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USA/Angleterre 1950 : le match miracle
Il y a 72 ans et demi a eu lieu l'un des exploits les plus improbables de l'histoire de la Coupe du monde : la victoire des semi-amateurs américains face aux grands frères anglais, trop sûrs de leur force. Un match mythique qui a fait passer à la postérité un Haïtien au destin hors du commun.
La Coupe du monde 1950 a été une galère sans nom à mettre en œuvre. La planète est un corps en souffrance, avec des plaies pas encore cicatrisées et beaucoup de nations chancelantes pour qui l’urgence n’est clairement pas de monter une équipe nationale pour jouer au ballon, la France comprise. Pour l’Angleterre en revanche, c’est important : il s’agit de montrer que le pays a inventé le football et que c’est encore lui qui le domine. La sélection de Walter Winterbottom est une sorte de dream team dans laquelle figurent de grands noms tels que Billy Wright, Tom Finney, Alf Ramsey, Stan Mortenson ou Stanley Matthews, même si ce dernier entretient des relations complexes avec l’équipe nationale et n’est pas aligné pour ce deuxième match du tournoi face aux Américains. Le premier a été remporté sans souci face au Chili (2-0), et le choix a été fait de laisser souffler le joueur de Blackpool, qui deviendra le premier Ballon d’or de l’histoire six ans plus tard.
Un prof et un chauffeur de corbillard
Il faut dire que ce match doit être une formalité pour les Anglais, face à une formation américaine montée à l’arrache et qui enchaîne les contre-performances depuis la fin de la Seconde guerre mondiale. « Ce serait juste de les laisser commencer avec trois buts d’avance », écrit le très condescendant Daily Express, qui n’envisage pas autre chose qu’un gros carton pour les Anglais face à des cousins US semi-amateurs, évoluant dans le très modeste championnat local, ancêtre de la MLS. Le capitaine Walter Bahr est prof de lycée, le gardien Frank Borghi chauffeur de corbillard et vétéran du Débarquement à Omaha…
Trois joueurs n’ayant pas la nationalité américaine, mais évoluant au pays sont même appelés à la dernière minute pour compléter l’effectif, comme le permet le règlement à l’époque : le Belge Joe Maca, l’Écossais Ed Mcllvenny (désigné capitaine juste pour ce match face aux Anglais, car de nationalité britannique !) et l’Haïtien Joe Gaetjens, pistonné par Walter Bahr et qui évolue alors dans une équipe new-yorkaise, ville où il a déménagé pour ses études. Cinq des onze titulaires ce 29 juin 1950 à Belo Horizonte évoluent dans la ville de St Louis, berceau historique du soccer. Le sélectionneur Bill Jeffrey ne se fait aucune illusion : pour lui, autant préparer des moutons à aller à l’abattoir, même si le premier match a donné un peu d’espoir : une défaite encourageante 1-3 avec trois buts adverses concédés dans les dernières minutes.
La faute sans conséquence du défenseur équarrisseur
Face à une dizaine de milliers de spectateurs officiellement, le match démarre d’ailleurs très logiquement avec une grosse domination anglaise. Mais quand ce n’est pas les montants qui repoussent les tentatives, c’est le portier croque-mort Frank Borghi, dans un grand jour, qui enchaîne les parades et permet à ses partenaires de rester dans la partie et de commencer à faire douter l’adversaire. Sur une des rares possibilités pour les Américains de s’approcher du but anglais, Walter Bahr tente une frappe au-delà des vingt mètres. Le ballon n’est pas cadré, mais trouve sur sa trajectoire la figure de Joe Gaetjens, une déviation qui permet de tromper le gardien de Wolverhampton, Bert Williams : 1-0 pour la team USA à la 38e minute !
Un exploit improbable est en train de se dessiner et fait venir de nouveaux spectateurs dans les tribunes, attirés par cette évolution du score qui peut permettre d’envisager une élimination prématurée d’un des favoris de la compétition. Portés par les encouragements du public, les Américains se subliment et parviennent à tenir le score. Borghi, toujours en état de grâce, parvient à stopper sur la ligne une tentative de Jimmy Mullen, à la suite d’un coup franc limite surface concédé par Charlie Colombo, un joueur reconnaissable aux gants de cuir qu’il porte, gants qu’il utilise au travail pour trimbaler des carcasses de viande dans sa ville de St Louis. Les Anglais croient à cette égalisation tardive à la 82e, mais l’arbitre juge que Borghi a bien stoppé le ballon avant qu’il ne franchisse entièrement la ligne.
Un buteur disparu mystérieusement
La rencontre se termine sur ce score incroyable en faveur des Américains, portés en triomphe par des spectateurs brésiliens. Le seul journaliste yankee dépêché sur place – et à ses propres frais – s’essaie à la comparaison dans son article publié dans un journal local de St Louis : « Comme si une équipe universitaire battait les Yankees en baseball. » L’Angleterre, qui évoluait en bleu ce 29 juin maudit – ce qu’elle ne fera plus jamais – ne s’en remet pas et perd ensuite son troisième match face à l’Espagne (0-1), avec une élimination précoce à la clé. C’est le cas aussi des Américains, dominés 2-5 à Recife le 2 juillet par le Chili, mais peu importe : l’exploit a déjà eu lieu et il est resté dans les mémoires du soccer US comme un moment fondateur, alors que la sélection ne fera son retour dans un Mondial que quarante ans plus tard en Italie.
Cette victoire mythique a même fait l’objet récemment d’un film, The Miracle match. Quant au buteur héros, Joe Gaetjens, il a ensuite eu l’opportunité d’évoluer en pro en France, au RC Paris et à Alès. Une courte carrière cependant, avant de rentrer en Haïti, où il meurt en 1964 dans des circonstances mystérieuses, après une arrestation et un enlèvement par la police secrète du président dictateur de l’époque, « Papa Doc » Duvalier. Il aurait, semble-t-il, payé l’engagement politique de certains de ses proches. Et n’aura jamais eu la nationalité américaine non plus.
Par Régis Delanoë