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Valencia n’a pas fini de courir
Éblouissant lors de ses premières années à Manchester United, Antonio Valencia était devenu quelconque, voire franchement décevant, ces deux dernières années. Mais Louis van Gaal est arrivé, et le véloce Équatorien a refait surface. Le Red Devil, qui évolue à un nouveau poste, est même en train de montrer qu'il en a encore pas mal sous le capot.
Il lui fallait sans doute ça pour reprendre le fil d’une carrière aux allures dernièrement poussives. Assurément, même. En rendant sa tunique floquée du prestigieux numéro 7 de Manchester United à l’été 2013 après seulement une saison, Antonio Valencia est depuis apparu rasséréné. Comme apaisé de retrouver son number 25 dans le dos à l’histoire beaucoup moins encombrante. Non pas qu’il ait déshonoré ou galvaudé l’ancien précieux de Best, Cantona, Beckham ou Ronaldo, mais les artistes ont leur privilège. L’Équatorien n’en est pas un et le sait. « Il est Cristiano Ronaldo, je suis Antonio Valencia, martelait-il lucide, en février 2010, à ceux qui le présentaient – à tort – comme le successeur de l’astre portugais. Ma façon de jouer est différente. Nous n’avons rien en commun. » C’est certain, Valencia n’a pas embrassé le même parcours vertigineux. Le Mancunien, qui a retrouvé de l’élan cette saison, a même connu de sérieux trous d’air ces deux dernières années. Mais c’est trop vite oublier que les soldats de l’ombre ont de la ressource. Sans doute même davantage que les artistes.
Courses folles à Lago Agrio et 35,1 km/h de vitesse de pointe
Depuis qu’Antonio Valencia a débarqué chez les Red Devils en 2009, ses qualités sont connues aux yeux de tous. Le capitaine de la « Tri » est un dragster : des cuisses et jambes de feu alliées à un physique musculeux, ce qui avait valu à son partenaire John O’Shea de dire, un jour, que « rentrer dans Antonio Valencia, c’est comme se heurter à un train lancé à pleine vapeur » . Ce profil de dynamiteur de défense, « Toño » l’a construit très tôt dans son enfance. Dans son premier club de Caribe Junior, situé non loin de Vereda Tropical, quartier populaire de Lago Agrio où il a grandi. « J’avais beau lui dire : « Repose-toi, l’entraînement de ce soir sera dur », il n’en faisait qu’à sa tête, se souvenait avec tendresse pour L’Équipe en juin dernier José « El Cielo » Villafuerte, ancien grand meneur de jeu d’El Nacional de Quito devenu détecteur de talents. À dix heures du matin, il courait le long des lignes de touche, dribblait des joueurs invisibles, travaillait sa frappe. C’était incroyable de voir ce gamin de onze ans avec cette détermination. Lui, j’étais certain que les discothèques, l’alcool et la vie facile ne le prendraient pas. »
Sa prédiction a depuis largement été vérifiée. L’Équatorien a choisi les rectangles verts comme moyen d’expression, même s’il sait parfois dévier de sa trajectoire. Mais surtout de courir, beaucoup plus vite que les autres. Pour tenter de percer le mystère de son incroyable vélocité et de ce coup de rein ébouriffant sur les cinq premiers mètres, il faut se replonger là aussi dans ses premiers pas. Très jeune, Valencia aidait la journée son paternel, Luis, à ramasser les contenants vides dans son quartier et à transporter les paniers pleins pour son petit négoce de bouteilles en verre. Il épaulait, aussi, sa mère, qui vendait des produits frais au stade en lui ramenant la monnaie des clients. Tout cela, il le faisait en galopant. Inlassablement. « Il ne galope plus dans les rues pour me rapporter les bouteilles vides et il n’est plus pressé d’aller rendre la monnaie aux amateurs de jus de fruits ou de beignets. Maintenant, il doit courir plus vite que l’adversaire, mais je suis sûr que tout cela lui a servi » , argumentait son père il y a quelques mois. Ce dernier a certainement en mémoire ce rush sidérant de son fiston, face à Liverpool en septembre 2012, où, parti avec quelques mètres de retard, il subtilise le cuir à Johnson et Škrtel pourtant plus proche. Sur cette course, sa vitesse de pointe a été estimée à 35,1 km/h, faisant alors de lui le joueur le plus rapide de la planète (battu depuis par Robben et son sprint à 37 km/h contre l’Espagne au dernier Mondial).
Perte de confiance et décès de « Chucho » Benítez
En pleine possession de ses moyens, Antonio Valencia s’affiche ainsi comme un sacré client. « On a joué ensemble deux ans, témoigne Henri Camara, son ancien partenaire à Wigan. C’est un joueur puissant, rapide qui a aussi la capacité de répéter les efforts, notamment défensifs. » Ce qui explique pourquoi Sir Alex Ferguson s’en était entiché et en avait fait l’un de ses hommes de base : « On ne pouvait pas intimider Valencia. C’était un garçon des favelas. De toute évidence, il se jetait corps et âme dans les duels, les bras en travers de son adversaire » , raconte l’Écossais dans son autobiographie. C’est là, aussi, toutes ses limites. L’enfant de Verada Tropical possède une panoplie limitée et peine à élargir son registre. « Son défaut est de ne jouer qu’avec son pied droit. Il ne joue jamais avec le gauche… (rires) » ajoute Camara, aujourd’hui à l’AEL Kallonis. Son style de jeu trop prévisible – dont ce fameux combo crochet extérieur-accélération-centre à ras de terre – a fini par le rendre moins incisif. Et lui faire perdre confiance, notamment ces deux dernières saisons.
Un manque d’assurance qui n’a fait que s’accentuer avec le décès de son frère d’armes Christian « Chucho » Benítez en raison d’une péritonite, le 29 juillet 2013. Une perte soudaine et brutale à l’âge de vingt-sept ans qui a totalement ébranlé le joueur de Manchester United. « Pourquoi maintenant, frère ? Frère, nous t’aimons. Dieu est avec ta famille. Cette vive douleur que je ressens restera pour toujours, mais nous t’aimons. Je t’en prie frère, que quelqu’un me dise que ce n’est pas vrai » , avait-il réagi, profondément affecté, à l’annonce de la mort de son ancien coéquipier à El Nacional et en sélection. Pour ne jamais oublier son compagnon de route, il s’est fait tatouer son surnom et son numéro fétiche (le 11) sur le bras gauche, exhibés un soir de Champions League en décembre 2013, contre le Bayer Leverkusen. Un hommage appuyé qui n’est toutefois pas venu occulter une cuvée 2013/2014 sans saveur, à l’image d’un sinistre United durant le passage fugace de David Moyes.
Unsung hero et nouveau rôle sous Van Gaal
La messe semblait donc être dite. Le rideau définitivement baissé. Mais malgré les difficultés rencontrées par celui qui a dépassé le cap des 200 matchs avec les Red Devils, le board mancunien lui a renouvelé sa confiance en le prolongeant jusqu’en 2018, en juin dernier. Arrivé cet été comme nouveau manager, Louis van Gaal n’a pas tardé à en faire l’un de ses hommes de base. Ce qui n’étonne guère Marc Keller, consultant à Canal + et fan reconnu de l’Équatorien. « C’est un joueur polyvalent. Il est capable de jouer excentré en 4-4-2, d’évoluer latéral droit en cours de match comme c’était le cas sous Ferguson ou désormais commewing-back, c’est-à-dire piston droit, dans le 3-5-2 de Van Gaal, expose le président du RC Strasbourg, qui a toujours apprécié son côté « animal« . Il est très important pour un coach, car il simplifie le système en étant capable de jouer à différents postes. Ensuite, il a cette faculté d’adaptation, cette intelligence pour être suffisamment défenseur quand il le faut et, en même temps, être celui qui peut être capable de faire la différence offensivement. » Pas le plus enclin à faire des compliments, le Pélican avait confié lors du Boxing Day sa satisfaction à propos des nouveaux rôles adoptés par Ashley Young et Valencia : « Je joue dans ce système, car Young et Valencia ne sont pas des arrières centraux, mais deswing-backs. Je suis très content d’eux. »
Les chiffres* soulignent d’ailleurs, en substance, à la fois l’apport défensif et offensif de « The Marvel Toño » cette saison. Sur les 13 matchs de Premier League qu’il a démarré comme titulaire, il a grandement participé au jeu (48,4 passes en moyenne par rencontre dont 88,6% réussies), gardé ses qualités offensives (3,3 centres et 64% de duels gagnés), tout en livrant des prestations défensives abouties (3,6 tacles, 1,9 interception et 6,6 ballons récupérés). Ce nouveau poste, le Mancunien s’en est accommodé avec une décontraction désarmante. Sans faire de bruit : « L’entraîneur a décidé de me faire jouer dans un certain nombre de positions, parfois arrière droit, parfois ailier droit, et même au milieu de terrain. Ce sont des décisions qu’il prend, et je dois le faire. » Son compère Michael Carrick a récemment salué en public celui dont l’activité est trop souvent mésestimée. « Antonio est un athlète pur. Il est immense, assurait-il en décembre au site officiel du club. Le travail qu’il réalise n’est pas le plus remarqué, comme remonter le ballon pendant 30 ou 40 mètres alors que vous devez aussi défendre. Il est réservé et déterminé en même temps. Ce n’est pas quelqu’un qui crie et hurle dans le vestiaire, mais je ne voudrais certainement pas me trouver face à lui. » Un travailleur de l’ombre, un unsung hero peu loquace et qui cultive au mieux la discrétion. « J’aime passer mon temps libre à la maison avec ma femme et ma famille, expliquait-il il y a quelques années. Les séances photos ne m’intéressent pas. Si Paul Scholes se comporte de cette façon, alors oui, la comparaison est correcte. » Antonio Valencia n’est peut-être pas un artiste, mais il peut se targuer d’avoir l’attitude des plus grands.
*statistiques selon Opta
Par Romain Duchâteau