- France – Histoire et football
Vichy, Borotra et le football déchu
Sous le régime autoritaire du maréchal Pétain, les footballeurs ont connu des heures bien sombres. Critiqué, insulté, bafoué, le football professionnel, pourtant très populaire avant la Seconde Guerre mondiale, a disparu. Poussant les dirigeants à organiser une résistance semi-clandestine.
Avant l’instauration du régime de Vichy, le 10 juillet 1940, le football était l’un des sports les plus populaires de France. La ligue professionnelle, créée en 1932, les 5 700 clubs affiliés et les 190 000 licenciés de ce temps faisaient vivre le ballon rond dans l’Hexagone. Seulement, le maréchal Pétain et ses ministres ne tardèrent pas à imputer la défaite française, en partie, à la faiblesse physique des Français. Et le football, qui aurait pourtant pu être, pour ce régime autoritaire, un formidable outil de propagande, devint la victime numéro un du commissaire général à l’Éducation et aux Sports, Jean Borotra, et de son successeur, Jep Pascot. Outre le sport lui-même, c’est avant tout le statut des footballeurs professionnels qui a été mis en cause. Pour monsieur Pascot, les footballeurs professionnels n’étaient rien de plus que des hommes « dévoyés, passant leur temps dans les cafés et les dancings » , comme il les décrivait dans ses notes personnelles, en septembre 1940. Comme quoi, les perceptions n’ont pas tellement évolué depuis.
Contre une certaine idée du sport
Le problème du football professionnel, c’est qu’il allait tout à fait à l’encontre des grands principes défendus par Jean Borotra, « le Basque bondissant » , qui voulait bâtir un sport « chevaleresque et désintéressé » , comme expliqué dans le Temps du 29 juillet 1940. Le tennisman, et son successeur, rugbyman, méprisait le ballon rond et lui préférait des sports plus nobles, dans lesquels le dépassement de soi et le goût de l’effort semblaient plus probants. Le snobisme des amateurs de rugby à l’encontre des fans de football tient d’ailleurs sans doute quelques racines de cette période et des ces argumentaires. Très rapidement, Jean Borotra s’attela donc à faire disparaître le professionnalisme dans le monde du football. À partir de septembre 1940, il impose aux clubs de titulariser obligatoirement entre quatre et six amateurs par rencontre. « Ce rejet du footballeur-mercenaire et du professionnalisme prive le pouvoir du soutien de dirigeants influents du football français » , expliquait l’historien Xavier Breuil dans le So Foot d’août 2008, qui n’hésitait d’ailleurs pas à parler d’une « incompatibilité idéologique entre Vichy et le ballon rond. »
Pour protester contre les mesures autoritaires du commissaire général, Jules Rimet, alors président de la FFFA, se retire. Plus que le désossement de la nomenclature professionnelle du football, Jules Rimet ne supporte pas « l’éviction autoritaire » de Bayrou, président du FC Sète et grand artisan du football français. Non, pas François du Béarn. En 1943, alors que les équipes professionnelles sont nationalisées par le régime autoritaire de Vichy, de nombreux dirigeants se regroupent au sein d’une organisation à la limite de la clandestinité. Aux côtés de monsieur Gambardella, on retrouve ainsi messieurs Herlory, de Metz, et Hanot, explique Xavier Breuil. Une ligue des clubs professionnels autonomes se met alors en place sous l’impulsion de Jean Guignot. Au-delà de cette résistance, il est également crucial de rappeler que l’antisémitisme s’est aussi glissé dans cette lutte anti-football menée par le pouvoir, et qu’il a conduit à la fermeture de plusieurs clubs dont le Maccabi Sporting Club.
Sport rural vs football industriel
Comme l’explique Xavier Breuil dans un dossier intitulé « Vichy et le football » , « Le football, fils de la révolution industrielle, semblait incompatible avec l’exaltation de la terre. » Ce retour à la terre, voulue par le Maréchal, est définie dans le sport par la pratique de l’athlétisme, de la natation, de la boxe et du rugby. Ce sont d’ailleurs les quatre seuls sports qu’on retrouve au programme de la Coupe du Maréchal, compétition vouée à entretenir le culte du chef, dans un premier temps, et à « récompenser tout spécialement les efforts dirigés par les associations vers le développement harmonieux de l’individu et l’affermissement des qualités viriles de la race » , comme on pouvait le lire dans Tous Les Sports en février 1943. Ainsi, le football avait de plus en plus de mal à exister. La Charte des Sports du 20 septembre 1940, comme le rappelle Xavier Breuil, interdit par exemple la pratique de ce sport entre les mois de juin à septembre. En bref, le football était rejeté tout en bas de l’échelle des sports, considéré comme un vulgaire jeu de fainéants trop attirés par l’argent.
Seulement, après l’arrestation et la déportation de Jean Borotra pour son patriotisme exacerbé et son manque d’implication dans la nazification du sport français, le régime de Vichy tenta, certes un peu tard, de briller en Europe grâce au football. « Il y a par exemple le football national et international. Ce sport devra chez nous être dirigé en fonction de ce dernier » , pouvait-on lire dans les colonnes du Cri du Peuple en avril 1942. Seulement, rien ne se passa comme prévu pour le régime, qui, malgré ses efforts soutenus, ne parvint pas à faire du football un sport mal aimé. Au contraire, à la Libération, le nombre de licenciés était encore plus important qu’en 1940, et le football poursuivit son essor en France jusqu’à devenir le sport d’ampleur incroyable que l’on connaît aujourd’hui.
Par Gabriel Cnudde