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Van Persie, l’amour dure trois ans
Durant trois années, je n'ai eu d'yeux que pour toi, Robin. Trois ans où tu m'as enchanté, ébloui, émerveillé par ta grâce et tes buts délicieux. Mais ton idylle avec Manchester United est arrivée à son terme. Un choix logique pour certains, une immense tristesse pour moi. À trente et un ans, ton pied gauche et toi vous apprêtez à voler vers d'autres cieux. L'heure de dire au revoir est donc venue.
Jusqu’au bout, j’ai refusé de l’admettre. Refusé de croire ce qui, à mon sens, n’était qu’une simple rumeur infondée. Puis, comme tout le monde, j’ai constaté ton arrivée en héros à Istanbul, écharpe de ton nouveau club Fenerbahçe autour du cou, dans une véritable cohue générale. Un crève-cœur immense. Une anomalie irréparable, même. Là, à ce moment précis, j’ai compris que c’était fini. Bel et bien. Ta romance passionnée et tumultueuse de trois années avec Manchester United n’était désormais plus qu’un vestige du passé. D’aucuns clamaient, ça et là, que ce n’était qu’une question de temps. Pourtant, si tu avais beau vivre ton crépuscule sous ce maillot qui te sied à merveille, j’aurais tout fait pour empêcher la nuit de tomber. Juste encore un peu. Partir, oui, mais pas comme ça. Pas de cette manière. Pas après avoir déjà enduré trop de souffrance avec les départs successifs de Ferguson, Scholes, Giggs, Vidić, Ferdinand et Évra. À tes côtés, Robin, l’amour n’a duré que trois ans. Certes, c’était court, mais qu’est-ce que ce fut beau ! Alors, à l’heure où la nostalgie et la langueur s’invitent dans mon esprit, je voulais te dire vaarwel. Et merci. Une toute dernière fois.
Le poids des mots avant les actes
Aujourd’hui, malgré ton départ vers un autre horizon moins majestueux, je ne peux que continuer de t’aimer. Fougueusement, passionnément, éperdument. Pourtant, je n’ai pas immédiatement succombé à ton pied gauche soyeux, à tes arabesques délicates et tes tempes grisonnantes. Il m’a fallu du temps, je le concède. Car tu arborais fièrement la tunique d’Arsenal durant une décennie, évidemment, et dégageais cette fâcheuse image de garçon gommeux, maniéré, à la fatuité assumée. Je ne comprenais pas pourquoi Fergie avait tant insisté pour t’enrôler, alors qu’il comptait dans ses rangs Rooney, Chicharito et Welbeck. Mais j’ai vite compris. Et succombé, sans lutter, à mon tour. Il y a d’abord eu des mots martelés avec un sang-froid inébranlable. À ton arrivée, tu disais avoir écouté « le petit garçon » en toi et ce qu’il voulait, c’était porter le maillot des Red Devils. Comme tu soignes toujours tes entrées, tu avais demandé, aussi, le numéro 20, en référence à la vingtième couronne nationale briguée par ton nouveau club.
Après les mots, il y a eu les actes. Toi que beaucoup se plaisent à surnommer « Sa Majesté » , tu n’as guère traîné afin d’amorcer ton règne. Ton premier but sous tes nouvelles couleurs, mon Robin, a fait office de succulent amuse-gueule. Une demi-volée délicieuse déposée dans le petit filet opposé face à Fulham (3-2, 25 août 2012). Un premier fait d’armes qui en a appelé bien d’autres dans une Premier League devenue ton royaume. Un triplé contre Southampton (2-3, 2 septembre 2012), un coup franc salvateur inoubliable lors du derby de Manchester (2-3, 9 décembre 2012) ou encore cette incroyable reprise claquée dans le match du titre contre Aston Villa (3-0, 22 avril 2013), où tu semblais avoir arrêté le temps un instant. L’homme du 20e titre de championnat (26 pions inscrits), c’est toi. Personne d’autre, tant tu as marché sur l’eau dans une équipe pas aussi étincelante que toi à cette époque. Je n’ai pas honte de le confesser, tu étais beau, Robin. Plus que quiconque. Et, là, j’ai commencé à comprendre pourquoi Arsène Wenger s’était entiché de toi et pourquoi Ferguson, admirateur inconditionnel de Cantona, avait osé te comparer au « King » .
« Ohh Robin van Persie, Ohh Robin van Persie ! »
Au fil du temps, j’ai pu m’apercevoir de mon attachement irraisonné pour toi et tes gestes d’attaquant racé. Tu étais devenu, souvent, le seul prétexte pour regarder une rencontre de United. En janvier 2013, dans une longue interview accordée à Sky Sports, tu confiais qu’être « avant-centre, c’est sans cesse « stop and start » » . Alors je t’ai encore plus scruté pour tenter de te comprendre. Inlassablement. Ton toucher de velours, tes caresses, tes courses, tes appels, tes bras d’une longueur infinie pour asseoir ton équilibre, tes buts d’un esthétisme hors pair défiant le commun des mortels. C’est un péché, j’en ai bien conscience, mais ô combien exaltant. Un jour, le journaliste Leo Verheul et ami de longue date de ton père Bob a dit de toi : « Chaque ballon qu’il touchait, avec son pied gauche, uniquement son pied, il le touchait comme si c’était sa petite amie. » J’ai beau chercher, je ne trouve aucune meilleure formule te concernant. Fils d’artistes (sa mère est peintre et son père sculpteur, ndlr), tu as constamment été bercé par l’art plus jeune. Mais l’art est souvent incompris. Et tu as toi-même été souvent incompris, coupable de voir un terrain vert « comme si c’était (t)a toile » et un champ d’expression où pouvait s’exprimer ta singularité. À Kralingen, quartier populaire de Rotterdam, ton éducation a été basée sur le culte de la liberté et de l’épanouissement de l’individu. Forcément, comprendre cela, c’est appréhender une vision des choses moins prosaïque qu’à l’accoutumée.
À Manchester, tu avais tout pour t’épanouir, toi qu’on avait fini par affubler du sobriquet « Mister Perfect » . Un Théâtre des Rêves en guise de terrain de jeu et un club habitué et à connaître le devant de la scène. Puis Fergie s’en est allé, et toi, sans doute le plus marqué par ce départ comme l’a révélé Rio Ferdinand, tu as sans le savoir commencé à écrire ta propre fin. Un autre Écossais, à l’aura moins transcendante, est arrivé, et tu n’étais plus vraiment Robin van Persie. Le maillot n’était plus délicatement rentré dans le short, la barbe de trois jours parfois ostensible, le réalisme devant le but moins implacable, le regard plus aussi impavide que par le passé, les jambes plus lourdes, les blessures à nouveau contrariantes. Par orgueil, tu as quand même rappelé que tu étais encore là. En hochant toujours la tête après chaque but ou en inscrivant un hat-trick mémorable contre l’Olympiakos, en 8e finale retour de C1 (3-0, 19 mars 2014). Avec la venue de Van Gaal, j’ai pourtant cru que tu retrouverais de l’élan. Il n’en a rien été. Trop fier pour accepter cette situation, je n’ai eu cesse de te défendre alors que les critiques à ton égard pleuvaient. Par ta faute, oui, j’étais également devenu incompris. Le tort, peut-être, de ne plus lire le football à l’aune des statistiques en te regardant. Mon Robin, ta grâce, ta poésie et ton élégance avaient raison de mon sens critique. Pour mon bien, et si c’est encore une fois difficile à admettre, ton départ est finalement judicieux. Mais ne t’en fais pas, je ne t’oublie pas. À chaque fois que je te verrai distiller ta beauté en Turquie, j’entonnerai à tue-tête, en souvenir, ce chant à ta gloire qui m’a escorté durant trois ans : « Ohh Robin van Persie, Ohh Robin van Persie ! »
Par Romain Duchâteau