- Enquête
Vers la mort des collectionneurs de tickets ?
Alors que certains collectionnent les timbres, les tickets de cinéma, les capsules de champagne, les cafetières ou les autographes, d'autres ont opté pour un objet de collection tout aussi original : les tickets de match. Mais avec l'essor d'Internet au début des années 2000, ce qui s'apparentait à une passion pour certains s'est peu à peu transformé en un petit business pour quelques autres.
Contrairement aux maillots ou aux vignettes Panini, le ticket de match est un objet de collection en voie de disparition. Pourtant, ce jeudi, après France-Moldavie, ils étaient encore une petite poignée à attendre à la sortie du Stade de France pour récupérer ces fameux droits d’entrée. Michel Plat, collectionneur depuis la finale de Coupe de France 1982 entre le PSG et l’ASSE, est l’une de ces personnes : « À la sortie du match, comme souvent à l’époque, il y avait une petite estafette qui vendait plusieurs numéros du magazine Onze Mondial. Je ne l’achetais pas tout le temps, mais ce soir-là, j’en ai acheté une petite série. Dans l’un d’entre eux, au rayon des petites annonces, quelqu’un recherchait des tickets pour sa collection. J’ai trouvé ça marrant et je lui ai envoyé ce que j’avais. Il m’a contacté, puis m’en a envoyé à son tour avant que je donne mon nom à d’autres collectionneurs belges. » Mais ça, c’était avant qu’Internet devienne le nouveau lieu privilégié d’achat et de revente. Et bien avant que les billets électroniques fassent leur apparition. Mais au gré des coups de tête, des coups de cœur, des coups de chance et des coups bas, une cinquantaine de passionnés continuent d’éparpiller et d’agrandir leur collection.
Retour vers le futur
À la fin des années 1970, lassés de collectionner fanions, programmes de match ou vignettes Panini, quelques collectionneurs belges se mettent aux tickets de match. Plusieurs fois dans l’année, ils organisent des bourses d’échanges afin que les collectionneurs se rencontrent et échangent leurs doubles. Collectionneur de Mont-de-Marsan, Pascal Collardey s’y rend avant de devenir le précurseur des tickets de match en France : « C’était très convivial, il y avait cette notion de partage et ça permettait également de pouvoir enfin mettre des visages sur des noms. » Au début des années 1980, Français, Néerlandais et Italiens suivent le mouvement, bien avant qu’Espagnols, Allemands et Anglais leur emboîtent le pas. Pour Bruno Durand, collectionneur depuis plus de dix ans, la raison de cet engouement est simple : « Avec un ticket, tu montes dans une voiture qui t’emmène dans le passé. Il y a une histoire, un scénario. Une image te rappelle un souvenir, mais un ticket est plus profond qu’une image. »
Autour d’une petite dizaine de collectionneurs, dont Pascal Collardey ou Michel Plat, deux des plus grands collectionneurs du monde, une communauté se développe elle aussi en France. Les sorties de stade, les petites annonces ou les salons d’objets anciens deviennent des lieux privilégiés pour troquer des billets, et nouer certaines amitiés. « La plupart des collectionneurs de l’époque font toujours partie de mes meilleurs amis et on est toujours en correspondance régulière sur les réseaux sociaux » , raconte Pascal Collardey, également co-fondateur de l’Association française des collectionneurs de tickets de football. « C’est le cas avec Michel qui m’a accompagné une fois en Belgique et avec qui on se faisait chaque année une finale européenne à la bonne franquette. » Mais à la fin des années 1990, l’apparition d’Internet va redistribuer les cartes, et les échanges d’antan vont laisser place à une marchandisation de l’objet, contraignant certains collectionneurs à limiter leurs collections par thèmes.
Business et blacklist
« Pendant très longtemps, je ne voulais ni acheter ni vendre. Mais je m’y suis mis car je n’arrivais plus à trouver ce que je voulais. Ou si je le trouvais, il fallait que je l’achète sur Internet. Aujourd’hui, j’ai des tickets assez anciens en double. Mais ceux que je revends, c’est surtout des tickets récents à 5 ou 6 euros, pas plus » , explique Michel Plat, détenteur de plus de 650 tickets des Bleus. L’arrivée d’Ebay va largement contribuer à cette flambée des prix, surfant sur la vague d’un phénomène de société qui ne dit pas son nom. « Depuis les années 2000, les gens ont compris qu’il ne fallait pas jeter les choses et qu’elles pouvaient représenter 10 à 15 ans plus tard la valeur faciale de l’époque » , glisse Bruno Durand, également fondateur des Voyages en ballon. À cette époque, les tickets de matchs délaissent vite les vide-greniers, les salons de collectionneurs ou ceux de vieux papiers. Restent les ventes aux enchères, mais celles-ci ne sont plus vraiment intéressantes selon Bruno : « J’ai fait la vente aux enchères de Didier Six et toutes celles qui se présentent à Drouot, mais il n’y a pas de bonnes affaires. Tu peux tomber sur un crétin qui, ce jour-là, a pris un rail de coke, n’a pas mangé à midi ou a picolé un peu, et il peut te faire grimper les prix de manière stupide. » Pour ne pas se faire avoir, il préconise alors de reproduire ce que tout bon collectionneur fait avant d’acheter un ticket : « Mettre dans un shaker sa passion, la valeur de l’objet et la probabilité qu’il se représente un jour sur le marché. » Un lourd dilemme pour celui qui a acheté entre 50 et 100 euros le ticket de la demi-finale mythique entre la France et l’Allemagne en 1982, et environ 50 euros celui de la finale du Mondial 1998 à Saint-Denis.
Aujourd’hui, preuve que les prix ont grimpé, un billet de la finale France-Brésil coûte facilement entre 150 et 200 euros quand celui de la finale du Mondial 1966 entre l’Angleterre et l’Allemagne de l’Ouest est vendu plus de 1000 euros sur Ebay. Malgré ces prix exorbitants et le business qui se trame derrière, Michel Plat ou Pascal Collardey ne tirent aucun profit de leurs collections, se remboursant tout au plus leurs différents envois postaux. « Il y a des gros dealers qui sont moitié collection moitié business. Et d’autres qui ne font que du business. Ils courent les JO, les Coupes du monde, et squattent les entrées avec des petites pancartes. Tous ces gars-là récupèrent 100-200 tickets de match, ils monnayent tout sur internet et ils se payent tous les hôtels pendant la compétition. Dans mon cas, je suis obligé de monnayer quelques trucs pas très chers histoire d’autofinancer ma propre passion. » S’il avoue que le web lui a permis de dénicher des tickets qu’il n’aurait jamais pu trouver par le passé, le collectionneur de Mont-de-Marsan ne décolère pas de certaines pratiques : « Il y a des faux tickets, mais surtout des gars qui spéculent constamment sur le dos du collègue d’à côté. Il y en a un qui est très fort dans ce registre. J’étais très copain avec lui, je l’ai même aidé à se lancer quand il était adolescent. Mais aujourd’hui, il n’arrête pas de prendre les gens pour des cons en cassant les prix du marché. »
Les e-billets dans la force de l’âge
L’achat en ligne étant le moyen le plus simple d’agrandir leur collection, les chineurs historiques se sont prêtés au jeu malgré eux. La communauté d’avant s’est retrouvée et s’est étendue autour de forums et de blogs : « Je l’ai créée pour communiquer, présenter ma collection, faire des rencontres et que les gens puissent s’identifier. À une époque, j’avais établi une blacklist des collectionneurs indélicats. Mais je l’ai supprimée car c’était contre-productif » , raconte Pascal Collardey, dont le blog est truffé d’onglets, dont un où il donne des conseils pour repérer les faux tickets. Moins fréquents que dans le business des maillots vintage, les faux sont apparus sur le marché depuis une petite dizaine d’années. Pour éviter les mauvaises surprises, certains collectionneurs installent un copyright sur les scans et les photos de leurs billets. Quand d’autres, comme Bruno Durand, font le chemin inverse : « Récemment, j’ai acheté le billet de France-Bulgarie de 1993. Je crois que je l’ai acheté 35 euros, mais je pense que la personne ne savait pas ce qu’elle me vendait car aujourd’hui il doit en valoir environ 150. Ce ticket, ça faisait 10 ans que je le cherchais. Je n’en croyais pas mes yeux et je l’ai d’ailleurs soumis le plus possible à un logiciel pour m’assurer que ce n’était pas une copie. »
Et si les faux se sont multipliés, ce n’est rien à côté des e-billets. Envoyés par les billetteries en ligne, imprimables sur une vulgaire feuille A4 ou même scannables via un smartphone, ils représentent désormais une grande proportion des tickets présentés à l’entrée des stades. « Comme je l’ai dit à Michel ou à d’autres, ce sera la fin de ma collection le jour où tout sera sur un smartphone avec un code-barre. Déjà que certains tickets actuels, notamment espagnols, s’effacent car il sont imprimés par des imprimantes laser bas de gamme… Les e-tickets, c’est une catastrophe pour nous » , déplore Pascal Collardey. En attendant, comme Michel Plat ou Bruno Durand, ce supporter des Girondins continue de se rendre aux stades pour récupérer quelques tickets et garnir sa collection. C’était le cas ce samedi, lors du match entre l’équipe de France féminine et la Serbie à Bordeaux : « Dans le stade, les trois quarts des gens autour de moi avaient des e-billets. Donc je me suis mis à la sortie des secteurs VIP, là où on est sûr d’avoir des personnes pas trop accros à leurs tickets, qui ont bien profité de la troisième mi-temps avant de sortir et je leur ai demandé gentiment. Les premiers tickets que j’ai obtenus étaient ceux d’Ulrich Ramé et de Niša Saveljić. Puis vu que je ralentissais un peu la sortie, le gars de la sécurité m’a donné une liasse d’une dizaine de tickets invendus. » Comme quoi, il y a encore un peu d’espoir.
Par Maxime Renaudet
Tous propos recueillis par MR