- Retraite de Louis van Gaal
Van Gaal, le chèque et l’échec
Il pensait qu'il pourrait se faire aimer comme jamais. Il pensait avoir toujours raison. Il pensait, aussi, qu'Old Trafford tomberait sous son charme. Cela n'aura duré que vingt-deux mois et la fin fut tragique. Le 23 mai dernier, Louis van Gaal quittait Manchester United qui restera donc le dernier poste d'une carrière longue de près de trente ans. Retour sur une aventure entre grosses signatures et belles ratures.
Uli Hoeness avait finalement raison : « Le problème de Louis van Gaal, c’est qu’il ne se prend pas pour Dieu, mais pour le père de Dieu. Avant même que le monde existe, Louis van Gaal était déjà là. » L’ancien président du Bayern Munich, patron du Pélican entre 2009 et 2011, le sait peut-être mieux que personne : se lier d’amour avec le technicien hollandais était synonyme de rêve impossible. La romance ne durait qu’un temps et se terminait, souvent, dans la cacophonie. À sa manière, Louis van Gaal était un révolutionnaire, mais surtout un homme avec une tête au moins aussi grosse que son ego, comme il le résumait bien : « Généralement, j’ai raison. » Il ne s’adapte pas, il impose. Lors de son arrivée à Manchester United en novembre 1986, Sir Alex Ferguson avait également sonné sa propre révolution selon ses propres règles à un effectif miné de l’intérieur par un drinking club tout puissant. Avec l’entraîneur écossais, rien ne serait plus pareil.
« Votre boulot est de soutenir votre nouvel entraîneur »
Ferguson a ses convictions travaillistes ancrées aux chevilles, ne juge que par la méritocratie et le respect de l’institution club. Alors, à Manchester, il interdira l’alcool, imposera le costume les jours de match et rasera ses joueurs de près. En vingt-sept ans à Old Trafford, Sir Alex Ferguson a accouché d’une hydre à plusieurs composantes : une formation maison essentielle, une machine à trophées et un monstre économique intouchable. Il sait mieux que personne ce que représente jouer et travailler pour Manchester United.
C’est d’ailleurs par ces mots qu’il se retira en mai 2013, pour s’occuper de sa femme, Cathy, affectée par le décès de sa sœur jumelle Bridget : « Je voudrais simplement vous rappeler que lorsqu’il y a eu de mauvaises périodes ici, le club a toujours été derrière moi, mon staff a toujours été derrière moi, mes joueurs sont toujours restés derrière moi. Votre boulot, maintenant, est de soutenir votre nouvel entraîneur. C’est quelque chose d’important. » Un message dirigé vers l’ensemble des composantes de l’institution Manchester United au-dessus de laquelle rien ne doit dépasser. Sauf que Louis van Gaal, lui, a souhaité se rendre plus important et a refusé, une nouvelle fois, de s’adapter dans un club où, au-delà de Sir Alex Ferguson, le directeur exécutif David Gill venait aussi de laisser sa place, laissant débarquer des dirigeants costumés dont le seul intérêt est aujourd’hui de faire vivre « la marque » .
Le roi Louis
Alors dès le premier jour, en juillet 2014, Aloysius « Louis » Paulus Maria van Gaal avait fait installer deux palissades le long des terrains d’entraînement pour les protéger du vent. La suite ? Un remplacement des pelouses des terrains d’entraînement pour mettre une herbe identique à celle d’Old Trafford, le licenciement de l’officier de liaison du club, le remplacement des tables carrées par des tables rondes, la fermeture de la crèche d’Old Trafford et la remise en cause publique de la tournée estivale du club. En lui, Louis van Gaal a du Mohamed Ali : il se sent génial et il le dit. Avec lui, le vice-président de Manchester United, Ed Woodward, rêvait d’ouvrir « une nouvelle page de l’histoire du club » .
Vingt-deux mois plus tard, Woodward a finalement déchiré un chapitre presque vierge et s’est une nouvelle fois cassé les dents dans un hôtel où il a annoncé au technicien hollandais son licenciement. Louis van Gaal, lui, en est sorti et a lâché un « it’s over » symbolique. Cette fois encore, Manchester United n’avait pas su retrouver sa lumière, et ce, malgré une FA Cup remportée difficilement contre Crystal Palace (2-1) – premier titre de l’ère post-Ferguson. Après la rencontre, le Pélican avait déjà compris en débarquant en conférence de presse avec le trophée : « Je suis fier d’avoir remporté le premier trophée majeur de Manchester United depuis le départ d’Alex Ferguson. » Silence. Quelques questions sur son avenir, le recrutement et un départ : « Au fait, merci pour vos félicitations. » Ce seront ses derniers mots dans le costume d’entraîneur de United. La fin, aussi, d’une romance avec des journalistes qu’ils jugent « incompétents » pour discuter avec lui et une presse qu’il tient responsable de son éviction.
So long Louis. It was fun while it lasted.https://t.co/E0hABPISEjhttps://t.co/qW8l2QFyCx
— Match of the Day (@BBCMOTD) 23 mai 2016
Les jeunes, la seule satisfaction
Et pourtant. Pourtant, longtemps, les dirigeants mancuniens avaient accepté de suivre Van Gaal dans ses choix. Old Trafford, lui, s’est rapidement lassé face à un spectacle stéréotypé et des résultats indignes portés à leur paroxysme par une élimination précoce en Ligue des champions, dès les poules, en décembre 2015. La révolution n’a pas eu lieu et l’entêtement de Louis van Gaal a agacé, définitivement. Troisième avec les Pays-Bas au Mondial 2014, le Pélican avait pourtant tout de plus que David Moyes, son prédécesseur : un CV blindé, champion dans quatre pays différents, un passé européen et un amour de la jeunesse, là où Moyes ne comptait qu’un titre de champion de troisième division avec Preston North End en 2000.
Finalement, les deux hommes auront laissé à peu près la même trace à Manchester : la trace indélébile d’une incapacité chronique à faire revivre l’histoire d’un club historique selon ses principes. Et ce, même si Louis van Gaal a dessiné lors de ses derniers mois une voie royale à la jeunesse mancunienne. Il faut d’ailleurs se rappeler que la première feuille de match du Hollandais à Manchester United, face à Swansea en août 2014, avait laissé apparaître Jesse Lingard titulaire. Le même Lingard qui aura marqué, à Wembley, le dernier but de son mandat. Sa seule adaptation au système United.
« Tout le monde prend ce qu’il veut »
C’est peut-être tout ce que l’on retiendra de ce bilan : de jeunes promesses qui ont soigné, ponctuellement, la copie finale. Sinon ? Plus de 300 millions d’euros crachés sur des paris ratés. Premièrement, Louis van Gaal est un adepte du conflit et n’adaptera jamais son système à ses joueurs. Une sorte de « marche ou crève » où Ángel Di María a explosé en plein vol, lâchant à son arrivée au PSG qu’il « est difficile de s’adapter au système de Louis van Gaal, car il ne déroge pas à sa philosophie. Tout le monde prend ce qu’il veut » , et ce, malgré un chèque de 75 millions d’euros. Deuxièmement, il sait aussi se tromper avec des erreurs de casting répétées. Parallèlement, c’est aussi la question du jeu proposé qui a souvent posé question. Au cours de son mandat, Louis van Gaal a pris certaines leçons. En Europe d’abord, mais aussi en Angleterre, à Arsenal notamment (0-3) ou encore à Leicester (3-5). C’est peut-être le plus grand problème, car regarder jouer Manchester United était devenu une caution à ennui, comme le souligna un jour Peter Schmeichel. Ce n’est pas pour ça que l’on vient à Old Trafford, ce n’est pas pour ça que le board mancunien avait été chercher le Pélican.
Redonner vie à l’institution
L’objectif était alors de redonner vie à l’institution. Depuis, Manchester United a ouvert une nouvelle page de son histoire avec, à sa tête, José Mourinho. De cette place, l’entraîneur portugais en a rêvé. Il en avait aussi pleuré, lorsque Moyes lui avait été préféré pour succéder à Sir Alex Ferguson en 2013. De Mourinho, Ferguson affirme « qu’il a des couilles » et qu’il « peut diriger n’importe quelle équipe et gagner n’importe où » . En l’espace de sept mois, c’est ce que Mourinho a finalement commencé à faire après des débuts contrariés, le temps d’appréhender un effectif une nouvelle fois dopé par un recrutement étoilé. Aujourd’hui, son Manchester United est l’équipe qui possède la série d’invincibilité la plus longue en cours dans les cinq grands championnats (16 matchs). Le jeu commence à revenir, l’ambiance aussi, mais un titre de champion semble pour le moment hypothétique. Jusqu’où peut aller le Manchester United de Mourinho ? Personne ne peut savoir. Mais Louis van Gaal, qui vient d’annoncer sa retraite pour des « raisons familiales » va pouvoir le regarder. Avec des traces de son héritage malgré tout et une rupture nette plus que nécessaire.
Par Maxime Brigand