- Angleterre
- VAR
VAR, le deuil de tolérance
À la tête de la Premier League depuis deux mois, Richard Masters a suggéré, en réponse aux nombreuses polémiques nées de l’application de la VAR, que le championnat anglais réfléchissait à introduire une dose de « tolérance » à la règle du hors-jeu. Éclair de génie ou aveu de faiblesse ?
On a tous vécu cette scène. Samedi soir, accoudés à la table d’un bar ou confortablement enfoncés dans le canapé d’un copain, ça papote football à en faire se suspendre l’écoulement du sablier. Arrive un ou une néophyte lassé-e d’être tenu-e à l’écart de la conversation. « Vu que vous parlez foot, vous ne pouvez pas m’expliquer ce que c’est exactement, le hors-jeu ? Jamais rien bitté à ça, moi. » Et peu importe l’érudition du groupe, les minutes qui suivent sont rarement une partie de plaisir. Car réussir à faire comprendre clairement et du premier coup la règle du hors-jeu à quelqu’un qui la découvre a toujours été un sacré défi.
IFAB and furious
La onzième des Lois du jeu est un monument sacré du football. Un monument auquel, à la suite des nombreuses polémiques nées de l’étrange utilisation de la VAR par nos voisins anglais, le fraîchement intronisé patron de la Premier League Richard Masters songe à s’attaquer. « Je pense que les hors-jeu sont un domaine dans lequel on peut apporter des changements, lançait-il à la presse britannique le 4 février. Il faut voir si on souhaite des hors-jeu très précis, à l’aisselle ou au talon, ou si on veut introduire une dose de tolérance. C’est une sorte de défi technique. » Pis, il ajoute être « en discussion permanente avec l’IFAB(l’International football association board, qui édicte les Lois du jeu, N.D.L.R.) à ce sujet » , suggérant que cette « tolérance » pourrait être gravée dans le marbre des tables de la loi. Sur le papier, l’idée semble d’une logique implacable : cette saison en Premier League, les buts refusés pour un hors-jeu au millimètre, jugés sur une image floue et partiale, ont été la meilleure publicité contre la vidéo dans le football. Alors pourquoi pas tous se mettre d’accord sur un seuil de tolérance pour éviter ces polémiques ? Ça réglerait tous les problèmes, non ?
Pas si évident. La VAR devait apporter de la clarté dans les situations litigieuses, être une béquille sur laquelle pourraient s’appuyer les arbitres pour les conforter ou les aiguiller dans leur prise de décision. Un outil censé corriger les erreurs manifestes, ce que n’est pas un hors-jeu de quelques millimètres. En proposant d’adapter jusqu’aux Lois du jeu à son utilisation, Richard Masters acte la promotion, déjà ressentie dans les faits, de la vidéo au rang d’arbitre à la place de l’arbitre. La mauvaise utilisation de l’outil sur les situations de hors-jeu a apporté une confusion telle qu’on en vient à remettre en question une règle ancrée dans l’histoire du football. Une règle qui, si elle est claire sur le papier (est en position de hors-jeu un joueur dont « n’importe quelle partie de la tête, du tronc ou des jambes se trouve dans la moitié de terrain adverse (ligne médiane non comprise) et[…]plus près de la ligne de but adverse que le ballon et l’avant-dernier adversaire » ), n’a jamais donné lieu à une application manichéenne. Même l’Ifab ne recommande pas une application systématiquement rigoriste de son texte. « Si quelque chose n’est pas net à première vue, alors, cela ne devrait pas être pris en considération, préconisait Lukas Brud, le secrétaire général du board, en décembre 2019. Regarder un angle de caméra est une chose, mais en regarder quinze, en essayant de trouver quelque chose qui n’était peut-être même pas là, ce n’était pas l’idée initiale. » Contrairement aux situations où il faut déterminer si le ballon a franchi la ligne de but, et pour lesquelles la technologie peut apporter une réponse définitive, les situations de hors-jeu – comme celles de fautes de main – sont toujours malléables par le facteur humain. Et, quoi que dise le texte, même ceux qui ont écrit les lois s’accordent à dire qu’il est toujours préférable d’aller dans le sens du jeu.
Le serpent se mord la queue
En proposant « d’injecter » de la tolérance dans le jugement des situations de hors-jeu examinées par la VAR, Richard Masters crée l’illusion d’une humanisation de la machine. Quitte à défier la logique : on veut à tout prix continuer à utiliser la VAR comme on l’utilise actuellement, mais en inscrivant son imperfection dans le mode d’emploi. Plutôt que de perfectionner l’outil (avec des caméras plus performantes, par exemple, et donc prendre le parti d’une application à la lettre de la loi) ou que d’apporter un semblant de clarté dans son utilisation (en limitant son intervention, comme préconisé par l’IFAB, aux situations qui sont nettes à première vue, prenant donc le parti inverse de la tolérance par la priorité donnée au jugement humain), on préfère tordre les Lois du jeu pour les adapter à une évolution imparfaite du football. D’autant que cette idée pose une question centrale : à partir de quand un hors-jeu est-il « tolérable » ? Deux centimètres ? Dix centimètres ? 20 centimètres ? Où place-t-on la limite dans l’infraction ? Si la tolérance doit être inscrite dans les Lois du jeu, il faudra forcément en passer par une quantification qui ne fera, en somme, que reculer la ligne du hors-jeu – et donc le débat – de quelques centimètres. Au lieu de pester pour savoir si un joueur est exactement hors jeu, on décortiquera les images pour savoir s’il est bien dans la « zone de tolérance » . Le serpent se mord la queue. Et bonjour pour expliquer la règle du hors-jeu, après ça.
Par Alexandre Aflalo