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Van Basten, dur dur d’être entraîneur !
La nouvelle est passée complètement inaperçue en France, mais le 28 août dernier, l'AZ Alkmaar a décidé de mettre au repos pendant deux semaines son entraîneur Marco van Basten après des ennuis de santé. Une nouvelle qui inquiète, mais qui n'étonne pas plus que ça dans un sport où l'entraîneur a souvent le rôle du con. Tout du moins, du fusible.
17 août 1995. Après avoir lutté pendant deux pleines saisons contre une cheville délicate, amoindrie par une opération chirurgicale qui l’était tout autant, Marco van Basten jette l’éponge la mort dans l’âme : le football, c’est fini pour lui. Une tragédie d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. La perte d’un joueur d’éclat, qui restera notamment dans les annales pour avoir marqué l’un des plus beaux – si ce n’est le plus beau – buts de l’histoire de l’Euro en 1988 face aux Soviétiques, en plus de ses fulgurances avec la liquette de l’Ajax ou du Milan AC. Près de vingt ans plus tard, MVB va peut-être devoir dire adieu prématurément au monde du football une seconde fois. Le 28 août dernier, l’AZ Alkmaar annonce avoir mis au repos son entraîneur pour deux semaines, d’un commun accord, après que ce dernier a été victime de palpitations cardiaques. Un entraîneur au bord de la crise de nerfs ? Rien de surprenant, direz-vous. Au détail près que Marco van Basten n’a que 49 ans, quand des entraîneurs comme Gérard Houllier, Guy Roux ou Sir Alex Ferguson abandonnaient leurs fonctions pour raisons de santé bien après l’âge de départ à la retraite.
Un système qui use les hommes
Pour autant, la situation ne surprend pas Béatrice Barbusse, maître de conférences à l’Université de Paris Est Créteil et auteur de l’ouvrage Être entraîneur sportif (aux éditions Lieux Dits) : « 45, 50 ans, c’est l’âge fatidique pour un homme. C’est l’âge auquel les petites notes de la vieillesse commencent à apparaître, où la machine physique fonctionne moins bien. » Lorsqu’il était réapparu du côté de Heerenveen après ses trois années sabbatiques suite à une pige malheureuse à l’Ajax, MVB avait, il est vrai, pris sacrément dans la gueule. Le visage plus livide, le cheveu plus blanc. Et sans doute d’autres soucis, d’après Barbusse. « Tout le stress que vous avez pu accumuler peut se traduire d’une manière ou d’une autre : des symptômes pyschologiques, des signes de dépression, des insomnies, des problèmes gastriques, des ulcères, voire des problèmes cardio-vasculaires. » Dans le cas précis de l’entraîneur de l’AZ Alkmaar, des palpitations cardiaques, donc, qui font suite au décès de son père Joop van Basten, ancien joueur du VV DOS, survenu en juillet dernier. La goutte d’eau qui a fait déborder le vase. « C’est le système dans lequel on met les entraîneurs qui explique cet état de fatigue et il peut y avoir des facteurs personnels, des circonstances personnelles qui vont accélérer la chose, assure Béatrice Barbusse. La mort du père de Van Basten aurait pu ne pas le fragiliser autant dans un autre contexte. »
« Quand vous êtes entraîneur, vous l’êtes 24h/24 et 7j/7 »
Sauf que voilà, le métier d’entraîneur requiert une incroyable résistance aux pressions et cadences infernales inhérentes au secteur du sport, et précisément au football professionnel. « On est dans un milieu qui subit des pressions diverses et variées liées aux contextes économique et médiatique qui apportent un stress encore plus important et donc, encore plus difficile à gérer, croit savoir l’auteur d’Être entraîneur sportif. Ce ne sont pas des pressions directes et explicites. On ne leur dit pas tous les jours qu’ils doivent gagner, mais ils ont intériorisé le fait qu’ils n’ont pas le droit de perdre. On ne les engueule pas à chaque fois qu’ils perdent et pourtant, vous constatez que la défaite est systématiquement mal vécue par les entraîneurs. Guy Roux expliquait que même si vous êtes en milieu de tableau, c’est un équilibre fragile avec la pression mise par ceux d’en bas. Et si vous êtes dernier, vous avez la pression de descendre. Donc la pression est tout le temps présente et il faut être dans les meilleurs, si ce n’est le meilleur. » Et pour être le meilleur, le talent seul ne suffit plus. La force de travail, elle, est devenue nécessaire à l’exercice d’entraîneur. Barbusse : « La temporalité du sport n’est pas la même que celle des autres milieux professionnels. Quand vous êtes entraîneur, vous l’êtes 24h/24 et 7j/7. Il y a cet hyper-investissement qui génère des risques psycho-sociaux. C’est de la passion et de la souffrance, ça n’est plus un métier, on est dans l’affect. Cette implication n’est pas bonne. »
L’entraîneur, ce vulgaire chef de projet
À dire vrai, le milieu du sport professionnel peut être comparé à n’importe quel autre secteur d’activité. Et dans cette configuration-là, l’entraîneur possède le statut peu enviable de « chef de projet » . Cet espèce d’employé fourre-tout, à qui l’on demande de faire un maximum de choses dans un temps réduit avec des obligations de succès plus ou moins immédiat. Sans quoi, l’entraîneur/chef de projet sera remplacé manu militari. Parce qu’il est très facile de piocher dans un vivier pléthorique d’entraîneur sans emploi de même que de trouver un nouveau chef de projet sur LinkedIn en tapant « project leader » dans la barre de recherche. « C’est une fonction-fusible, s’emballe Béatrice Barbusse, qui sait de quoi elle parle puisqu’ancienne présidente de l’US Ivry Handball. Plus le sport est professionnel, plus le turn-over est fréquent, et le football est le sport le plus monétisé. Il y a une certaine précarité dans le métier d’entraîneur. Mais en termes de durabilité, pas forcément financière. »
Le bon choix de l’AZ Alkmaar
En découle un autre problème auquel doit faire face l’entraîneur : le syndrome du « millionnaire » . Parce qu’il est grassement payé pour coacher une équipe, l’entraîneur, tout humain qu’il est, n’a pas le droit de se plaindre. Encore moins d’avoir des ennuis de santé qui l’empêchent d’exercer son métier. Selon la maître de conférences et chercheuse en sociologie, « si vous dites à haute voix que ça vous pèse, que les déplacements sont fatigants, que vous avez mal ici ou là, ça veut dire que vous n’êtes peut-être pas fait pour ce milieu et vous avez peur d’en être écarté. Cette culture de la performance et de la compétition exige d’être fort. » À tel point que la majorité des clubs eux-mêmes oublient de prendre en compte la pénibilité du métier d’entraîneur. « Il y a un problème de gestion des ressources humaines dans les institutions sportives. On parle de gestion de communication, marketing, mais jamais RH. Il faut se poser la question des conditions optimales pour tous, et notamment de l’entraîneur. S’il faut rajouter des vacances, on rajoutera des vacances. Si l’on doit annuler l’entraînement demain, on annulera l’entraînement, lance Barbusse. Van Basten et l’AZ Alkmaar ont incontestablement fait le bon choix en accordant deux semaines de repos au technicien batave. C’est très courageux de la part de Van Basten et c’est une attitude très responsable, humaine et compréhensive de son club. »
Moto et sculpture pour décompresser
Une attitude « très sage » qui fait malheureusement figure de cas isolé dans le football professionnel. Alors, les coachs compensent de leur côté, en interne, tant bien que mal. « Ça passe par une passion autre dans laquelle ils vont s’investir. Ça peut être la moto, comme l’un des directeurs du club de Liverpool. Ou la sculpture comme Maurice Houvion, l’ancien entraîneur de saut à la perche. Il faut trouver un deuxième hobby pour souffler et sortir de son univers, confirme Barbusse. Ça peut aussi passer par la pratique du sport. Ou la consultation d’un psychothérapeute. Guy Roux, dans son livre, explique qu’il a été voir un copain psychothérapeute qui l’a soigné par auto-hypnose. Dans tous les cas, on voit de plus en plus d’entraîneurs qui essaient d’évacuer d’une manière ou d’une autre. » Mais l’ancienne président de l’US Ivry Handball est catégorique : dans ce métier, on ne fait pas de vieux os façon Bobby Robson et ses 71 ans sur le banc de Newcastle. « Entraîneur – comme président – c’est une fonction qu’on ne peut pas faire toute sa vie. Il me paraît impossible de faire ce métier pendant quinze, vingt ans sans vous arrêter. Je pense à Pep Guardiola. Il a arrêté un an après le Barça. Qu’est-ce qu’il disait ? Qu’il avait envie de souffler. » Une réponse qui renvoie à la première chose que l’on apprend dans l’exercice du sport et donc, en école de football : la récupération est tout aussi importe que l’effort. Parole d’entraîneur.
Par Matthieu Rostac