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Vengeances, trahisons et football
Ce vendredi, Lyon accueille Nice. Chez les Aiglons, trois anciens Lyonnais partis avec plus ou moins de fracas et d'amertume. À l'aller, Claude Puel, Hatem Ben Arfa et Jérémy Pied s'étaient fait plaisir en en passant trois à l'OL. La vengeance ou la trahison de ses anciennes couleurs, un grand classique du football.
La vengeance imprévisible : Mehdi Zeffane (Lyon-Rennes 1-2, Ligue 1, 22 août 2015)
Formé à Lyon, utilisé avec parcimonie depuis deux ans, Mehdi Zeffane a 23 ans en ce début de saison. Il est clairement temps de s’imposer ou de partir. Barré par Christophe Jallet, il voit le Brésilien Rafael débarquer pour concurrencer l’international français et n’a pas besoin qu’on lui fasse un dessin. Pour un million d’euros, Rennes le déloge et l’aligne le 22 août sur la pelouse de son club formateur. Comme ailier gauche alors qu’il est arrière droit de formation. Philippe Montanier aligne une défense à trois et aucun avant-centre de métier, il n’est donc pas à un coup de poker près. Le temps d’un match, le Franco-Algérien se transforme en virtuose et claque une passe décisive pour Pedro Henrique, puis un but à la David Ginola grande époque. Depuis, on attend toujours un second match référence.
La vengeance grande classe épisode 1 : Carlo Ancelotti (Milan AC-Juventus 0-0, finale de la Ligue des champions 2003)
De 1999 à 2001, Carlo Ancelotti a entraîné la Juventus en remplacement de Marcello Lippi. Deux fois second, derrière la Lazio en 2000, puis l’AS Roma en 2001, il quitte le Piémont avec un bilan comptable honorable, mais l’étiquette d’éternel numéro 2. Entre lui, l’ancien joueur de la Roma ou du Milan AC, et les tifosi, la relation est exécrable, il se souvient même d’une virée en voiture sur la Piazza Crimea où il remarque l’inscription « un porc ne peut entraîner » sur un obélisque. L’Italien prend la plus belle des revanches deux ans plus tard en finale de Ligue des champions. Privée de Pavel Nedvěd suspendu, la Vieille Dame de Marcello Lippi se casse les dents sur le Milan AC du Mister. Une première victoire en C1 en tant qu’entraîneur, et le luxe pour Ancelotti de lâcher tranquillement une pique à son ancien employeur dans sa biographie Mon sapin de Noël : « La Juventus est une équipe que je n’ai jamais aimée et que je n’aimerai probablement jamais. C’était un nouvel environnement pour moi et je ne m’y suis pas senti à l’aise. J’étais juste un maillon de la chaîne. » Ancelotti à la Juve, c’était comme donner de la confiture à un cochon ?
La vengeance grande classe épisode 2 : Fernando Morientes (Monaco-Real Madrid 3-1, quart de finale retour de la Ligue des champions 2004)
S’il a survécu au recrutement ultra-médiatique de Nicolas Anelka en 1999, Fernando Morientes ne peut résister lorsque Ronaldo, le Brésilien, débarque dans la Maison-Blanche. Après une saison mitigée, il est prêté à l’AS Monaco à l’été 2003, histoire de se refaire. Mauvaise idée de Florentino Pérez qui le paye en quarts de la C1. À l’aller, alors que les Madrilènes atomisent l’ASM 4-1, il réduit le score de la tête et maintient un mince espoir. Avec une attitude pleine de retenue à l’attention des supporters de Santiago Bernabéu. Au retour, il se déchaîne sans aucune arrière pensée : remise de la tête pour l’égalisation de Ludovic Giuly, tête magistrale pour le 2-1 après un centre magique de Patrice Évra… Il finit la compétition finaliste et meilleur buteur avec neuf pions. Mais il est trop cher pour les finances monégasques, et retourne tâter du banc à Madrid avant de partir à Liverpool en janvier. Avec lequel il ne pourra pas participer à la fin de la campagne victorieuse en Champions.
La vengeance mesquine : José Anigo (OM-Guingamp, 22 mai 2004, Ligue 1)
Dernière journée de championnat. Loin des places européennes, l’OM de José Anigo finit l’année en roue libre après une épopée européenne qui l’a vu échouer en finale de Coupe de l’UEFA. Guingamp, de son côté, joue pour sa survie en Ligue 1. Et perd. À la fin du match, Anigo se lâche au micro de Canal Plus : « C’est un retour à l’envoyeur. En 1993, à Munich, j’étais supporter de l’OM. Un an après la finale, on nous a rétrogradés en D2. Et la personne qui nous a rétrogradés, c’était le président de Guingamp. Je suis désolé pour l’entraîneur et les joueurs de Guingamp, qui méritaient de se sauver. Mais pas pour le président, qui n’a pas tenu compte un jour que l’OM était un grand club. Et le grand club que nous sommes a expédié le sien en D2. » Une réponse à l’affaire VA-OM 10 ans plus tôt, laquelle a débouché sur la rétrogradation administrative de Marseille et le début d’une traversée du désert de deux ans. Quelques mois plus tard dans le JDD, José Anigo reconnaît avoir dérapé. Faute avouée, faute pardonnée ?
La vengeance sanglante : Roy Keane sur Alf-Inge Haland (Derby de Manchester, 21 avril 2001, Premier League)
Le point commun entre Roy Keane et un éléphant ? La mémoire. Quatre ans plus tôt, lors d’un Leeds-Manchester United en septembre 1997, l’Irlandais se pète les ligaments du genou, et le Norvégien l’accuse de simulation. Au printemps 2001, profitant d’un match plus proche de la guerre des tranchées que d’une rencontre de football, Keane place ses crampons en avant et démonte la jambe déjà en mauvais état de son meilleur ennemi scandinave. Carton rouge pour le capitaine de MU, et fin de carrière anticipée pour Haland, même s’il parvient à terminer le match sur une jambe. Roy Keane n’a jamais regretté son horrible agression, Haland en revanche regrettera peut-être toujours d’avoir ouvert sa bouche en septembre 1997.
La trahison forcée : Álvaro Morata (Juventus-Real Madrid, Ligue des champions 2014-2015)
Il aurait sûrement préféré s’imposer dans son club formateur. Mais à l’été 2014, Morata se rend à l’évidence : il n’aura pas sa place ni sa chance face à la BBC. Pour 20 millions d’euros, la Juventus s’offre l’attaquant espagnol et en fait le partenaire d’attaque de Carlos Tévez. À croire que la direction merengue n’a pas retenu la jurisprudence Morientes. En demi-finales de la Ligue des champions, Morata ouvre le score à l’aller et marque le but de la qualification au retour. Et expédie la Vieille Dame en finale. De quoi motiver Florentino Pérez à activer la clause de rachat à 30 millions d’euros. Même s’il ne sait pas où le mettre sur le front de l’attaque.
La trahison bien dégueulasse : Emmanuel Adebayor (Manchester City-Arsenal 4-2, Premier League 2009-2010)
Été 2009, comme souvent, Arsenal voit partir l’un de ses joueurs cadres, en l’occurrence Emmanuel Adebayor. Cette fois-ci, ce sont les nouveaux riches de Manchester City qui mettent 30 millions d’euros et un salaire de 700 000 euros mensuels sur la table. Pour ce prix-là, le Togolais change de casaque et assume même la posture de hater des Gunners. Pour ses premières retrouvailles le 12 septembre, il profite d’un but marqué pour traverser tout le terrain et narguer les supporters londoniens, qui lui répondent par jets de projectiles en tout genre et bras d’honneur. De mémoire, Adebayor n’a jamais couru aussi vite. Comme si cela ne suffisait pas, il essuie ensuite ses crampons sur le visage trop avenant à son goût de Robin van Persie. Peut-être l’un des joueurs coupables de ne pas lui avoir serré la main, selon ses propos dans le Sun ? Ces retrouvailles bien glauques font du Togolais l’un des joueurs les plus détestés à l’Emirates aujourd’hui, comme l’avait bien noté Harry Redknapp lors du recrutement de l’attaquant à Tottenham en 2011 : « Les supporters d’Arsenal le détestent, donc les nôtres vont l’adorer. »
La trahison ultime : Steven Defour, ancien du Standard, qui signe à Anderlecht en 2014
« Aller à Anderlecht ? Impossible ! Je ne faisais qu’un avec les supporters du Standard. J’ai trop grandi avec ce club pour rejoindre Anderlecht. » En 2011, dans un entretien à Sport/Foot Magazine, Steven Defour est catégorique. En bon Rouche, il ne signera jamais chez les Mauves. Il est alors à Porto et s’imagine sûrement dans un championnat du top 5. En situation d’échec, il revient néanmoins sur sa parole la queue entre les jambes à l’été 2014. Anderlecht a trouvé un accord avec les Dragons, et Defour se plie au sacrilège. Lui qui ne faisait qu’un avec le peuple rouche se voit en deux morceaux sur un tifo des supporters du Standard le 25 janvier 2015 : décapité avec la mention « Red or Dead » . Ce sera « rouge » pour l’international, expulsé à l’heure de jeu après avoir ostensiblement montré des signes de nervosité face aux sifflets. Il a été plus en verve le 28 février dernier avec deux passes décisives contre son ancien club de cœur pour un 3-3 à Bruxelles.
La trahison triste : Denis Law (Manchester City-Manchester United, Angleterre, saison 1973-1974)
« Roi d’Old Trafford » après avoir planté la bagatelle de 236 buts pour Manchester United, Denis Law a d’abord été un Citizen lors de la saison 1960-1961. Ce n’est qu’après un passage foireux en Italie avec le Torino qu’il rejoint MU et écrit sa légende. Onze saisons, plus de 400 matchs et surtout des titres : deux championnats, une FA Cup, une Coupe des champions – même s’il ne joue pas la finale – et un Ballon d’or en 1964. L’Écossais pense sûrement boucler la boucle lorsqu’il signe à City en 1973 pour terminer sa carrière. À l’avant-dernière journée, il marque le seul but d’un match qui condamne officiellement ses anciennes couleurs à la seconde division. Il aurait probablement préféré d’autres adieux, quelques mois avant sa fin de carrière.
La trahison en travers de la gorge : Lorik Cana (Marseille-PSG, 16 octobre 2005)
« C’est mon club formateur, le club où j’ai grandi, le club qui m’a fait devenir un joueur de football professionnel, le club qui m’a permis de gagner mon premier trophée, le club qui m’a permis de jouer en Ligue des champions. Cela reste toujours un endroit particulier pour moi, un endroit que j’aime beaucoup et auquel je suis toujours attaché. » En conférence de presse avant d’affronter Paris avec Nantes, Lorik Cana ne manque pas d’adopter la posture de celui qui aime son club formateur. Pour les supporters parisiens en revanche, l’international albanais n’évoque pas que de bons souvenirs. À l’aube de la saison 2005-2006, il est transféré à Marseille, et pour le premier affrontement contre son club formateur le 16 octobre, il donne la victoire à l’OM de la tête sur corner. Si son choix de carrière n’a rien d’original à une époque où Paris et Marseille échangent volontiers leurs joueurs, sa joie ostentatoire et la suite de sa carrière font qu’il restera dans les annales comme un ancien Marseillais plus qu’un ancien Parisien.
Par Nicolas Jucha