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Surmenage : quand va-t-on écouter les joueurs ?
Éreinté psychologiquement et physiquement, Raphaël Varane a décidé de prendre sa retraite internationale à 29 ans. Cette retraite précoce tire aussi l'alarme autour de calendriers, toujours plus chargés, et du manque de considération de la santé mentale des joueurs.
Titulaire face à Leeds ce mercredi soir, Bruno Fernandes va enchaîner son 39e match de la saison toutes compétitions confondues. Un total costaud, loin des 26 rencontres auxquelles a pris part Raphaël Varane. Mais sans les multiples blessures, le finaliste de la dernière Coupe du monde qui a annoncé sa retraite internationale le 2 février dernier, aurait pu aisément plier ce score. À 29 ans seulement et après sa sortie sur les genoux lors de la finale contre l’Argentine, le vice-capitaine des Bleus ne revêtira plus le maillot tricolore, qu’il aura porté à 93 reprises depuis ses débuts en équipe nationale en mars 2013. Un choix honnête et courageux qui a étonné bon nombre de supporters des Bleus, tout aussi préoccupés par la fin de leur carrière (professionnelle) actuellement débattue à l’Assemblée. Dimanche, le défenseur central de Manchester United a décidé de s’épandre un peu plus sur les raisons qui ont motivé sa décision dans un entretien accordé au Canal Football Club : « J’ai tout donné, physiquement, psychologiquement. Le très haut niveau c’est une machine à laver. On joue tout le temps, on ne s’arrête jamais, a lâché le 13e joueur le plus capé de l’équipe de France, après 12 ans de professionnalisme. En ce moment, j’ai l’impression d’étouffer et le joueur est en train de bouffer l’homme. »
Rares sont les joueurs qui ont réussi à parler de leur épuisement physique et psychique avec une telle justesse. Souvent, il faut qu’ils soient à bout pour franchir le pas. Neymar l’avait fait en octobre 2021, annonçant dans un documentaire qu’il jouerait au Qatar sa dernière Coupe du monde. Le Brésilien ne se sentant peut-être pas « assez fort mentalement pour continuer. » Marcus Rashford, Thierry Henry ou plus récemment le milieu parisien Renato Sanches ont pris la parole sur ces questions de santé mentale mais ce sont des exceptions dans un microcosme footballistique qui broie les joueurs de l’intérieur. « C’est hyper intense de devoir se préparer pour plusieurs matchs dans la semaine avec la pression qu’il y a et la demande de résultats. Ils sont dans un stress qui est assez permanent, analyse Sophie Huguet, psychologue de l’AS Monaco. Les joueurs sont habitués à masquer leurs émotions. Si l’entraîneur détecte des baisses de motivations, il risque d’y avoir un impact sur leur temps de jeu. Moi, mon métier consiste à veiller à ce que les joueurs n’atteignent pas leur limite mentale. » L’importance de parler de ses sentiments est encore peu considérée dans le milieu et ce n’est pas dans l’ADN du footballeur de se livrer. Beaucoup craignent que les psychologues ne répètent leurs confessions à l’entraîneur et que l’on ne les utilise contre eux. La prise de parole de joueurs d’envergure comme Varane aide à faire évoluer les mentalités : « Son entretien permet de montrer que cela arrive, que c’est humain. Plus il y aura ce type de témoignages, plus les joueurs comprendront qu’il faut faire attention à ce qu’il se passe dans leur tête », salue l’une des seules psychologues permanentes en Ligue 1.
De rouille et d’os
L’un des principaux facteurs de cet épuisement mental et physique est l’enchaînement des matchs, qui consument les organismes des sportifs à petit feu. Selon une étude de la FIFPRO, le principal syndicat des joueurs, plus d’un footballeur sur trois a joué au moins 55 rencontres dans la saison précédant la pandémie. Des chiffres affolants qui ne cessent de croître. À titre d’exemple, Sadio Mané a disputé 67 matchs toutes compétitions confondues en 2021-2022. Des cadences infernales que dénonce Vincent Gouttebarge, le chef du service médical de la FIFPRO. « Nos études permettent de démontrer l’influence néfaste des matchs à répétition sur les blessures musculosquelettiques, précise l’ancien auxerrois. Les joueurs ayant moins de cinq jours de repos entre deux matchs ont un risque plus élevé de se blesser que ceux qui n’en jouent qu’un par semaine ».
À plus grande échelle, la multiplication des trajets, notamment pour les joueurs qui viennent d’Amérique du Sud ou d’Asie, fatigue les organismes, notamment à cause du décalage horaire et du jet-lag. Les tournées à l’étranger lors des intersaisons, les rencontres de Supercoupe dans les pays du Golfe ou encore les matchs de gala en Arabie saoudite ne finissent plus de s’accumuler sans forcément que les principaux intéressés soient consultés : « Avec ce rythme, il ne faut pas s’étonner s’il y a des baisses de performances ou des blessures à répétition, pointe Vincent Gouttebarge. Les parties prenantes (fédérations, ligues,clubs) doivent plus communiquer, se coordonner mais surtout consulter les joueurs de manière à satisfaire tout le monde. »
PSG : de rechute en rechute, quel avenir pour Renato Sanches, à nouveau blessé ? ➡️ https://t.co/ItzVIhH7tf pic.twitter.com/mKZjCFkbVw
— Le Parisien | sport (@leparisiensport) February 5, 2023
Tabou et gros sous
Le glouton écosystème du football est régi par une règle simple : plus de rencontres pour toujours plus d’argent. Un mode de fonctionnement extrêmement rentable mais à quel prix ? « Le risque de ce système c’est que les joueurs vont arrêter plus tôt leurs carrières, qu’il y ait encore plus de blessures et que les dépressions et burn-out se multiplient, alerte la psychologue passée par le RC Lens. Aujourd’hui, je suis bien placée pour savoir qu’il y a beaucoup de mal-être chez les joueurs professionnels. Mais ils n’ont pas droit d’en parler, ça reste tabou. » Un constat confirmé par la FIFPRO : « Dans notre dernière enquête auprès des joueurs, 3/4 d’entre eux se sont dits fatigués mentalement à l’issue de la répétition des matchs. » Alors que la projet d’une Coupe du monde tous les deux ans devrait être abandonné, la prise de parole de Raphaël Varane pourrait faire bouger les lignes. « Le mal-être des sportifs, on n’en parlait pas dans les médias avant. La prise de conscience doit être individuelle et collective , encourage Olivier Dacourt, ancien international français. Aujourd’hui des documentaires se font, on en discute, on avance progressivement. » Piano ma sano.
Par Thomas Morlec