- Coupe du monde 2014 – Groupe E – Suisse/France
Valbuena/Griezmann, à quatre roues motrices
Plus confidentiel que le trident du milieu de terrain, moins starifié que Karim Benzema, mais pas moins important, le duo Griezmann – Valbuena fait le bonheur de l'équipe de France version Didier Deschamps. Complémentaires, « Grizi » et « Petit Vélo » forment une doublette dynamique d'hommes qui reviennent de loin. Des gars petits mais costauds, dans les pieds comme dans la tête.
Mercredi soir contre le Chili, ou alors vendredi dernier contre les Pays-Bas, ou même encore avant – après tout, certains décès ne sont jamais datés – le couple Xaviniesta est mort. En France, on a envie de croire à la résurrection, même pauvre ou partielle. Parce que depuis quelques semaines, on se met à croire que plus Valbuena et Griezmann seront associés aux avant-postes de l’attaque bleue, plus l’animation offensive sera fluide. Alors que l’Espagne avait longtemps rêvé de voir des Vieira et Makelele espagnols, la France a depuis le fantasme de voir des petits Xavi et Iniesta franchouillards. Alors, les Rois mages sont-ils arrivés ? Peut-être. Évidemment, si la comparaison est pertinente, ce n’est pas pour la qualité des deux joueurs, à des kilomètres de leurs modèles, mais bien pour les similitudes de leur rôle respectif en équipe nationale. Mathieu Valbuena dans la mobilité de Xavi, Griezmann dans l’imprévisibilité d’Iniesta. Passés tout près d’une vie de footballeur amateur, Petit Vélo et Grizi auraient pu former une belle doublette d’un Barça de campagne. Au lieu de ça, ils tenteront de guider les Bleus vers les huitièmes, comme toujours, avec panache et à petites enjambées.
À gauche, à droite, partout
Sur le papier, l’un joue à gauche, l’autre à droite. Mais Didier Deschamps ne fait pas vraiment dans la symétrie. Contre le Honduras, Valbuena a touché 85 ballons, tandis que Griezmann s’est arrêté à 46, soit 6 de moins que Benzema. Parce que dans les faits, Valbuena se balade partout. Non pas par manque de discipline tactique, mais par nécessité : c’est ce que le jeu impose, ou alors c’est ce qu’il impose au jeu. Valbuena joue ainsi à gauche, à droite, donc souvent dans l’axe, dans une logique de démarquage permanent. Il est celui qui permet au milieu de terrain de dessiner des triangles et au bloc d’avancer de manière intelligente grâce à sa faculté à se placer entre les lignes. Griezmann, lui, agit dans une logique de démarquage stratégique, dans la diversion discrète, pour tromper la défense adverse. Un coup à gauche dans la profondeur, une fois dans la surface, une autre en pivot à l’entrée de la surface. Un rôle d’attaquant, en fait. Logique pour un joueur qui aura fini sa saison à 20 buts toutes compétitions confondues et qui a appris à délaisser les couloirs où sa vitesse fait parler la poudre pour l’axe, où il a fait des progrès considérables. Mathieu construit et anime, Antoine aide à animer et à finir. En phase défensive aussi, les enjeux sont différents : Valbuena défend son couloir avec les montées de Debuchy et les consignes conservatrices de Pogba, tandis que Griezmann fait équipe avec Matuidi le tout-terrain et les montées, plus rares, d’Évra. Alors comment peuvent-ils défendre ces couloirs dans cette logique d’animation offensive libre ? En étant rigoureux tactiquement, évidemment. Mais également en comptant sur une grinta sans faille. Celle des revanchards.
Courir avec ses souvenirs, s’économiser pour marquer
Si le Valbuena des villages, celui de Langon-Castets, est devenu le Valbuena Deschamps, c’est en grande partie parce que Petit Vélo n’a jamais oublié qu’avant le gros braquet, il y a eu le tricycle. Comme Antoine Griezmann, le joueur de l’Olympique de Marseille sait d’où il vient. Comme Luis Suárez ce jeudi face à l’Angleterre, il y a quelque chose d’enfantin et de diablement attachant chez Valbuena ou Griezmann : le football en tant que jeu ou le bonheur d’être là où on ne pensait pas être. Souvent raillé pour son comportement, le milieu de poche de l’OM a toujours été irréprochable en bleu dans son engagement. Bon ou médiocre, il se saigne de la première à la dernière minute et a emboîté le pas pour un Griezmann pas moins généreux dans l’effort et pas moins miraculé du ballon rond. Avec panache et grinta en mots d’ordre, les deux zigotos ne doivent cependant pas sombrer dans le cliché du cycliste français d’Europcar, terriblement humain mais rarement gagnant. Car si le leader offensif de la formation s’appelle Karim Benzema, Valbuena et Griezmann ne peuvent pas se contenter de terminer le Mondial avec le dossard rouge du plus combatif. Quand l’attaquant du Real Madrid ne marquera pas, les deux petits devront entrer en action et mettre le ballon au fond des filets. Et s’il faut attendre la prolongation d’une finale de Mondial pour voir le premier but d’Antoine Griezmann en Coupe du monde, tant pis. Le mimétisme n’en sera que plus total.
Par Swann Borsellino et Markus Kaufmann