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- 12e journée
- Torino/Inter Milan
Ventura, l’as du 3-5-2
« Toujours difficile à jouer » pour Max Allegri, « équipe au style unique en Italie » pour Pioli, le Torino reçoit l'Inter ce dimanche, dans son remarquable 3-5-2. Analyse de la tactique de l'as Ventura.
« Le Torino concède peu d’occasions et abaisse énormément le rythme des matchs » : avant le derby de Turin, Allegri s’inquiète. Après la victoire, il souffle : « Ce n’est jamais facile de jouer contre les équipes de Ventura. » Et pour cause, ce n’est que grâce à la touffe Cuadrado à la dernière minute que la Juve a réussi à se sortir du derby della Mole. Une semaine auparavant, c’est le mister de la Lazio, Stefano Pioli, qui faisait part de sa préoccupation révérencieuse lors de la traditionnelle conférence pré-match : « Ils jouent un football particulier, presque unique. Ils attendent derrière la ligne du ballon et font démarrer l’action de derrière. » Voilà pour l’idée générale. Quid de sa mise en scène ?
Des K7 de 4-2-2 au Torino de Jean-Pierre
Ventura, jusqu’à maintenant, c’était avant tout un système : le 4-2-4. Lorsqu’il débarque à Bari pour suppléer Antonio Conte, parti à l’Atalanta, il retrouve dans les cartons du club un nombre incalculable de K7 du Pisa version 2007-2009, son ancien club. Professionnalisme poussé à son paroxysme de la part de son nouveau club, souhaitant lui offrir tous les recours possibles pour que le San Nicola profite du même spectacle que le Stadio Arena Garibaldi-Romeo Anconetani ? Que nenni. C’est bel et bien sur la collection privée d’Antonio Conte que Ventura est tombé. Giampiero Ventura en père spirituel, donc. À ce point qu’une fois à la Juve, l’actuel CT de la Nazionale confessera à la Stampa « rêver jouer en 4-2-4 » . Et pourtant, depuis quelques saisons, Jean-Pierre a changé de système. Exit le 4-2-4, benvenuto al 3-5-2.
5-3-2, transition et préparation
« Tactiquement, il gère, surtout pour la stratégie offensive, moins celle défensive. Il fait descendre tous les joueurs derrière le ballon, veut couvrir le plus de terrain possible » , lâche Gaël Genevier, ancien joueur de Ventura. Pour la phase défensive donc, rien de révolutionnaire : le 3-5-2 se transforme en un 5-3-2 bien cimenté dans sa moitié. Puis vient le temps de s’organiser en fonction de l’adversaire. Contre Carpi par exemple, aussi positionné en 3-5-2, Bovo et Moretti se coltinent Boriello et Matos, tandis que Kamil Glik se charge des couvertures. Bruno Peres et Gabriel Silva, eux, se collent aux latéraux adverses. Au milieu, c’est un trois-contre-trois, laissant à Quagliarella et Maxi López le travail d’essuie-glace face aux trois centraux adverses.
Pour ce qui est de la transition, Gaël Genevier témoigne : « Si tu récupères le ballon, tu repasses souvent par derrière. » Pas de passes longues dans la profondeur une fois le ballon récupéré, mais plutôt une transition « out-in » selon Ventura. Surprenant, pour une équipe qui se regroupe dans sa moitié à chaque perte de balle : le Toro n’est pas une équipe de contre. Bien au contraire, raconte Genevier : « Son jeu est basé sur la possession de balle, tout en réflexion. » Chez Ventura, la possession commence avec les trois de derrière. Un triangle Maksimović-Glik-Moretti qui permet de rendre inefficace tous les types de pressing. Un seul avant-centre au pressing ? Pendant que Glik est en soutien, Maksimović et Moretti en profitent et s’organisent un toro. Deux avants-centres ? Salida lavolpiana en trois contre deux. Et quand la pression est trop intense, Padelli, le sweeper-keeper se transforme en arrière central ajouté. Évidemment, n’est pas Neuer qui veut. Et les phases de préparation proches de la surface comportent leurs risques : à Empoli l’année dernière, en tentant de dégager un ballon sur une passe en retrait, Padelli a marqué l’un des buts les plus ridicules de la saison. Ces rares accrocs mis à part, une fois la ligne arrière organisée, c’est Vives, en pivot, qui fait le lien avec l’avant. On passe donc en losange, qui devient parfois pentagone lorsque Kamil Glik laisse à Padelli le rôle de libero pour mieux aider Vives à recevoir les passes de Maksimović et Moretti.
Double pointe, mezzale et latéraux
5-3-2 en phase défensive certes, mais 4 (avec Padelli) -1-4-2 en phase offensive. Pendant que la sortie de ballon s’organise, les latéraux écartent. Véritables écarteurs de parois, Bruno Peres et Avelaar passent leurs matchs les talons sur la craie. Une fois le ballon dans les pieds, Avelaar balance centre sur centre pour les deux pointes, pendant que Bruno Peres met en valeur ses capacités de dribbleur et rentre en conduite vers l’intérieur pour foutre un bordel de supériorité numérique. Autre option, continuer à bouffer la ligne et servir de remiseurs en une touche pour les mezzale Benassi et Baselli qui prennent la profondeur.
Les mezzale justement, fondamentales pour Ventura. Interdiction pour eux de décrocher. Ils restent le plus haut possible pour jouer les deuxièmes ballons en cas de passes aériennes du « back three » . L’autre raison pour laquelle ils ne décrochent pas réside dans la relation qu’ils entretiennent avec les latéraux. Une fois la première ligne de pression dépassée, ils se rapprochent de Bruno Peres et Avelaar, et les latéraux adverses d’hésiter à sortir. En effet, les mezzale représentant une option supplémentaire de passe sur le côté, ils obligent les latéraux adverses à ne sortir qu’une fois la passe arrivée, et non sur le temps de passe habituel. C’est pendant cette période d’hésitation que Benassi et Baselli font leur job. Si la passe va au latéral, ils avalent la profondeur entre les centraux et latéraux adverses. Si la passe leur arrive, ils ont la possibilité de se retourner, car le latéral adverse est au marquage du latéral du Toro, et de choisir leurs passes. Principalement en direction des pointes.
Les pointes, elles, tournent au fil des matchs. Tantôt Maxi López, tantôt Martinez. Belotti gratte le temps de jeu qu’il peut, tandis que le seul inamovible est Quagliarella. Leur rôle à tous est simple. Collés l’un à l’autre, ils servent de point d’ancrage pour les longs ballons : un au duel pendant que l’autre joue les rebonds. Et lorsque l’on joue au sol, l’un s’arrange pour profiter des appels de l’autre. Si Maxi López propose dans le dos d’un central, il le fait sortir, et c’est là que débarque Quagliarella pour recevoir. Chez Ventura, tout est pensé à l’avance.
L’identité Ventura, unique en Italie
Mais le 3-5-2 de Ventura, avant d’être un amas de micro-concepts tactiques, est avant tout une idée. Un style. Une identité. Qui ne varie pas selon le score, mais en fonction de l’opposition. Une rareté au pays du résultat. Contre la Fiorentina, en août dernier, la foi en l’identité Ventura a atteint son apogée. Alors que Marcos Alonso amorçait une mini polémique en imitant un torero après son but à la 10e minute, le Toro ne s’est pas affolé. Le bloc est resté dans sa moitié et s’est obstiné à ne pas tomber dans la frénésie des passes longues une fois le ballon récupéré. En phase de possession, les principes sont restés les mêmes : sortie de balle d’un calme impérial, jusqu’à trouver le déséquilibre via les mezzale et les latéraux. Résultat : victoire 3-1 pour le Toro. Moretti à la 68e, Quagliarella la minute suivante, un bonbon de Baselli à la 77e. Et Ventura de continuer à inquiéter la Botte avec son système au style unique, pour le plus grand bonheur d’Antonio Conte.
Par Josselin Juncker