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Valère Germain : « Me critiquer, c’était peut-être une petite mode »
En fin de contrat l’été dernier à Montpellier, Valère Germain a décidé de faire ses valises pour partir à 33 ans à l’autre bout du monde au Macarthur FC en Australie. Aux aurores, l’occasion était belle de prendre des nouvelles de l'ancien Monégasque et de faire le bilan de sa longue carrière dans l’Hexagone.
Comment se passe ta nouvelle vie en Australie ?
Magnifiquement bien. Dès qu’on est arrivés, on s’est tout de suite très bien sentis dans ce pays, dans cette ville. Il fait beau quasiment tout le temps, on a eu un hiver très ensoleillé, j’étais tout le temps en short. Les gens sont très cool, c’est safe… Et puis, vu que le foot est beaucoup moins populaire qu’en France et en Europe, on passe un peu plus inaperçu dans la rue. Ce n’est pas plus mal. Même si je n’étais pas non plus Zizou ou Ronaldo et qu’on ne m’arrêtait pas tous les 150 mètres, quand tu arrives en fin de carrière et que tu as un fils de 3 ans, tu as envie de marcher tranquille dans la rue.
Hormis marcher, qu’est-ce que tu peux faire à Sydney que tu ne faisais pas avant ? C’est con mais je peux aller boire un café en terrasse le jour de match. Ici, on n’a rendez-vous que deux ou trois heures avant le coup d’envoi. Il y a dix jours, on est allés jouer à Melbourne. La veille au soir, on a eu le droit de sortir un peu autour de l’hôtel pour découvrir la ville, même chose le matin du match. Alors qu’en France, tu ne le fais pas. Parce que ça peut être mal vu en matière de timing, même si c’est juste boire un café. Tu sais que si le soir même il y a un mauvais résultat, on va te critiquer à ce sujet.
Il y a pas mal de mythes et de clichés sur l’Australie en France : les températures extrêmes, les kangourous, les araignées qui tombent du ciel… Y a des trucs vrais dans tout ça ? Alors, il n’y a pas de kangourous à Sydney, mais le week-end dernier, on est allés dans le sud à 2-3h de route du côté de la baie de Jervis. Là, il y a des plages magnifiques, et tu peux y voir des kangourous sauvages. Mon fils adore ça. Ensuite, les araignées, on ne les voit pas tous les jours, mais heureusement hein… On en a eu une sur la terrasse et une dans la salle de bains qui étaient bien plus grosses que celles qu’on avait en France. Après, ici, ils ont tous un spray dans la maison qui aide à surmonter les peurs. (Rires.)
Tu fais du surf là-bas ? Je n’ai pas encore essayé parce que je ne suis pas très rassuré. Je vais me baigner dans l’océan, car tout le monde se baigne, mais les surfeurs vont un poil plus loin que nous. Ici, les plages sont surveillées par des sauveteurs et par des drones, et avec mon épouse, on suit sur les réseaux une personne qui surveille les plages de l’est de Sydney où l’on habite. Il lui arrive de temps en temps de voir des requins. Bon, il n’y a jamais d’attaque, il y en a eu genre deux en 60 ans, les requins vivent avec les nageurs, mais de savoir qu’il y a quelque chose en dessous… Je préfère garder l’eau jusqu’au nombril, ça me va très bien !
Pour revenir au ballon, tu as signé en faveur du Macarthur FC cet été. Quels parallèles et différences fais-tu avec le foot en France ? Je pense que tactiquement et techniquement, le football européen est encore largement au-dessus. Après, au niveau de l’intensité et physiquement, je ne vois pas trop de différences. Tout sportif peut courir assez vite et sauter peu importe l’endroit d’où il vient. C’est surtout au niveau tactique en fait, où l’on voit parfois des choses en match que tu ne verrais pas en Europe. Il y a un certain moment dans le match où tu n’as plus qu’un foot de transition : il n’y a plus trop de milieux de terrains, c’est attaque défense et ça part un peu dans tous les sens. Alors qu’en France, en Europe, tu verrais des équipes mettre un peu le pied sur le ballon pour faire tourner. J’essaye d’apporter un peu ça aussi à mon équipe.
Tu parles un peu avec tes coéquipiers de ces choses-là ? Ouais, bien sûr. Ils respectent beaucoup les joueurs qui viennent d’Europe. Le coach et les adjoints me parlent et me demandent de parler à mes coéquipiers aussi pour faire progresser un peu tout le monde. On a un bon staff : Mile Sterjovski, notre coach, est passé par le LOSC quand il était joueur et on a aussi un adjoint français (Christophe Gamel, NDLR) qui a beaucoup voyagé et qui apporte beaucoup tactiquement. C’est un club jeune, qui a besoin de progresser, mais tout le monde est à l’écoute, et on réalise un bon début de saison.
Qu’est-ce qui t’a convaincu d’aller là-bas ?
Cela faisait quelques mois que cette possibilité existait, mais j’avais au préalable l’envie de continuer à Montpellier. Au niveau familial, j’estimais que ce n’était pas le bon moment pour découvrir un nouveau championnat, un nouveau pays si lointain. J’ai eu l’occasion d’y aller en janvier, mais je ne me voyais pas partir comme ça. En y allant cet été, cela m’a permis de préparer ce départ dans de bonnes conditions, de bien réfléchir avec mon épouse, car c’est un choix de vie important. Après avoir eu la chance de faire une belle carrière dans certains des meilleurs clubs français, je voulais découvrir une nouvelle culture. On avait envie d’une nouvelle expérience.
Quel regard portes-tu sur ta carrière française justement ? C’est marrant parce que j’en parlais la dernière fois avec mon agent (Benoît Biancheri), que je considère comme quelqu’un de ma famille, et il me disait : « Tu peux être fier de ce que tu as fait. » Peut-être que je m’en rendrai bien compte un peu plus tard. Avec le recul, c’est vrai que j’ai remporté le championnat de France de Ligue 1 (2016-2017) et de Ligue 2 (2012-2013) avec Monaco, j’ai participé à la belle épopée de l’ASM en Ligue des champions (2016-2017) avec cette demi-finale. Je n’oublie pas non plus l’année à Nice (2015-2016), où l’on termine quatrième avec une bande de potes en pratiquant un beau jeu, super souvenir. Et puis petit, j’avais un rêve : c’était de jouer à l’OM. Et je l’ai réalisé ! La première année s’est bien passée là-bas. Avec notamment en point d’orgue cette finale de Ligue Europa à Lyon face à l’Atlético, ce record de points pour un quatrième de championnat avec des ambiances magnifiques au Vélodrome. Évidemment, on peut toujours faire mieux. Mais si on m’avait dit que j’aurais eu cette carrière quinze ans plus tôt, j’aurais signé de suite.
Pour évoquer la finale (perdue 0-3 en 2017-2018), il y a ce face-à-face avec Jan Oblak d’entrée de jeu que tu ne convertis pas. Tu y repenses parfois ? Oui, tu es obligé d’y repenser. Maintenant, c’est ancré en moi. J’aurais évidemment aimé que ce soit différent. Est-ce que si j’avais marqué à ce moment-là, on aurait gagné ? Je n’en sais rien. Est-ce que si derrière, on ne fait pas non plus cette petite erreur, cela n’aurait-il pas été différent non plus ? Personne ne le sait, personne ne le saura. On ne peut pas refaire le match, même si indéniablement, mon face-à-face a été un moment important dès la deuxième ou troisième minute du match. Avec le recul, je me dis surtout que ça a changé la suite de mon aventure à Marseille.
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En ce moment, on parle souvent du sujet de la santé mentale chez les joueurs. Lors de ton passage à Marseille, tu en as pris plein la tête à la suite de cette action ainsi que pour d’autres raisons, souvent injustement. Comment as-tu vécu et surmonté cette période ? J’ai eu la chance que cela se passe vraiment bien au quotidien avec mes coéquipiers. Il y avait une super ambiance dans le vestiaire, je m’entendais bien avec tout le monde, et ce, même si, la deuxième année, on n’a pas eu des résultats exceptionnels. Et puis, j’essayais de ne pas faire attention à ce qu’il se disait. Bien sûr, de temps en temps, tu entends les critiques, mais une fois que je rentrais chez moi, j’oubliais tout. L’OM est un club très médiatisé, donc quand tu es sous les feux des projecteurs, c’est plus intense qu’ailleurs. Et puis c’est l’époque des réseaux : dès que quelque chose sort, cela prend des proportions incroyables. C’était peut-être une petite mode aussi de m’attaquer, une critique facile. Mais je ne me sens pas mal du tout en tout cas quand je repense à ça, c’est le foot d’aujourd’hui. Je suis content de ce que j’ai fait là-bas. J’aurais pu faire mieux, mais je n’ai pas du tout un souvenir catastrophique de Marseille.
À Monaco, c’était l’inverse, notamment lors de cette fameuse saison du titre. Comment expliques-tu cette alchimie ? Tout s’est fait naturellement dès le début de saison. On n’était pas partis pour jouer dans un système avec deux attaquants, et finalement, pendant la présaison, on fait quelques matchs amicaux dans cette composition (4-2-2-2) et ça fonctionne immédiatement. On prend aussi rapidement confiance en se qualifiant pour la Ligue des champions, en août, avec aussi en championnat une belle victoire face au PSG à domicile (3-1). À Noël, je crois que l’on est seulement troisième (deuxième en réalité, NDLR) et puis on fait une deuxième partie de saison exceptionnelle où l’on gagne dix-sept matchs sur dix-neuf, sans la moindre défaite, avec des scores fleuves et le titre de champion au bout. À ce moment-là, tous les joueurs présents dans l’effectif ou presque faisaient la meilleure saison de leur carrière. Hormis peut-être Falcao, qui avait aussi fait des années extraordinaires à l’Atlético avant. Et puis après, tu en as certains qui ont peut-être fait encore mieux comme Bernardo Silva, Fabinho ou Kylian Mbappé.
Ce vendredi, il y a PSG-Monaco. Comment juges-tu l’évolution de Kylian Mbappé depuis votre année commune à l’ASM ?
Je pense que c’est une évolution naturelle. Quand il a commencé avec nous, on sentait dans son jeu, que ce soit à l’entraînement ou pendant les matchs, qu’il était déjà sûr de lui et de là où il voulait aller. On ne savait pas s’il allait être au top du top comme maintenant, mais ce qu’il avait fait sur les 3-4 derniers mois de la saison à Monaco, c’était exceptionnel. Et puis ce qu’il réalise depuis… c’est magnifique. D’être aussi performant, d’avoir autant de stats régulièrement, c’est exceptionnel. Mbappé fait partie des meilleurs joueurs du monde.
Il y a un match dans cette saison qui te vient tout de suite à l’esprit ? Le huitième de finale retour contre Manchester City où on l’emporte 3-1. On fait un match à l’aller où l’on perd 5-3, exceptionnel pour les téléspectateurs, j’imagine. On se dit rapidement en fait qu’ils sont forts offensivement, mais qu’on n’a pas démérité et qu’on a nos chances au retour. À Louis-II pour cette deuxième manche, je suis capitaine, et on sait que si on les bouge physiquement, qu’on va les chercher haut et qu’on met de l’agressivité, on peut leur faire mal. On applique cela parfaitement en première mi-temps, puis on ne voit pas le jour pendant quinze minutes en deuxième où ils reviennent à 2-1. Puis Baka’ (Tiémoué Bakayoko) met la tête à la fin… C’était vraiment un gros match. Éliminer ce Manchester City, qui a un projet exceptionnel, c’était une belle soirée.
Comment est-ce qu’on fête un titre de champion de France à Monaco ? En étant champions à l’avant-dernière journée, on a eu une semaine pour fêter ce titre. Cela coïncidait avec la période du Festival de Cannes, donc on avait organisé une ou deux fois des départs en bus qui partaient de Monaco avec pas mal de joueurs de l’équipe. Bon, on n’y est pas allés pour voir des films… On a fêté ça pendant une semaine. On savait qu’on ne serait pas super frais pour le dernier match à Rennes, mais bon, on a quand même réussi à gagner (3-2) avec nos cheveux teints en rouge et blanc. Puis il y a eu le moment du bus avec le toit ouvert, dans Monaco, pour aller du stade jusqu’au palais. Bon, c’est vrai qu’il n’y avait pas grand monde dans la rue, et je pense qu’il y avait des gens qui se demandaient qui étaient ces gars-là sur le bus (Rires). Mais arrivés au palais, c’était très sympa. On ne va pas mentir, il n’y avait pas une immense foule qui nous attendait, mais on a eu la chance d’aller dans le palais et de passer un moment avec la famille princière.
Tu as joué en France entre 2011 et 2023. Quel regard portes-tu sur l’évolution du foot français ? Je pense que le foot français a progressé au niveau du jeu et que Paris a fait beaucoup de bien avec son projet en ramenant de grands joueurs. On a un peu mal en ce moment sur les droits TV, mais le fait qu’on ait eu Neymar et Messi, ça a ramené beaucoup de monde dans les stades. C’est un peu facile de critiquer le PSG et son projet, car on a la chance d’avoir ce club qui permet que le championnat soit un peu plus regardé, et donc que l’on garde des super joueurs français. On le voit notamment quand on entend les joueurs étrangers qui viennent et qui disent que le niveau est bien aussi chez nous. Après, oui, la Ligue 1 n’est pas encore au niveau de l’Angleterre ou de l’Espagne, par exemple.
Cela t’aurait plu d’aller jouer dans un de ces grands championnats européens ? J’aurais aimé jouer en Espagne. Le championnat et le pays m’attiraient. L’Angleterre, c’est le championnat le plus suivi, mais bon, je ne suis pas une masse, et là-bas, ils ont des épaules larges comme ça (il mime), des gros gabarits, donc je pense que je me serais plus épanoui dans le championnat espagnol et même au niveau de la vie en Espagne. On aurait kiffé.
Comment est-ce que tu envisages la fin de ta carrière ?
Pour moi, j’ai toujours eu en tête que le foot s’arrêterait à 36 ans. J’en ai 33, j’ai signé pour deux ans, donc on verra à la fin de ces deux ans. Revenir en France et en Europe sera compliqué, car le championnat australien n’est pas très regardé et quand tu pars là-bas, à mon âge, c’est compliqué de revenir ensuite. Je le savais en signant. Donc on verra, pourquoi pas signer un an ou deux supplémentaires en Australie ou bien découvrir un autre pays. De toute façon, on sait que d’ici deux trois ans, on rentrera vivre à Monaco. Ma femme est monégasque, la famille du petit est là-bas, j’ai passé douze-treize ans à Monaco, donc j’ai tous mes potes là-bas, la maison qui se construit. On s’y sent bien, donc on reviendra vivre là-bas.
Tu as déclaré vouloir devenir agent après ta carrière. C’est toujours le cas ? Oui, j’aimerais voir un peu ce qu’il se passe dans les coulisses, dans les bureaux, découvrir de nouveaux jeunes joueurs et travailler avec eux. On voit un peu tout et n’importe quoi dans ce milieu-là et j’ai envie d’être le plus honnête possible, comme l’est mon agent, de ne pas raconter des salades, ne pas vendre du rêve à certains jeunes. D’une certaine manière, ce serait un bon moyen de perpétuer l’image que j’avais en tant que joueur et en tant qu’homme durant ma carrière.
Propos recueillis par Andrea Chazy