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VA-Cannes, le dernier barrage

Par Mathieu Rollinger
8 minutes
VA-Cannes, le dernier barrage

Les 4 et 9 juin 1993 se disputait le dernier barrage pour une place en première division française. Entre le Cannes de Luis Fernandez, surgi de nulle part, et un Valenciennes menacé de relégation, le débat d’entre-deux-saisons s’est plus joué dans les têtes que sur le terrain. Dans la tourmente du scandale de corruption, les Nordistes se sont fait emporter par la furia azuréenne.

« C’était quelle année encore ? Ah oui 1992-1993, l’année de la fameuse affaire, pffolala… » Jérôme Foulon a encore des frissons rien qu’à l’évocation de cette année cauchemardesque pour l’US Valenciennes-Anzin. D’abord celle d’une désillusion sportive, les hommes de Boro Primorac ayant raté le maintien direct en Division 1 à cause d’un petit point manquant pour revenir sur leur voisin du LOSC. « Pour un promu, on avait une belle équipe avec Goran Bošković, Kálmán Kovács, Wilfried Gohel. Mais on n’a pas su mettre tous les ingrédients sur le terrain, constate amèrement Jérôme Foulon, alors jeune milieu de terrain de VA. Peut-être à cause d’une ambiance très moyenne au sein du groupe, avec les jeunes d’un côté les vieux de l’autre. On ne sentait pas un groupe très uni en tout cas. » Mais ces problèmes de vestiaire ne sont rien par rapport à la déflagration qui va suivre : l’affaire de corruption VA-OM, révélée deux semaines avant les barrages et encore présente dans toutes les têtes. Pour ne rien arranger, les Nordistes ont un passif plutôt négatif avec les barrages, restant sur deux échecs face à Strasbourg en 1990 et Lens en 1991. « Il faut voir dans quel contexte on a abordé ces barrages. C’était terrible pour nous, se remémore Jérôme Foulon, aujourd’hui entraîneur du FC Maubeuge. Je ne vais pas dire que c’était mission impossible, mais on partait avec un gros handicap. »

Un euphémisme pour un club qui s’apprête à jouer sa survie face à une équipe qui, elle, est dans un état d’esprit totalement différent. En ce printemps 1993, l’AS Cannes est sur un nuage, après avoir écarté Caen et Rennes de la campagne de play-off. « Notre saison était assez exceptionnelle, parce qu’on partait de loin. On était huitièmes à la trêve, Luis Fernandez reprend les rênes de l’équipe en décembre et la ramène à la deuxième place, synonyme de barrages » , rembobine Franck Priou, meilleur buteur de D2 cette saison-là. Luis attaque sa carrière d’entraîneur dans un club où il jouait encore en début de saison. « J’ai tout vécu avec Cannes : le maintien, l’Europe, la relégation. Et à l’époque, c’était compliqué de remonter. Tu ne pouvais pas faire l’ascenseur comme aujourd’hui, recontextualise l’ex-international. Il fallait rassembler les énergies, reconstruire un groupe et remettre en concurrence des joueurs avec qui j’avais joué quelques mois auparavant. Le président Francis Borelli m’a demandé de reprendre le groupe et les mecs ont été réceptifs. » Pour réaliser la remontada, les Azuréens pouvaient compter sur un mélange de vieux grognards et de jeunes formés au club. « Madar, Priou, Durix, Micoud, Lemasson, Sauvaget, Lestage… Je ne pourrais faire que des éloges sur eux, énumère l’actuel consultant de beIN Sports. Pour jouer ensemble, il faut avoir des liens, des connivences. Et on avait tout ça avant d’aborder les barrages. » Le bonheur de cette « équipe de copains » , selon Franck Priou, rayonne jusque dans le nord de la France. « Il y avait d’un côté une équipe soudée et enjouée de partager ça ensemble, de l’autre une équipe qui a vécu une saison terne, compare Wilfried Gohel, l’attaquant valenciennois de l’époque. C’était compliqué de rivaliser. »

Cannes ouvre les VAnnes

Le 4 juin dans un stade Nungesser à moitié plein, tous les paramètres semblent indiquer que le match est joué avant d’avoir commencé, effaçant instantanément l’écart supposé entre des équipes de D1 et de D2. « En arrivant à Valenciennes, on savait qu’ils n’étaient pas sereins avec cette affaire de match truqué, raconte Franck Priou. En tant que Sudistes, on nous a assimilés à Marseille et l’accueil n’a pas forcément été très favorable. On savait qu’on avait l’avantage, VA était dans la tourmente, mais il fallait ensuite le mettre en pratique sur le terrain. » L’exercice du barrage mettant déjà les nerfs à rude épreuve en temps normal, il devient presque un calvaire pour les jeunes valenciennois. « On a été plusieurs à faire le match pendant notre nuit de sommeil » , avoue Jérôme Foulon. Pour Wilfried Gohel, ce match était le dernier dans le stade qui l’a vu grandir, alors que son transfert à Strasbourg était déjà acté. « J’avais un poids supplémentaire : je voulais partir la conscience tranquille en laissant Valenciennes au plus haut. Mickey Madar, un vrai pote que j’avais connu en sélection jeune, m’avait dit en rigolant :« Allez Will, tu t’en fous toi ! Tu vas jouer en D1 l’année prochaine avec Strasbourg, laisse nous gagner ! »Vu mon tempérament, c’était peine perdue. »

Pourtant, les doutes nordistes se confirment rapidement sur le terrain : les Ascéites prennent l’avantage grâce à Jean-Michel Capoue, qui croise parfaitement sa frappe au bout d’un contre (26e). « On marque au bon moment. Ça leur a cassé les pattes et comme ils avaient la tête ailleurs, ils ont lâché mentalement. Et puis on marque à un quart d’heure de la fin. D’ailleurs, j’y ai laissé mon nez, lâche Franck Priou, l’auteur du but du break. Patrice Sauvaget récupère un ballon sur la gauche, fixe la défense et centre de l’intérieur du pied droit au niveau des six mètres. Je fais une première tête qui élimine le gardien, une deuxième où je devance David Régis. Moi je prends le ballon, lui mon nez. Le ballon finit au fond des filets et moi avec une fracture ouverte. Quand je me réveille à l’hôpital, on me dit que j’ai marqué et qu’on a gagné 2-0. C’est le plus beau but de ma carrière, parce que c’est le seul que je n’ai pas pu le célébrer. Enfin, je l’ai célébré à l’hôpital… » La furia cannoise a laissé des traces, et pas seulement sur le visage de l’avant-centre azuréen. « On passe à côté de notre match face à une équipe hyper motivée, débriefe Wilfried Gohel. Mais à 2-0, on sait qu’on ira à Cannes avec un tout autre état d’esprit : on n’a plus rien à perdre et on doit tout mettre dans la bataille. »

Cinq jours plus tard, tout ce petit monde se retrouve sur la Croisette pour la revanche. Pour les visiteurs, cette petite escapade, loin du climat pesant de Valenciennes, semble faire le plus grand bien. « Il y avait une superbe ambiance dans ce stade de la Bocca, se souvient Jérôme Foulon. Sur le terrain, il y avait de l’engagement, mais toujours dans les règles du jeu. On sentait qu’on pouvait mettre cette équipe cannoise un peu plus en difficulté. » Au bout de douze minutes de jeu, Michaël Madar douche les maigres espoirs nordistes, pendant que les 10 000 spectateurs du stade Pierre-de-Coubertin sentent l’exploit prendre forme. « Ce but est une vraie claque, concède Gohel. Il n’y a pas besoin de sortir de HEC pour comprendre que mettre quatre buts alors qu’on n’a pas su le faire en 102 minutes, c’est chaud. » Les joueurs du Hainaut arrivent finalement à égaliser par Arnaud Duncker à la demi-heure de jeu, insuffisant pour renverser la vapeur.

VA à la peine, Cannes dans la benne

Le coup de sifflet final d’Alain Sars sonne aussi la fin du chemin de croix de VA. « Je me souviens qu’à la fin du match, les Cannois ont été compatissants avec nous » , souligne Wilfried Gohel, qui n’en voudra pas longtemps à ses bourreaux d’un soir, puisqu’il signera en 1998 pour l’ASC et tient aujourd’hui un restaurant dans la région à Mandelieu-la-Napoule. Pendant ce temps, Cannes explose et s’apprête à vivre une longue nuit de fête. « Comme rien n’était sûr, on a un peu improvisé, sourit Luis Fernandez. On a fini par défiler sur un camion benne vers la mairie et la Croisette. Ça restera un des meilleurs souvenirs de ma carrière d’entraîneur. C’était une vraie aventure humaine. Pour un jeune entraîneur, bosser avec des garçons de cette qualité est une chance et je ne suis pas sûr qu’il en reste beaucoup comme ceux-là. » Franck Priou, lui, a suivi le match retour depuis le banc de touche, se remettant à peine de son opération. « J’étais un peu en retrait parce que je sortais de l’hôpital. Il ne fallait pas que je me mêle trop à la foule pour éviter de me reprendre un coup par-dessus. Ma femme m’a hyper surveillé pour que je ne fasse pas trop le con. »

Bien qu’il ait perdu connaissance pendant la semaine, l’attaquant considère ces barrages comme un acte fondateur pour le club de la Bocca. « J’en parle encore aujourd’hui parce que c’est une expérience unique. Passer ces barrages sans en perdre un, en privilégiant toujours le jeu, c’est gros. Surtout qu’on se sert de cette dynamique pour démarrer la saison suivante en D1. On est premiers au bout de quatre ou cinq journées, en battant l’OM champion d’Europe en titre, Saint-Étienne et en faisant match nul contre Bordeaux. Terminer sixièmes, qualifié pour la Coupe de l’UEFA, c’est exceptionnel pour un promu. » Pour Valenciennes, c’est au contraire « un coup de bâton qui a fait énormément de mal au club » , pour reprendre les mots de Wilfried Gohel. Après l’affaire VA-OM et cette relégation en D2, les Nordistes vont tomber en National, puis en CFA en 1996. « Je pense qui si on s’était sauvé, le club aurait su conserver ses meilleurs joueurs, estime Jérôme Foulon. En tout cas pour ma part, je serais resté, car mon vœu au départ était de jouer toute ma carrière dans un seul club. Mais avec tout ça, c’est parti dans tous les sens et beaucoup ont préféré quitter le club. » Et si VA avait joué ce match face à Marseille à fond, ils n’auraient peut-être pas eu à s’empêtrer dans le bourbier des barrages.

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Le bel anniversaire des ultras valenciennois
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Par Mathieu Rollinger

Propos recueillis par MR, sauf ceux de Luis Fernandez par Florian Lefèvre.

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