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Pourquoi voit-on autant de maillots de foot en festival ?

Par Jérémie Baron, à Marseille, Carhaix-Plouguer, Saint-Cloud, Château-Gontier-sur-Mayenne, Bréal-sous-Montfort, et dans toute la France qui pratique le pogo

Comme tous les ans, les festivals de musique ont rythmé l'été avec leurs concerts sous 36 degrés, leurs bracelets en tissu, leur bière coupée à l'eau... Mais surtout leurs défilés de maillots.

Pourquoi voit-on autant de maillots de foot en festival ?

Il n’aura pas beaucoup de souvenirs du concert de Shaka Ponk, qui se produit pourtant devant ses yeux. Nous sommes le samedi 15 juillet, aux alentours de 2h30 du matin, et un homme titube face à la scène Glenmor, haut lieu des Vieilles Charrues. Le bougre n’est certainement plus en état de communiquer, mais son accoutrement parle pour lui : si l’on en croit sa belle tunique rouge frappée du logo du Stade brestois, on a ici affaire à un local, venu se mettre carpette à quelques kilomètres de chez lui, sur le site de Kerampuilh (Carhaix-Plouger) à la frontière entre Finistère et Côtes-d’Armor. Notre homme aura d’ailleurs besoin de deux acolytes pour prendre la direction du camping. Une fin de soirée qu’il regrettera aux premières lueurs du jour, mais aussi un joli tableau, finalement, de ce qui fait aujourd’hui l’essence des festivals mainstream pimentant les étés de beaucoup de Français : du gros son, de la bistouille à outrance, et un déluge de maillots de foot.

Que ce soit au cœur des festivals branchés des grandes villes ou dans un champ poussiéreux au fin fond de la Bretagne (grosse terre de festoches) et de la Mayenne, ce qui était initialement un habit de supporter est devenu l’outfit de référence de ces évènements musicaux. « Nous avons souvent des clients qui achètent des maillots pour des festivals de musique quand les beaux jours arrivent, atteste Hippolyte Genaud, cofondateur de la boutique de maillots de collection LineUp, à Paris. Pour la plupart, ce ne sont pas des nouveaux clients, mais par contre leurs demandes changent pour ce genre d’occasion. J’aime regarder de vieilles archives de la culture pop, et il y a 25 ans, tu pouvais déjà voir des maillots de foot dans les festivals. » Alors pourquoi ? « C’est confort », explique un visiteur de Carhaix en démontrant l’élasticité de son maillot nantais, car le duel entre footeux fiers de leur équipe et venus des cinq coins de la région (Brest, Lorient, Rennes, Guingamp, Nantes) fait rage à Kerampuilh.

Il y a une compète dans les festivals et c’est marrant d’avoir le plus beau maillot, ou le plus original.

Louis, un habitué des Vieilles Charrues

À côté de lui, son pote a opté pour Málaga, club pourtant actuellement pensionnaire de troisième division de l’autre côté des Pyrénées. Souvenir de voyage, coup de foudre stylistique : pour beaucoup, l’équipe en elle-même importe peu. « Ils aiment bien partir sur des maillots très colorés avec des couleurs vives, des bandes verticales ou horizontales, continue Hippolyte Genaud. Ou alors des maillots de légendes des années 1990. » Sa première observation se vérifie lorsque l’on croise, toujours sur le site des Charrues, deux jeunes au look bariolé et inédit : tee-shirt d’entraînement bordélique du FC Barcelone pour l’un, third orange et noir de la Juve pour l’autre. « Toute ma vie, je suis en maillot, justifie le premier. J’avais celui de Guingamp hier. En vacances, c’est encore mieux. »

TikTok, mode et friperies

« J’ai un maillot pour chaque jour », balance même, entre les stands paella et saucisse-purée, un autre zicos vêtu de la capsule Ajax x Bob Marley assortie à des lunettes aux cercles multicolores. Le plus iconique du week-end, à Carhaix, sera peut-être celui du Barça porté par une fan de Rosalia et floqué du nom de la star catalane, MVP de l’édition 2023. Globalement, les festoches demeurent un endroit à part où chacun peut se fringuer à sa guise, voire se sentir comme chez lui. « J’ai commencé à m’intéresser aux maillots vintage notamment avec la mode sur TikTok, témoigne Adam*. En festival, tu peux essayer des choses un peu excentriques. Si tu n’oses pas te promener dans ta ville avec ton maillot parce que les gens ne comprendraient pas ou te jugeraient, ici il n’y a pas cette barrière. Quand j’achète un maillot, je me dis que je vais pouvoir le placer dans tel ou tel festival. » En juin, pour Marsatac à Marseille, il arborait par exemple une réédition du mythique maillot Argentine 1998, au milieu des répliques de celui du Brésil (effet Bianca Costa, prévue à la programmation ?).

On fait donc étalage de sa panoplie, malgré les potentiels risques liés à la pluie, le soleil qui tabasse, la bière renversée, l’huile de friture, la sauce de kebab, les effluves de cannabis, les frottements et cassages de gueule dans les pogos, ou tout autre imprévu. « Les maillots de football de collection sont aussi faits pour être portés, pour leur donner une seconde vie, nuance Hippolyte de LineUp. Après, c’est sûr que si tu veux le garder dans un super état de conservation, les festivals, ce n’est pas vraiment le plus adapté… Mais les faire vivre, ça apportera plus que de le laisser dormir dix ans dans un placard. » « Le flocage ? Je m’en fous, il est déjà niqué », peut-on entendre dans la bouche des intéressés. « C’est pratique quand il fait chaud, estime de son côté Louis, habitué des Vieilles Charrues ou de Solidays, entre autres. C’est aéré donc si tu transpires, ça ne se voit pas. Et ça ne craint pas la saleté, c’est fait pour. Je ne vais pas mettre des maillots neufs mais plutôt des vieux, ceux que j’ai beaucoup portés ou que je viens de trouver en friperie. C’est vrai qu’il y a une compète dans les festivals et que c’est marrant d’avoir le plus beau maillot, ou le plus original. » De manière plus générale, c’est dans la vie de tous les jours que le polyester de footeux a explosé à l’ère du foot business et s’est démocratisé, comme le souligne Pierre-Alain Perennou du site spécialisé Footpack : « Les maillots, c’est devenu ultrastylé. C’est un accessoire de mode, il y a des gens pas forcément dans le foot qui s’y intéressent. »

Question garde-robe, certains ont des choses à prouver. « J’ai aussi un maillot de Zidane contre le Brésil sans l’étoile, et un autre de l’Arménie », se vante Alexis* au village camping des Charrues, tricot du Venezia FC 2021-2022 sur les épaules. Le très distingué club italien, récemment relégué en Serie B, est d’ailleurs représenté dans tous les festivals ou presque, grâce à ses jeux de maillots toujours plus iconiques d’année en année. Mention spéciale, également, à la collection de l’Inter Miami qui a fait un tabac cet été, en pleine hype Messi. Au-delà des tendances, il y a aussi de belles histoires, comme celle racontée par un jeune trentenaire, tout beau dans son maillot du Bayern 1997-1998 dévoilé à l’occasion du V and B Fest’ : « Mon père a fait son service militaire à Berlin, il avait trouvé une boutique de maillots et l’avait acheté. Je le mets rarement ! » Dans ce festoche qui s’est installé sur le domaine de la Maroutière à Château-Gontier-sur-Mayenne, 30 kilomètres au-dessus de Laval, on rencontre logiquement plusieurs représentants du Stade lavallois, même si les maillots tango sont noyés dans la masse d’autres diverses tuniques, dont quelques-unes aux couleurs de l’AFC Richmond, club fictif de la série Ted Lasso.

V and B Fest’, à Château-Gontier-sur-Mayenne (Mayenne), le 25 août
V and B Fest’, à Château-Gontier-sur-Mayenne (Mayenne), le 25 août

Billie Eilish,  Reynzizou  et Dropkick Murphys

Une manière d’évaluer l’attachement d’un territoire à l’équipe du département. Car a contrario, au festival du Roi Arthur de Bréal-sous-Montfort (Ille-et-Vilaine), à 17 bornes à l’ouest du Roazhon Park, la tenue du SRFC fait partie du starter pack du bon festivalier ; qu’il soit porté avec le tout frais flocage « Le Fée », sous un drapeau breton, dans le but de mettre en valeur le patch Ligue des champions d’il y a trois saisons ou même sur scène pour faire plaisir au public du lieu, comme le fait le bassiste des Dropkick Murphys. Pas mal d’artistes en profitent pour eux-mêmes représenter leur coin ou leur club de cœur, lors de leur prestation, à l’image de Reynz qui a sorti son plus beau maillot SB29 floqué « Reynzizou », sur la scène Grall des Charrues. « Le maillot de foot te permet de mettre en avant tes origines, mais est aussi un vêtement de tous les jours que tu assortis avec tes sneakers, ton look », note Pierre-Alain Perennou.

Festival du Roi Arthur, à Bréal-sous-Montfort (Ille-et-Vilaine), le 27 août
Festival du Roi Arthur, à Bréal-sous-Montfort (Ille-et-Vilaine), le 27 août

Le flocage, c’est ce qui te permet de sociabiliser avec les gens.

Le constat est évidemment encore plus flagrant en Grande-Bretagne. Will, qui a traversé la Manche pour voir The Strokes à Saint-Cloud et se balade en maillot away d’Arsenal saison 1999-2000, peut en témoigner : « On en voit beaucoup chez nous, les gens les mettent pour supporter leur équipe, et il y en a beaucoup à Londres ! » Le mythique Glastonbury Festival, à Pilton dans le Somerset, est d’ailleurs une référence en la matière avec un grand nombre de raretés vintage, à tel point qu’un compte Twitter a été créé pour répertorier chaque année les plus belles tenues aperçues sur place. Parfois, les maillots permettent aussi des fantaisies, comme celui de la Côte d’Ivoire floqué Brandao 51 (?) croisé au Roi Arthur. « Le flocage, c’est ce qui te permet de sociabiliser avec les gens parce qu’ils vont t’appeler par le nom que tu as dans le dos, puis ça va partir en discussion. Le maillot de foot crée du lien social », rappelle Pierre-Alain Perennou. Pour ceux qui viennent en nombre, les maillots peuvent aussi être un moyen de tous débarquer avec le même accoutrement, et de faire sensation au milieu de la foule.

À Bréal par exemple, une escouade s’est pointée avec un jeu de maillots « Hygiène de Vie », « une marque écoresponsable de Rennes » qui a lancé sa gamme de (faux) maillots de foot et a eu son petit succès dans les environs : KCIV, backeur du rappeur local Lujipeka sur la scène Lancelot, exhibe lui aussi cette pièce inédite. Dans la même veine, certains artistes surfent sur la vague et proposent leur propre merchandising lié au ballon. C’est le cas de JeanJass et son maillot « Hat Trick » vu sur les épaules d’un fan à Château-Gontier (sans que le Belge n’y soit à l’affiche), l’Allemand Paul Kalkbrenner qui a provoqué une déferlante de liquettes de la Mannschaft floquées de son patronyme le soir de son passage à Carhaix, Fred Again et son maillot concept arboré à « Glasto » ou encore The Voidz (second groupe du leader des Strokes Julian Casablancas) et leur tenue inspirée du style fantaisiste du gardien mexicain Jorge Campos dans les 90s (objet collector qui fait d’ailleurs partie de la collection de Louis, cité précédemment). Du côté de Bréal, on peut même voir passer un maillot style clubs thaïlandais en l’honneur de Jul, certainement déniché sur un sombre site internet pas vraiment officiel. Sans oublier les clubs qui font fuiter leurs nouveaux costumes par l’intermédiaire d’artistes qui performent sur scène, comme Brighton avec Fatboy Slim ou Manchester United avec le rappeur Aitch.

 

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Certains festivals sont plus touchés par le phénomène que d’autres, en fonction des publics : à Rock en Seine, par exemple, les tee-shirts Billie Eilish (venue électriser le parc de Saint-Cloud lors du premier soir) ou Nirvana éclipsent les maillots, même si l’on peut tout de même tomber sur quelques jolies pièces. Comme ce responsable de la sécurité qui représente le Maroc et Achraf Hakimi, cet ado affublé de la très rare tunique de la sélection de Zanzibar (« Bien sûr que c’est un vrai, je l’ai acheté là-bas ! »), cette femme qui a sorti le tricot des Bleues floqué « W. Renard » ou encore cette famille dont le père et le fils représentent Manchester United, alors que la fille fait honneur au Barça avec un superbe third 2002-2003 qui fait la fierté du paternel : « C’est un collector, avec l’ancien logo ! » Bref, la culture foot a encore de beaux jours devant elle. Et la musique, dans tout ça ? Mauvaise nouvelle : à la fin de sa tournée actuelle, Shaka Ponk quittera définitivement la scène. Alors si vous aviez l’opportunité d’assister à l’un des derniers shows du groupe, cet été, il ne fallait pas la rater.

Rock en Seine, à Saint-Cloud (Hauts-de-Seine), le 23 août
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Par Jérémie Baron, à Marseille, Carhaix-Plouguer, Saint-Cloud, Château-Gontier-sur-Mayenne, Bréal-sous-Montfort, et dans toute la France qui pratique le pogo

Tous propos recueillis par JB

* Les prénoms ont été modifiés

Image de couverture : © Nico M

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