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Valentina Berr : « Le football féminin est aussi construit par nous, les déviantes »

Propos recueillis par Loïc Bessière
Valentina Berr : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Le football féminin est aussi construit par nous, les déviantes<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

« Je ne raccroche pas les crampons, ils le font pour moi. » C'est avec ces mots écrits sur Instagram que la joueuse du CE Europa (promu en D2 féminine espagnole) Valentina Berr a annoncé arrêter le football le 28 juillet. Son but n'était pas de rendre hommage à Booba, la suite de son message évoquant le poids de « souffrir en silence la haine et la violence structurelle contre les femmes transsexuelles ». À 29 printemps, dont 19 ans à courir après un ballon, l'attaquante a dénoncé les insultes et les discriminations qu'elle a dû affronter. Avec l'espoir de faire un peu avancer les choses.

Qu’est-ce que vous aimez dans le football ?Pour moi, c’est un moyen de rester connectée à mon enfance. Dès l’âge de 10 ans, j’ai adoré jouer au football. J’étais la petite fille fan de foot typique qui se promenait dans les rues de ma ville toute la journée avec le ballon au pied. Pouvoir faire de cette belle passion un aspect aussi central de ma vie était spécial pour moi. Je pense que l’on parle rarement de l’enfance des femmes transgenres de manière positive. Et pour moi, jouer au football, c’était, à bien des égards, redevenir une petite fille normale.

Votre équipe a été promue en deuxième division féminine. Vouliez-vous faire carrière dans le football ?J’aurais aimé arriver dans l’élite, bien sûr. Mais il y a beaucoup de talent dans ces catégories supérieures, y compris celle dans laquelle j’ai joué. Entre ça et ma retraite prématurée, je n’ai fait que la moitié du chemin.

L’ambiance qui existe dans les équipes de football masculin n’était pas du tout agréable pour moi.

Chez les jeunes, les garçons et les filles jouent d’abord ensemble avant la séparation des deux sexes. Comment s’est passé ce changement ?Pour moi, ce changement signifiait être plus à l’aise. L’ambiance qui existe dans les équipes de football masculin, au-delà de l’aspect purement footballistique, n’était pas du tout agréable pour moi. La masculinité hégémonique et l’hétérosexualité obligatoire qui existent dans le football masculin mettent beaucoup d’entre nous mal à l’aise, quel que soit notre sexe ou notre statut.

Pourquoi devoir passer des contrôles hormonaux vous affecté psychologiquement ?Parce que tout d’abord, ils ne sont effectués que sur des femmes trans ou des femmes dont l’apparence ne correspond pas à la norme (par exemple, une femme qui a plus de moustache, beaucoup de poils sur le corps, une grosse musculature…). Il s’agit d’une mesure discriminatoire, car la testostérone est variable chez toutes les femmes et encore plus chez les sportives, qu’elles soient trans ou non. De nombreuses collègues féminines qui ne sont pas transgenres dépassent ces limites établies, mais elles ne seront probablement pas contrôlées pour cela et elles ne devraient pas l’être. Il y a aussi la pression qui fait que si je dépasse la limite pour une raison quelconque, je serai bannie pendant un an. Et ils auraient pu me faire ça à n’importe quel moment ! L’anxiété qui découle du fait que vous seule à être autant surveillée, comme si vous étiez un danger, est énorme.

Pourquoi avez-vous décidé de vous manifester maintenant ?Parce que même si cela a été très douloureux à vivre, c’est aussi une fierté de prendre les coups pour que les générations futures puissent le vivre avec moins de douleur, moins d’obstacles et moins de violence. Je voudrais que tout le monde puisse vivre le football pour ce qu’il est : du football.

Je n’en ai parlé avec pratiquement personne. Je ne voulais pas que mon entourage soit exposé à cette violence.

Avez-vous parlé des insultes et des commentaires transphobes que vous avez reçus avec des personnes de votre entourage ? Et si non, pourquoi l’avoir gardé pour vous ?Je n’en ai parlé avec pratiquement personne. Je ne voulais pas que mon entourage soit exposé à cette violence. Je ne voulais pas que mes proches souffrent. Je pense que j’avais tort, car il est très important d’avoir un réseau de soutien réel, des amis, de la famille, des partenaires, peu importe, qui sont à vos côtés et qui vous font sentir que vous n’êtes pas seule.

Comment vos paroles ont-elles été reçues ?Beaucoup de monde m’a soutenue ! Surtout quand je dénonçais la violence que je recevais. J’ai toujours gardé le silence de peur que personne ne comprenne ma réalité. Mais lorsque j’ai pris ma retraite et que j’ai décidé de parler, toutes mes coéquipières, rivales, arbitres, entraîneurs, clubs et supporters m’ont apporté leur soutien avec de nombreux messages d’affection et de colère, car cela vous met vraiment en rage que la réalité soit ainsi. Mais si j’ai reçu beaucoup de soutien, j’ai aussi eu pas mal d’insultes sur les réseaux sociaux, bizarrement…

Êtes-vous surprise que l’on vous pose autant de questions ?Non, j’informe sur les réalités de la communauté LGBTQI+ depuis de nombreuses années et il existe un profond manque de connaissances à notre sujet. Toutefois, il est important de souligner que la plupart des espaces ne sont pas faits pour poser certaines questions sur notre état. Vous ne pouvez pas demander à une fille transgenre si elle a subi une chirurgie génitale lorsque vous prenez un café avec elle et que vous la connaissez depuis cinq minutes, même si vous êtes très curieux à ce sujet. Cependant, je pense que ces questions doivent trouver une réponse, c’est pourquoi, à travers mon projet La réponse à tout, je réponds à toutes les questions que les gens se posent sur nous, pour que la population générale comprenne mieux notre quotidien.

Nous ne sommes pas des intrus, nous sommes des femmes.

Que diriez-vous à une fille transsexuelle espagnole qui veut rejoindre un club de football ?Je viens d’abandonner le sport, alors comme on dit en Espagne, « consejos vendo que para mí no tengo » ( « Ce sont des conseils que je donne, mais que je n’applique pas pour moi » ). Mais dans tous les cas, je leur dirais que personne ne doit les avoir, que le sport appartient aussi aux dissidents : le football féminin est aussi construit par nous, les déviantes, les gouines, les garçons manqués, les trans. Nous ne sommes pas des intrus, nous sommes des femmes. Oh, et surtout : trouvez des personnes en qui vous pouvez avoir confiance et que vous laissez prendre soin de vous. Nous ne pouvons pas le faire seules et nous ne le sommes pas.

Que pensez-vous qu’on puisse faire pour changer les attitudes à l’intérieur et à l’extérieur du football ?Il faut beaucoup de pédagogie et d’éducation, tant pour les jeunes que pour les générations plus âgées. Nous devons également cesser de diffuser des discours de haine contre les personnes qui vont à l’encontre de la norme, car cela ne fait qu’amplifier leur portée et contribuer à ce que davantage de personnes nous détestent sans se poser de questions. Et enfin, nous devons nous organiser et nous unir. Tout le monde doit être uni face à ces luttes, il ne peut s’agir que de la lutte de quelques-uns.

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Propos recueillis par Loïc Bessière

Photos : Paula Lopez (@plopez.studio) et Marc Domingo (@md_phootos)

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