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Vie et mort de PES : la parole est aux spécialistes
Ce jeudi 30 septembre, alors que le prochain FIFA est attendu par toute une communauté ce vendredi, un autre jeu de football bien connu du grand public va faire son retour sur les consoles : PES. Enfin, presque. Cette saison, le grand passage à la nouvelle génération de consoles a acté la mort d’un monument, désormais baptisé eFootball et qui se rapproche plus d’un jeu mobile que du grand jeu de foot attendu. Si très peu dans les jeunes générations s’en sont émus, cette mort, dans les faits, de PES a laissé endeuillés ceux qui ont grandi avec Castolo, Minanda et Adriano avec 99 de puissance de frappe. Voyage en Nostalgie, un pays où on joue aux vieux PES pour oublier la trajectoire désastreuse de cette franchise.
CASTING
Bruce « Spank » Grannec : Champion du monde ESWC (2006 et 2012) sur PES 5 et FIFA 13, champion du monde FIWC (2009 et 2013) sur FIFA 09 et FIFA 13, vice-champion du monde ESWC (2007) sur PES 6 et vice-champion du monde FIWC (2012) sur FIFA 12
Cyril « Djiin » Assous : Ancien joueur sur les circuits compétitifs PES et FIFA
Gianni « Plume » Molinaro : Rédacteur en chef adjoint de Gameblog.
Mahmoud « Brak2K » Gassama : Présentateur beIN eFoot, streamer Twitch, Youtubeur et ancien joueur semi-pro PES
Sébastien-Abdelhamid Godelu : Journaliste, présentateur de l’émission Dans la légende sur Clique TV
Walid « usmakabyle » Tebane : Triple champion du monde sur PES (2015, 2016 et 2019). Joueur de l’AS Monaco Esports.
Est-ce que cet opus, avec ce changement de nom et de format, marque la mort de PES ?
Bruce « Spank » Grannec (BG) : Pour moi, ça fait longtemps que PES n’existe plus. Il y a eu beaucoup de changements avec le véritable PES. Maintenant que ça ne s’appelle même plus Pro Evolution Soccer, c’est un peu bizarre.
Cyril « Djiin » Assous (CA) : Clairement, ça fait un petit pincement au cœur. On parle d’une licence, d’un jeu qu’on surnommait le « Roi du football » et qu’on évoque encore comme le jeu phare de foot. Donc c’est dommage d’avoir baissé les bras.
Sébastien-Abdelhamid Godelu (SAG) : Déjà dans le nom, je pense que c’est très révélateur. Tu amorces un eFootball PES pour finalement faire un eFootball… Mais plus que le changement de nom, je n’ai rien compris à l’annonce. Konami, c’était les seuls avec EA à avoir fourni une licence de jeu de foot pendant 30 piges, c’est pas normal d’en arriver là.
Mahmoud « Brak » Gassama (MG) : Après avoir vu les annonces par rapport à eFootball, j’ai eu le sentiment d’une fin de parcours. On s’attendait à quelque chose de béton, et c’est plutôt un retour en arrière avec une version réduite de PES. PES a disparu, et on change complètement de dimension.
Walid « usmakabyle » Tebane (WT) : Le but est clair : attirer les joueurs mobiles de PES sur cet opus. Je pense que ça va offrir plus de visibilité et de tournois… J’ai un peu d’amertume, car historiquement, c’est PES. Cela dit, on reproche à Konami de ne rien faire, et pour une fois qu’ils bougent, les retours sont assez critiques.
Pour vous, est-ce que c’est une conséquence du gouffre qui s’est creusé entre PES et FIFA ces dernières années ?
Gianni « Plume » Molinaro : Tout a commencé à flancher au passage de la PS3/Xbox 360. Konami n’a pas maîtrisé les nouvelles machines, ils ont stagné et pris beaucoup de retard, alors que EA lance un FIFA 08 très sérieux.
MG : Quand tu es un puriste de PES, tu te focalises sur le gameplay, ce qu’a complètement foiré Konami à partir de PES 2008. Ce dernier a été détesté, d’autant que FIFA est arrivé avec FIFA 08, puis FIFA 09, qui étaient fous et où on retrouvait les mêmes sensations que sur les anciens PES.
WT : L’ancienne génération jouait majoritairement hors ligne. Mais à partir de 2008-2009 et l’arrivée de FIFA Ultimate Team, PES déclinait, alors que FIFA a parfaitement misé sur le jeu en ligne, la nouvelle tendance. PES a manqué le train lancé à grande vitesse par FUT.
MG : Avec FUT, FIFA a créé une émulation qui accroche les joueurs. Chaque année, tu repars de zéro avec l’objectif de créer la meilleure équipe possible. Tu ne décroches jamais. Et tu n’as pas ça avec PES. Ça ne progresse pas. À l’époque, le but de PES était d’être le meilleur joueur, alors que FIFA est sur un terrain différent : posséder la meilleure équipe.
BG : Depuis le 17, FIFA est en baisse. PES aurait peut-être pu combler un peu le retard à un moment, mais FIFA a créé un tel monstre avec FUT… Ce mode engendre tellement d’attractivité qu’il compense la qualité du gameplay, avec son contenu et son côté addictif.
SAG : Lorsque Konami écrasait la concurrence, ils s’en sont tellement enorgueillis qu’ils se sont perdus. Et FIFA est dans une situation aujourd’hui où même si le jeu est nul, les gens vont se plaindre, mais ils achètent. Même si PES était très petit face à FIFA ces dernières années, il y avait quand même une proposition différente, un gameplay différent.
Vous avez tous connu la grande époque de PES, au début des années 2000. Comment vous l’avez vécue ?
GM : Jusqu’en 1997, FIFA régnait sur les jeux de foot. Konami a progressivement imposé un style à partir de International Superstar Soccer Pro. Même si on trouvait ça lent et difficile en comparaison avec FIFA, le jeu a reçu des critiques très positives, notamment par les spécialistes influents comme Joypad ou encore PlayStation Magazine. Les notes montaient à 9 ou 10/10. Il y avait des détails, comme la modélisation des visages des joueurs, très développée. On pouvait reconnaître Roberto Carlos ou encore Zidane. C’est, avec le gameplay, ce qui a fait décoller ISS, puis PES.
WT : À un moment donné, on en est arrivés à un point où PES était devenu le bien culturel le plus vendu. Quand je prends un Uber par exemple et que je dis à mon chauffeur que je suis joueur PES, il va me répondre qu’il a joué à PES 5 ou 6.
SAG : Il y a toute une mythologie qui s’est créée autour de PES. Il était tellement populaire qu’il a créé sa propre légende : la Ligue des masters, avec Castolo, Espinas, des joueurs qui n’existent que dans le jeu, mais dont on a retenu le nom… Tout le monde s’appropriait PES parce que tout le monde jouait à PES.
MG : Ça nous arrive de rejouer à des anciens PES, et forcément, t’es émerveillé parce que t’as les souvenirs de jeunesse. Mais le gameplay est encore d’actualité et jouable. Graphiquement, ça pique un peu des yeux – et encore –, mais le jeu en lui-même est toujours excellent, en 2021 !
BG : Tu as juste à relancer le jeu pour te rendre compte que le gameplay est très dur, que tu gagnes au mérite. Si t’es très bon et que tu ne fais pas d’erreur, tu ne prends pas de but. C’est normalement une bonne nouvelle et c’était le cas avec les PES de l’époque.
SAG : Pourquoi j’ai autant de frustration quand je vois comment l’histoire se termine ? Parce que c’est une histoire magnifique. Il faut recontextualiser : tout commence dans un monde, les années 1990, où on ne connaît pas internet, le football est à son apogée, et PES va tout changer. Aujourd’hui, on a évolué en matière de gameplay, de graphisme, d’animation, mais à l’époque, PES est le premier jeu qui nous a fait ressentir le football. À tel point que la compétitivité qu’on pouvait avoir dans le vrai foot, on la ressentait aussi dans le jeu.
La compétition, les rencontres en live ont d’ailleurs tenu une place très importante dans l’histoire de PES…
GM : En 1999, tu avais des premiers tournois à 64 ou 128 joueurs, avec les gens qui ramenaient leur matos. Konami a eu vent de cela et a aidé au développement de ces tournois, notamment par l’intermédiaire de Stéphanie Hattenberger, qui a chapeauté la PES League. C’était plus de 10 000 joueurs par an !
CA : Pour nous, la compétition, c’était se trimbaler télé et manettes le matin et faire 400km pour se tirer la bourre. On connaissait des mecs à Montpellier ou en Alsace qui nous hébergeaient, c’était une ambiance fraternelle. Sauf quand les tournois commençaient évidemment, là c’était la guerre.
BG : La compétition IRL reste la meilleure pour moi. Aujourd’hui, les qualifications sont online, et les finales sont en réel, mais il y a un tel dispositif que tu perds cette proximité qu’on avait avant avec PES, et ça me manque, honnêtement, c’est dommage.
SAG : C’est le premier jeu où j’ai vu, dans n’importe quel quartier de France, tout le monde jouer au même jeu et se proclamer plus fort que l’autre. Ça donnait des tournois de malades. L’ancêtre de l’e-sport, pour moi, c’est la PES League. Derrière le jeu vidéo, il y a une histoire humaine, car PES a permis à des gens de se rencontrer.
Pour vous, quelles erreurs a commises Konami avec cette franchise ?WT : PES s’est reposé sur ses lauriers. Ils ont laissé le jeu pourrir à partir de PES 2008. À l’inverse, FIFA a énormément surfé sur la vague de l’excellent FIFA 08. Konami a un vrai problème pour le marketing, alors que c’est LE point fort de FIFA. Pour PES, il n’y a pas assez de communication sur le gameplay ou les nouveautés. C’est un véritable poison pour eux. Le gameplay de PES est meilleur, pourtant il y a moins de monde sur ce jeu, donc il y a un vrai problème ailleurs.
GM : En matière de com’, Konami a toujours été moins bon que FIFA. Même à l’époque où ça cartonnait, malgré quelques spots excellents comme « si le football est ta religion, PES est ton messie », ils ont toujours eu du mal face au rouleau compresseur de FIFA.
CA : Il y a une rumeur qui dit que lorsque FIFA a commencé à truster le sommet avec FIFA 09, EA aurait recruté les développeurs de PES. On retrouvait beaucoup de similitudes avec les PES et on a retrouvé notre plaisir. Si Konami avait gardé sa ligne directrice d’antan, ils n’auraient pas perdu leur base.
BG : Le plus grand échec de Konami, c’est de ne pas avoir su se relever de leur loupé sur la génération PS3/Xbox 360 alors qu’ils ont quand même eu le temps. Mais aussi d’être trop fermés. Ils n’ont jamais vraiment écouté la communauté, et ça leur a forcément coûté à un moment.
SAG : Je pense que Konami ne vit pas avec son temps. Ils regardent trop en arrière, ils n’innovent pas. Hormis le gameplay qui est très bon, tu as l’impression qu’ils n’ont rien compris aux dernières générations. L’aspect fondamental d’un jeu de foot, c’est le gameplay, et si tu as ça, tout ce qui est autour est le plus simple : faire des modes de jeu, un online cohérent, un offline conséquent, tout ce que Konami n’a pas réussi à faire depuis des années. Ils n’avaient pas grand-chose à faire pour retrouver leur superbe.
Quel est votre meilleur souvenir de PES ? Que ce soit une équipe, un joueur, un moment…
BG : Comme beaucoup de monde, je dirais l’Inter de PES 6, sûrement la meilleure équipe de l’histoire. Et si beaucoup pensent qu’Adriano était le meilleur joueur, pour moi c’était plutôt Zlatan. Il y avait également l’AC Milan sur PES 5, impressionnant.
MG : PES 5 était mon préféré, sans hésitation. Le jeu était très équilibré. On se rendait compte qu’il y avait plusieurs qualités à mettre en avant selon celui qui tenait la manette. Avec UN joueur en particulier : Thierry Henry. Je prenais Arsenal à cause de lui. À l’époque, il y avait un système de flèches pour définir la forme des joueurs, et si tu chopais une flèche orange ou rouge pour Henry, je peux te garantir qu’aucun attaquant ne lui arrivait à la cheville.
WT : Même si PES 5 était très bon, mon préféré reste le 2015. C’était le meilleur de la génération PS4, il dépassait tous les FIFA de cette génération. Un joueur ? Il y a le Zlatan de l’Inter, mais aussi Riquelme à l’époque. Pour les nouvelles générations, c’est Robben sur le 2015 et 2016 qui était fou. Et puis il m’a donné des titres mondiaux !
SAG : Un souvenir sur PES ? J’en ai mille. Je me suis embrouillé avec mes meilleurs amis qui ont JURÉ qu’ils ne joueraient plus avec moi à PES, j’ai vu des télés cassées, des manettes cassées, des amitiés se créer, se brouiller, j’ai joué avec Didier Drogba en 2006… Si je dois en garder un, c’est vraiment cette convivialité qu’on avait, entre potes, jouer et se tuer parfois de 5h du matin à 10h le soir.
GM : La communauté des jeux de combat était déjà bien présente à la fin des années 1990, mais je ne me souviens pas d’un tel engouement pour une autre licence que PES à l’époque. Même les joueurs pros faisaient des tournois. Je me suis retrouvé à jouer une fois face à Lionel Mathis et Benoît Cheyrou. J’ai aussi rencontré Rio Mavuba, Anthony Le Tallec ou encore Florent Sinama-Pongolle.
Comment appréhendez-vous le successeur de PES, eFootball ?
SAG : Quand j’ai lu leur communiqué, j’ai rien pigé. Comment tu peux saborder une des plus grandes licences du jeu vidéo ? J’ai relu mille fois, j’ai toujours pas compris. C’est un free to play avec neuf équipes, tu ne peux pas jouer en offline : tu comprends rien. Ça me dégoûte.
WT : Le jeu sera d’abord l’équivalent d’une démo avec neuf équipes. Ensuite, le contenu additionnel viendra, mais ce n’est pas si catastrophique. Par exemple, si dans deux mois ils sortent une Ligue des Masters, ils seront obligés de faire quelque chose de qualité. C’est dans leur intérêt.
GM : On imaginait un jeu superbe sous Unreal Engine, et on se dit : « chouette, PES est de retour ! » Finalement, ils annoncent un free to play sur console et mobile. On se dit qu’ils ont rendu les armes. Le but semble être de toucher un public beaucoup plus large. Ça ressemble à un compromis entre quelque chose de jouable et adaptable sur toutes les plateformes.
CA : À l’écoute des différentes annonces, ça me semble catastrophique. On a vu des leaks du gameplay qui fait très arcade au niveau des collisions. Leur façon de communiquer est terrible. C’est un manque de respect envers leur ancienne communauté.
BG : Vu la tournure que ça prend, ça ne sent pas très bon. Le free to play, allez pourquoi pas, mais le contenu payant qui te débloque des équipes, c’est bizarre. Je testerai par curiosité, mais j’ai pas vraiment d’attente.
MG : Faire jouer un mec de PS5 contre un mec de téléphone, c’est aberrant. Ce n’est pas le même terrain, la même jouabilité. On n’est pas sur un modèle abouti d’un point de vue football, mais sur un concept où l’on voudra développer les menus et les micro-transactions. Je pense que PES n’est plus du tout une priorité pour Konami. Certains vont rester par fidélité, mais pour moi c’est un leurre, c’est terminé.
Propos recueillis par Alexandre Aflalo et Fabien Gelinat