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Valverde : « La schizophrénie identitaire, c’est de la littérature »

Propos recueillis par Javier Prieto-Santos
Valverde : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>La schizophrénie identitaire, c’est de la littérature<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

En quelques mois à la tête de l’Athletic Bilbao, Ernesto Valverde a réussi à faire oublier Bielsa et a hissé les Leones jusqu’à la 4e place du classement. Une surprise ? Pas vraiment. Valverde est déjà pressenti pour remplacer Tata Martino au Barça en cas de départ de l’Argentin. Interview avec un type à part.

Vous êtes né à Viandar de la Vera, un village de 300 habitants. C’est comment ?

J’ai vu le jour dans ce très petit village effectivement, mais je n’y ai jamais vécu. Quand j’avais 6 mois, mes parents ont décidé de quitter l’Estrémadure pour trouver du travail au Pays basque, à Vitória. C’est donc ici que j’ai grandi et que j’ai fait ma vie. Malgré tout, j’essaie d’aller le plus souvent possible à Viandar. J’y ai encore de la famille et puis c’est un endroit merveilleux perdu dans une vallée où la nature est encore bien préservée. Pour situer, ce n’est pas très loin des Hurdes.

C’est là-bas, dans les Hurdes que Luis Buñuel a tourné Terre sans pain, non ?

Oui, mais ça a changé depuis le passage de Buñuel, heureusement ! On n’arrache plus la tête des poulets vivants ! (Rires)

Le fait de ne pas être né basque, mais de l’être devenu par la force des choses vous a-t-il aidé à comprendre le Pays basque et l’Athletic Bilbao d’une manière différente ?

Mmmhh… (il fait la moue). Je n’ai jamais eu de problème identitaire de ce type. C’est vrai que ma famille et moi étions des immigrés, mais les Basques ne me l’ont jamais fait sentir comme tel. À Vitória, j’étais un Basque de plus. Dans mon quartier, beaucoup d’enfants étaient issus de l’immigration intérieure et ça ne posait pas de problème. On était tous très bien intégrés… Sincèrement, j’ai toujours su d’où je venais et d’où j’étais. La schizophrénie identitaire, c’est de la littérature : j’ai toujours été à l’aise avec l’environnement dans lequel je me trouvais. J’ai vécu à Barcelone, à Valence, à Majorque et à l’étranger. Et je ne me suis jamais retrouvé déboussolé.

Pourquoi ce surnom de Txingurri (la fourmi) ?

C’est Javier Clemente qui m’a baptisé comme ça lorsqu’il était mon entraîneur à l’Espanyol Barcelone. À l’époque, j’étais le plus petit de l’effectif. Et contrairement à ce que l’on pourrait penser, c’est un surnom plutôt affectueux. Ce n’est pas quelque chose qui me dérange vraiment.
Quand je plaçais mon œil dans l’objectif de la caméra, j’étais dans ma bulle.

La photo, pour vous, c’est un moyen d’échapper au monde du football ?

J’étais très jeune quand j’ai commencé à m’y mettre. Le but n’était pas d’oublier le football, car il a toujours été dans un coin de ma tête, mais plutôt de m’évader de tous les à-côtés du football. L’univers du football peut parfois être oppressant. La pression, la presse, le regard des autres… Tout ça nécessite d’être digéré d’une manière ou d’une autre. Et dans mon cas, c’était la photographie. Quand je plaçais mon œil dans l’objectif de la caméra, j’étais dans ma bulle et je pensais uniquement à ce que j’avais shooté. L’espace de quelques secondes, tout le reste n’existait pas. Une fois que j’avais pressé sur le bouton, par contre, le football revenait s’installer dans un coin de ma tête.

C’était quoi votre premier appareil photo ?

C’était une vieillerie, mais je l’adorais : un Olympus tout carré qui appartenait à mes parents. Après, j’ai eu un Canon AE1 Program. Je me rappelle encore du modèle parce que j’avais demandé à un ami qui partait faire son service militaire aux îles Canaries de me l’acheter. Là-bas, il y a moins de taxes, donc c’était plutôt avantageux. Le problème, c’est que j’ai dû attendre un an qu’il me ramène mon Canon. À un moment donné, je me suis même demandé s’il allait vraiment me le rapporter un jour… Mon pote avait eu une permission à Noël et quand je l’ai vu revenir sans mon appareil, j’ai commencé à douter. Je me suis dit : « Il a dépensé l’argent que je lui avais donné et il ne veut pas me le dire ! » (Rires) Bon, au final, il a quand même tenu sa promesse et j’ai pu laisser de côté mon Olympus.

Combien vous lui aviez donné, à votre ami, à l’époque ?

40 000 pesetas, l’équivalent de 250 euros d’aujourd’hui. C’était une grosse somme pour l’époque. Cela correspondait à mon salaire mensuel au Deportivo Alavés.

C’est quoi pour vous « jouer bien » ?

Le fait de bien jouer, ce n’est pas quelque chose que j’associe à l’individualisme. Jouer bien, c’est un point de vue collectif. Si tous les éléments d’une équipe travaillent ensemble, tout le monde peut bien jouer. Par contre, si un joueur prend du plaisir sans se soucier de ce qui l’entoure, il y a de fortes chances que le collectif soit bancal. Pour moi, un entraîneur, c’est avant tout un type qui doit trouver de l’équilibre pour faire fonctionner au mieux tous les rouages de sa machine. Une fois cet équilibre trouvé, c’est aux joueurs de donner le meilleur d’eux-mêmes. Avec ou sans passements de jambe, peu importe, du moment qu’ils ont compris qu’ils faisaient partie d’un tout, ils peuvent s’exprimer, selon moi, plus librement. La notion de collectif ne bride pas un joueur, au contraire. J’ai plutôt tendance à croire que c’est justement ce qui lui permet de mieux s’exprimer sur le terrain.

Qu’un joueur fasse des gestes techniques pour épater la galerie, ça vous énerve ?

Je ne suis pas contre la futilité, je suis un ami de l’efficacité, ce n’est pas pareil. Je n’interdis pas à mes joueurs de tenter des gestes techniques, j’essaie juste de leur faire comprendre que ce n’est pas une fin en soi. Le but d’une équipe, c’est de gagner, si on peut saupoudrer la victoire de jolis gestes, c’est tant mieux, mais ce qui compte et ce que tout le monde retient au final, c’est la victoire.

Justement, est-ce que votre passion pour la photographie peut interférer d’une manière ou d’une autre dans votre activité professionnelle ?

Non, parce que le football ne donne pas de répit. Quand j’ai repris Valence la saison dernière, c’était l’état d’urgence, et cette année avec Bilbao, le club entame un nouveau cycle. Les gens attendent de la part d’un entraîneur des résultats et du travail, pas que je prenne un appareil photo. J’ai une responsabilité énorme vis-à-vis des clubs qui m’embauchent et l’Athletic, pour moi, c’est encore plus spécial…

Vous dites souvent que la Grèce a une couleur spéciale…

(Il coupe) La Méditerranée toute entière a une lumière particulière. Mis à part Alavés et Bilbao, j’ai réalisé toute ma carrière de joueur et d’entraîneur dans des villes méditerranéennes.

Les Grecs ont une économie spéciale aussi…

Quand j’entends les gens parler en mal de la Grèce, ça m’attriste. Pour moi, la Grèce est un pays incroyable. Alors oui, ils doivent encore progresser dans beaucoup de domaines et oui, il y a de la corruption, mais dans quel pays il n’y a pas de corruption ? Il n’y a aucun état européen qui puisse mettre sa main au feu en jurant : « Chez nous, il n’y a pas de corruption, on est propres ! » Avec moi, les Grecs ont toujours été super généreux. Ils m’ont toujours traité d’une manière incroyable. Et puis, la Grèce, c’est le plus beau pays d’Europe. Ils ont des richesses culturelles et naturelles incroyables… Ce pays est une merveille. Alors oui, ils doivent faire des efforts dans plein de domaines, ça, il n’y a pas de doutes, mais aucun pays n’est parfait. Cela n’existe pas. Souvent, les gens qui parlent en mal de la Grèce n’y ont jamais mis les pieds. Je leur conseille une chose : y aller. Peut-être qu’en voyant toutes les beautés de ce pays, ils auront un autre point de vue.
J’ai énormément de respect pour le travail de Bielsa. C’est un grand entraîneur, je dirais même un obsédé du football.

Quel bilan vous tirez de votre expérience à l’Olympiakos ?

Ce n’est pas un club facile. Ceux qui supportent l’Olympiakos croient toujours que la victoire est une chose acquise. Gagner ne leur suffit pas, ils veulent y voir la manière. Là-bas, on demande de la fierté et de la prise de risque aux joueurs. Ils n’aiment pas se poser en victimes ou qu’on les considère comme un adversaire facile à prendre. En Coupe d’Europe, même lorsqu’on jouait contre Arsenal ou Manchester United, ils nous demandaient de gagner. Pour eux, c’est difficile d’admettre que l’Olympiakos ne jouent pas d’égal à égal contre des clubs de ce calibre.

C’est la deuxième fois que vous entraînez l’Athletic. Qu’est-ce que ça représente pour vous de revenir dans ce club ?

J’ai une relation particulière avec l’Athletic Bilbao et c’est pour ça que j’ai longtemps hésité avant de prendre ma décision de revenir. Ici, j’ai mes amis, ma famille, ma maison, c’est une situation confortable et stressante à la fois, parce que la responsabilité est plus grande puisqu’il y a un lien affectif très fort entre moi et cette région. Quand tu entraînes un club étranger, ta famille souffre un peu moins des défaites. À Bilbao, j’ai ce côté affectif qui entre en ligne de compte. À Bilbao, j’ai la responsabilité de ne pas décevoir les gens qui me sont proches. Je me suis demandé si j’en étais capable avant de revenir. Et après une longue réflexion, j’en suis arrivé à la conclusion que j’étais assez fort pour assumer la déception causée par une défaite sur mon entourage proche. Il faut savoir relever des défis. Bah, voilà, je suis en plein dedans.

C’est difficile de passer derrière Bielsa ?

J’ai énormément de respect pour le travail de Bielsa. C’est un grand entraîneur, je dirais même un obsédé du football. Lui, il pensait football à longueur de journée et c’est quelque chose qui peut faire peur aux gens. Mais le football peut véritablement absorber des vies entières. Moi-même, j’ai passé des journées entières à regarder des matchs de football. Il y a des jours où j’aimerais penser à autre chose qu’au ballon, mais c’est difficile. Quelquefois, je rêve même de football pendant que je dors.

Les supporters apprécieraient. Il y a toujours ce côté « il faut mouiller le maillot » …

Cela rassure les gens d’imaginer qu’on se casse la tête 24h/24 pour que l’équipe joue le mieux possible. Certaines personnes ne conçoivent pas que le footballeur est un être humain comme les autres. Moi, j’ai besoin de prendre un peu de distance pour analyser le football. Passer des journées entières à regarder des matchs, c’est bien, mais il faut savoir dire stop ! Quand je ne prends pas mon appareil photo, je vais au cinéma pour faire un break. Déconnecter et voir autre chose qu’un ballon, c’est vital.

Et qu’est-ce que vous cherchez à voir pendant vos séances vidéos 24h/24 ?

Je regarde beaucoup comment jouent nos adversaires, comment on joue, pourquoi dans certaines phases de jeu, on est l’aise et dans d’autres moins. Je regarde beaucoup mes propres joueurs aussi, afin de les corriger ou travailler des aspects qui m’ont plu et qu’on pourrait approfondir pour le bien du collectif. Cela peut être des vidéos de matchs ou des séances d’entraînement… Le football, c’est quelque chose d’interminable, il y a toujours des trucs à voir. Mais mince, des fois, il peut y avoir overdose.

Malgré cela, vous arrivez encore à vous passionner pour des matchs à la télévision ?

Oui, bien sûr. Je prends beaucoup de plaisir à regarder des matchs de Ligue des champions. Je regarde les matchs de l’Olympiakos dans cette compétition. J’ai regardé leurs deux matchs contre le PSG. Je voulais qu’ils gagnent, mais bon… Même si j’ai tendance à avoir des tics d’entraîneur quand je regarde un match, j’arrive facilement à faire la distinction entre l’analyse footballistique pure et la passion footballistique.

Vous en avez pensé quoi du PSG ?

Pour moi, c’est la même équipe que l’année dernière… Ils ont des grands joueurs capable de faire la différence à n’importe quel moment, même dans un mauvais jour.

Vous avez entraîné les jeunes de l’Athletic. C’était votre première expérience en tant que coach. Quel souvenir en gardez-vous ?

Pour un entraîneur, s’occuper des jeunes, c’est la partie la plus agréable du métier. Un entraîneur de football ne prend du plaisir avec le jeu de son équipe que s’il y a la victoire au bout. Je trouvais ça plutôt gratifiant de m’occuper des espoirs du club. J’avais la sensation d’être un professeur. À ce moment-là de leur carrière, les joueurs sont encore innocents, libres, et les égos ne sont pas encore totalement formés. C’est évidemment très différent quand tu t’occupes des pros.

C’est difficile d’entraîner l’Athletic.

C’est différent, ce n’est pas difficile. Les groupes sont soudés parce que tous les joueurs savent qu’ils perpétuent une tradition qu’il faut respecter. Dans d’autres clubs, la gestion d’un vestiaire est sans doute un peu plus difficile, car les égos sont plus importants qu’ici. Cela n’empêche pas qu’il y ait des joueurs qui se plaignent de ne pas jouer assez ou des choses comme ça. Mais d’une manière générale, gérer le vestiaire de l’Athletic, c’est assez facile.
Le dernier joueur que j’ai vraiment pris en photo, c’est Nikopolidis.

Cruyff, Clemente et Heynckes ont été vos entraîneurs quand vous étiez joueur. Qu’est-ce que vous avez retenu d’eux ?

Clemente était très bon tactiquement. Il a toujours su construire des blocs équipes très solides et difficiles à battre. De Cruyff, j’ai surtout retenu ses séances d’entraînement. Il a révolutionné la manière d’entraîner en Espagne en privilégiant le travail avec le ballon. Cela a l’air bête de dire ça aujourd’hui, mais à l’époque, c’était vraiment quelque chose de nouveau. Heynckes, lui, était plus dans la psychologie. Il donnait beaucoup de confiance au joueur et arrivait à t’inoculer l’idée que tu étais plus fort que l’adversaire que t’allais avoir en face de toi.

Ils avaient des passions en dehors du football ?

En dehors du football, leur passion c’était le football. (rires) Je pense qu’ils avaient une passion comme tout le monde. Chacun devait avoir sa manière de déconnecter ou de s’exprimer en dehors du football. Pepe Mel, par exemple, adorait lire, c’est sans doute ce qui explique pourquoi il en a écrit un.

Dans un autre genre, Guardiola passe lui aussi pour un intellectuel…

(Il coupe) Pep est une personne normale, comme vous, comme moi, comme tout le monde… Heureusement qu’il y a des entraîneurs qui vont au cinéma, qui aime la cuisine ou qui s’intéresse à la géographie ou à l’histoire de l’art. Ce n’est pas incompatible d’avoir d’autres passions que le football. Je trouve même que ça aide à stabiliser une personne. Aimer des choses différentes du football, ce n’est pas anormal. Au contraire, je trouve ça plutôt rassurant. Pour certains, Guardiola est un type prétentieux parce qu’il réussit tout ce qu’il entreprend et lit des livres… C’est triste et surtout c’est faux. Pep est quelqu’un de très affectueux, très aimable. C’est un homme du XXIe siècle. Toutes les personnes publiques portent un sac à dos rempli de préjugés à leur égard. Il faut clairement s’en foutre. Le vrai problème de Guardiola, celui qui embête réellement certaines personnes, ce n’est pas son côté intello, non. Le vrai problème de Guardiola, c’est que c’est quelqu’un qui a tout gagné en tant qu’entraîneur.

Quel type de cliché vous prendriez pour expliquer l’Athletic Bilbao à travers une seule photo ?

Ouf, c’est difficile… (il réfléchit)

… Un béret basque ?

Surtout pas ! (rires) L’Athletic, c’est quelque chose de difficile à expliquer. Ce n’est pas quelque chose qu’on peut prendre en photo. C’est difficile de prendre une passion en photo, parce que justement la passion ne s’explique pas. Si le slogan du Barça est « Mes que un club » , on pourrait dire que l’Athletic Bilbao pourrait être « Mucho mas que un club »

Et si vous deviez faire une photographie avec un joueur, ce serait lequel ?

Je ne sais pas. Beckham, on lui a déjà pris beaucoup de photos, donc je ne pense pas que ça l’intéresserait de poser pour moi. Le dernier joueur avec qui j’ai vraiment pris des photographies, c’était Nikopolidis. C’est quelqu’un que j’apprécie beaucoup et qui est souvent venu me rendre visite en Espagne, mais ces photos-là ne sont pas dans le livre.

À Lire : Medio Tiempo, Éditions la Fabrica.

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Propos recueillis par Javier Prieto-Santos

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