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Vasco de Gama : Un quartier, deux Seleçãos
Ce soir, le Portugal, très mal embarqué dans ce Mondial, affronte le Ghana avec l'infime espoir de pouvoir se qualifier pour les huitièmes. Un exploit qui enflammerait le quartier de Vasco de Gama, dont le cœur bat pour les deux Seleçãos...
Considéré comme un bastion de la communauté portugaise depuis que le roi João VI y a installé son palais en 1803, le quartier de São Cristóvão souffre encore aujourd’hui de schizophrénie identitaire. Outre les azulejos qui tapissent les maisons coloniales, le stade São Januário, QG du club de Vasco Gama, fait office de véritable lien historique entre le Portugal et son ancienne colonie. Alors que les autres grands clubs de Rio (Botafofo, Flamengo et Fluminense) ont tous été fondés par des Anglais, O Vascao a la particularité d’être la seule institution footballistique carioca à avoir été créée par des immigrés portugais. C’était il y a 115 ans. Profitant du quatrième centenaire de la découverte de la route maritime vers les Indes par Vasco de Gama, les fondateurs portugais décident alors à l’époque de rendre hommage au navigateur portugais en donnant son nom à leur club. La symbolique renvoyant aux origines portugaises ne s’arrête pas là : la croix de Malte et la caravelle des conquistadores présents sur l’écusson du club sont autant de signes distinctifs que le Vasco ne renie toujours pas aujourd’hui. Au contraire. Naldo, vendeur à la boutique officielle du club, affirme même que la connexion portugaise est un véritable filon marketing : « Beaucoup de touristes achètent le maillot sans être supporter du club, simplement parce qu’ils aiment la dimension historique que renvoie le club. On a aussi plein de touristes portugais qui viennent acheter des produits du club parce qu’ils sont flattés que le Vasco entretiennent ses racines portugaises. » Sans surprise, on retrouve également les saveursmade in Portugal au menu du restaurant du club. « Ici, les joueurs et les clients mangent des spécialités portugaises, des pasteis natas, des beignets de morue. Des plats brésiliens, on en fait aussi, évidemment, mais les gens recherchent avant tout des produits typiques du Portugal. C’est pour ça qu’ils viennent chez nous » explique Artur Brandão, en charge de la carte du restaurant de Vasco, Gostoso.
« Une zone très dangereuse »
Le quartier de Vasco de Gama est vraiment né en 1998. Désireuse de morceler l’énorme quartier de São Cristóvão, pour mieux l’administrer, la mairie de Rio de Janeiro profite du centenaire du club pour rebaptiser « Vasco de Gama » toute la zone nord de São Cristóvão. Malgré ce nouveau contour urbain et le stade de São Januário, le quartier est toujours aussi sinistré. « Le stade est joli, c’est clair, mais ça reste une zone très dangereuse » prévient Mauro, un habitant du coin. Ici, tout le monde se contrefout des questions identitaires et de la relation du club et du bairro avec le Portugal. Les gens ont d’autres soucis. D’autres moyens de s’évader aussi. Ici comme ailleurs, alcool et marijuana sont souvent à l’origine des problèmes, mais aussi la base des solutions trop faciles. Assis sur des marches en ciment, deux types avec des maillots de la Seleção brésilienne tirent tranquillement sur leurs joints. « Nous, on est brésiliens et vascainos, mais on ne supporte que le Brésil. Franchement, s’il n’y avait pas Cristiano Ronaldo dans l’équipe portugaise, on n’y ferait même pas attention » , crache l’un des deux compères. Du coté du bar situé juste en face de l’entrée principale du stade, le discours diffère sensiblement. Les esprits y sont plus clairs, les yeux moins vitreux. Maillot du Vasco sur les épaules, Breno explique notamment qu’il porte les deux sélections dans son cœur, malgré le fait qu’il n’a jamais traversé l’Atlantique. « Si tu vis ici et que tu es supporter du Vasco, tu es obligé de supporter les deux équipes. Même si le Brésil reste notre pays, et notre première sélection, on soutient aussi l’équipe du Portugal. Sans eux, tout ce qu’il y a devant mes yeux n’existerait pas. Et puis la grande majorité des gens qui sont ici ont tous de la famille portugaise. »
« Un miracle »
Il faut monter la colline qui surplombe le stade de São Januário et guetter les drapeaux portugais accrochés au balcon pour trouver des natifs du Portugal. Jacquelina, née à Porto il y a plus de 80 ans, a quitté l’Europe en embarquant à Lisbonne dans un bateau espagnol en direction de Rio de Janeiro. Elle a fêté les soixante ans de son arrivée au Brésil il y a quelques jours, non sans un peu de saudade : « Les gens pensent que seuls les Brésiliens ont la saudade de leur pays quand ils sont à l’étranger, mais moi, je peux vous dire que je n’ai jamais oublier le mien pendant toutes ces années. » Elle et son mari rêvaient d’une vie meilleure en arrivant à Rio. Le rêve a fini par se transformer en cauchemar, lorsque son mari s’est fait abattre en pleine rue par la police. Son cercueil n’a jamais fait le voyage retour vers le Portugal. C’est d’ailleurs pour rester aux cotés de son défunt époux que Jacquelina n’est retournée qu’une seule fois au pays en 60 ans. À l’époque, elle souffrait d’un cancer : « Je suis allé faire un pèlerinage de la dernière chance à Fatima et je suis toujours en vie. C’est un miracle ! » Un miracle, c’est justement ce qu’il faudrait à la Seleção pour continuer son aventure brésilienne, selon elle : « Je supporte le Portugal, même si je n’ai pas vraiment d’espoir de qualification. Après, j’ai des voisins brésiliens qui font les malins, mais je ne les vois pas non plus devenir champions du monde. » Veronica, la belle-sœur brésilienne de Jacquelina, espère juste que cette dernière ne s’énervera pas en regardant Cristiano Ronaldo et ses complices disputer le match de la dernière chance : « Elle crie comme un homme quand elle regarde le Portugal jouer. Cette passion va finir par avoir raison d’elle. » Jacquelina et tous ses compatriotes de Vasco de Gama ont prévu de se retrouver dans l’assocation portugaise du quartier pour regarder le match de leur Seleção contre le Ghana. La reconquête du Brésil passe obligatoirement par une victoire.
Par Javier Prieto Santos, à Rio de Janeiro (Photos: Renaud Bouchez)