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Villarreal : une soirée gravée dans la Céramique

Par Anna Carreau, à Vila-real
7 minutes
Villarreal : une soirée gravée dans la Céramique

Bien avant le coup d’envoi, les supporters de Villarreal avaient sorti le grand jeu pour ce quart de finale exceptionnel face au Bayern Munich. Des efforts que leur ont bien rendus les joueurs durant les 90 minutes suivantes, en annihilant l’une des meilleures équipes d’Europe, pour permettre au Sous-Marin jaune de s’offrir l’une de ses plus belles victoires en Ligue des champions.

À exploit exceptionnel, circonstances exceptionnelles. L’antre jaune trônant au milieu de Vila-real avait déjà réussi un premier coup de maître, quelques jours avant un quart de finale historique contre le Bayern Munich : vendre absolument toutes les 23 500 places que contient l’Estadio de la Cerámica. La veille du match il restait très exactement trois places, jusqu’à ce qu’à 17h30 les derniers acheteurs déboursent un peu plus de 300 euros pour s’offrir les billets d’un match qu’ils n’imaginaient sans doute pas aussi légendaire 24 heures après. Au même moment, devant le stade, le président Fernando Roig parade alors avec quelques officiels bavarois, saluant au passage des supporters venus tâter le cuir sur la place devant le stade. Dans le calme d’une ville travailleuse, où beaucoup s’entassent sur les routes périphériques à la sortie des usines de céramique, la commune de la banlieue sud de Castelló de la Plana ne semble pas encore prête à s’embraser pour un quart de finale à l’affiche haletante. Seuls certains maillots rouges du Bayern déboulant dans les petites rues de Vila-real et des camions venant approvisionner les bars environnants tendent à le rappeler.

Le calme avant la tempête

Au petit matin, les premiers maillots jaunes s’affichent sur le dos des enfants, et les drapeaux à la gloire du club local s’étendent sur les balcons. Mais personne ne parle du match, par superstition, ou par stress. Les 5000 supporters bavarois ayant fait le déplacement auront eux beaucoup moins de retenue au moment de prendre d’assaut les quelques bars de la ville et d’enquiller pinte sur pinte dès midi. Les Groguets se font plus discrets, se contentant pour certains de filer à la boutique du club pour acheter l’écharpe du match. Eymeric, supporter français ayant fait le déplacement dans la nuit depuis Chambéry, en prend même trois. « J’ai un de mes amis qui est supporter du Bayern, on ne pensait pas qu’on allait un jour s’affronter », témoigne celui qui a déjà dû sécher les larmes de son frère lors des huitièmes de finale, étant supporter de la Juventus. Alors que le vent rafraîchissant laisse place à un soleil insistant, Vila-real s’éveille peu à peu. La petite ville de 50 000 habitants voit sa nuée de maillots jaunes prendre tous la même direction : le centre d’entraînement. Peu habitués aux rassemblements d’avant-match, les supporters du Sous-Marin jaune avaient mis les petits plats dans les grands, en organisant tout un cortège qui suivrait le bus jusqu’au stade. Les premiers supporters arrivent au compte-gouttes sur les coups de 18 heures, se faufilant dans les rues étroites qui mènent à la Ciutat Esportiva. Le tout dans une anarchie relative, qui vient rappeler que ni le club, ni la ville et ni ses supporters ne sont habitués à de tels évènements.

À la vue des visages juvéniles qui constituent ces files plus ou moins disciplinées, on imagine qu’aucun ne doit se rappeler l’autre exploit qui a marqué l’histoire du club : l’élimination de l’Inter Milan lors du match retour en 2006 pour s’offrir une place en demi-finales de Ligue des champions. Avec des maillots floqués Pau Torres ou Gerard Moreno, cette génération souhaite avant tout écrire son histoire, avec cette équipe qui la fait rêver depuis ce titre en Ligue Europa. Le club ne s’y est d’ailleurs pas trompé : pendant que les adolescents s’entassaient dans un bar non loin de là, les plus jeunes du centre de formation sortant de leurs entraînements formaient eux un pasillo le long de l’entrée du bus. Des étoiles dans les yeux, les minots masqués font office de sécurité, et attendent les joueurs de l’équipe première. Leurs entraîneurs s’improvisent chefs de chœur, et lancent les chants tout en rappelant à leurs protégés de tenir la ligne qu’ils avaient initialement formée. Derrière eux, des parents très fiers de voir leurs enfants si proches de leurs idoles. L’un d’eux a même pris des gants et un marqueur, dans le but de les faire signer à Geronimo Rulli. Les unes après les autres, les stars du pueblo checkent les gamins habillés en jaune de la tête aux pieds et pénètrent dans le bus qui leur fera parcourir les quelque 1500 mètres qui les séparent du stade. À l’applaudimètre, les grands gagnants se nomment Pau Torres et Étienne Capoue, ce dernier étendant ses bras telle une star de NBA entrant sur le parquet pour mieux sentir la ferveur de la petite centaine de supporters présents sur le parking.

« Si se puede »

La vraie ferveur étant celle qui les attend à la sortie, dans ces petites rues qui longent les terrains d’entraînement, le long desquelles se sont entassés des dizaines d’aficionados torches et fumigènes en main, un fait assez rare en Espagne. De mémoire, Eymeric, qui a forgé sa passion auprès de ses grand-parents habitants de Vila-real, n’avait jamais vu un tel cortège avant un match. Du haut de ses 27 ans, il ne se souvient que de la fameuse parade organisée par le club après la victoire en Ligue Europa la saison passée, mais rien d’aussi spontané que le mouvement qui s’est créé la veille sur les réseaux sociaux. Le car étant passé à toute vitesse, la foule se compacte au milieu des rues, certains cherchant désespérément à éteindre les torches qu’ils ont allumée pour le passage du bus, ne sachant pas vraiment manier cet attirail peu habituel. Les chants aussi ont du mal à se coordonner, comme la trajectoire donnée au cortège, qui se dilue peu à peu entre grandes artères traversées à l’arrache et petites ruelles où chacun se faufile pour accéder plus vite au stade. L’Estadio de la Cerámica est (enfin) cerné par ses supporters. Sur chacun des 23 500 sièges, le club avait fait disposer des drapeaux jaunes aux couleurs du club, qui n’ont pas tardé à être brandi par toute une aficiónimpatiente que le coup d’envoi soit donné.

L’hymne chanté quasiment a cappella et l’entrée des joueurs sur l’hymne de la Ligue des champions ont donné le ton d’une rencontre qui se voulait mémorable avant même le début de la partie, tant la Cerámica réputée pour son ambiance de cimetière avait déjà battu un record de décibels. Des « Si se puede » descendent des tribunes, symboles de tout un peuple résilient, qui sait désormais que cette équipe peu battre n’importe qui, y compris l’ogre bavarois. Arnaut Danjuma ne mettra d’ailleurs que huit petites minutes pour confirmer tous les espoirs des Groguets, célébrant son but comme un malade au poteau de corner devant des supporters qui font exploser la Cerámica. Un but plein d’opportunisme, comme sait si bien le faire Villarreal, prouvant une fois de plus que David peut battre Goliath, surtout quand le plus faible est porté par tout un pueblo, aussi petit soit-il. L’enchaînement d’occasions que se procure le Sous-Marin jaune ne viendra que ranimer constamment une flamme qui ne s’est jamais consumée pendant 90 minutes. Certains joueurs comme Juan Foyth, auteur d’une partie remarquable dans son couloir droit, auront même le droit à leur chant personnalisé. Comme les hommes d’Unai Emery, le public jaune n’aura jamais cessé d’y croire, et aurait sans doute aimé que Gerard Moreno et Alfonso Pedraza se montrent moins tendres au moment d’ajuster un Manuel Neuer pas au top de sa forme.

Au coup de sifflet final, l’Estadio de la Cerámica se contentera tout de même très bien d’un succès 1-0 face au Bayern Munich, qui laisse rêveur quant au match retour en Bavière la semaine prochaine. À la fin du match, les supporters prennent leurs voitures et klaxonnent à qui voudrait les entendre que le petit Villarreal a battu le Bayern Munich. En conférence de presse, Unai Emery évoque immédiatement l’importance des supporters dans cette réussite : « Quand on est venu en bus et qu’on a vu l’espoir de tout le pueblo, on savait qu’on avait une grande responsabilité. Et je me suis dit :« Il faut qu’on les rende heureux aujourd’hui », quelque chose de plus émotif que la simple victoire sportive. » De son côté, Eymeric, ému aux larmes, sort du stade et peine à croire ce qu’il vient de voir : « C’est la soirée la plus incroyable que j’ai vécue dans un stade de foot ! » Lui comme les autres rejoint ses pénates : beaucoup bossent demain, et même s’il sera difficile de dormir après cet exploit historique, il faudra continuer à faire tourner la ville de la Céramique.

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