. La préparation a commencé mi-mai et notre demi-finale était fin juin, on a passé un mois à bloc, sans voir nos proches. On a eu trois premiers matchs compliqués, puis on est allé en prolongation contre les Pays-Bas et la Tchéquie, ça nous a bouffé nos cartouches. Je pense que ça a aidé Aimé Jacquet au moment de dresser le bilan des choses positives et négatives. Le laboratoire Euro 1996 a été, à tous les niveaux, la meilleure préparation pour la Coupe du monde 1998. Je n’y étais pas, mais je pense que le groupe a sûrement été dans de meilleures dispositions physiques et psychologiques pour aller au bout.
Après le tir au but fatal raté par Reynald Pedros, quelle est l’ambiance dans le vestiaire ?
Il y avait une grosse déception… On était très, très déçus, car on s’était pris au jeu et on se voyait jouer cette finale, c’était une désillusion. Personne ne croyait en nous, mais on avait réussi à passer les échelons. Surtout qu’on perd aux tirs au but, donc on n’a pas l’impression d’avoir vraiment perdu. Il y avait aussi la fatigue, on était lessivés. Une petite finale aurait été de trop, car on avait hâte de rentrer à la maison et de retrouver nos proches.
En revenant en France, vous avez senti un nouveau regard de l’opinion publique sur votre équipe de France ?
On a regagné le cœur des Français, on a réhabilité le coq dans la vie des Français. Je pense qu’on a surtout permis de redonner de l’espoir, car il n’y en avait plus du tout après France-Bulgarie 1993.
À lire :
- Nos Jours Euro, épisode 1 : Jean Wendling et l’Euro 1960.
- Nos Jours Euro, épisode 2 : Luis Fernandez et l’Euro 1984.
- Nos Jours Euro, épisode 3 : Jocelyn Angloma et l’Euro 1992.
Propos recueillis par Enzo Leanni