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United-Sainté 1977, ou la peur du vide…

Par Chérif Ghemmour
8 minutes
United-Sainté 1977, ou la peur du vide…

Tôt dans la saison 77-78, les Verts ont porté sur leurs épaules le sort d’un foot français qui flippait de ne pas aller au Mundial argentin. « Il suffira d’un signe », anticipait-on... Or, c’est un désastre précoce face aux Red Devils qui plongea l’Hexagone dans l’angoisse du lendemain.

La malédiction rémoise ?

En 1977, la Régie Renault est le maître-étalon de l’industrie française. « Quand Renault s’enrhume, c’est toute la France qui éternue » , dit-on dans les cabinets ministériels pompido-giscardiens. Saint-Étienne est le baromètre du foot français : c’est à ses perfs nationales et européennes qu’on évalue vraiment si le foot hexagonal est vraiment sorti de sa lose mortelle qui l’accable depuis la Coupe du monde 1966. Or, en septembre 77, l’ASSE est clairement enrhumée… Habitués à la C1 et aux exploits retentissants depuis 1974, les Verts disputent bien l’Europe en 77-78, mais en Coupe des vainqueurs de coupes. On sent bien là le déclassement social. D’autant plus qu’il se double d’une décrue globale assez nette : finaliste de C1 en 1976, puis quart-de-finaliste en 1977, Saint-Étienne a fini à une déshonorante cinquième place du championnat la même année. Ce n’est que grâce à une victoire en Coupe de France que les Verts ont pu se qualifier en C2. Et encore ! La victoire en finale contre Reims (2-1) était imméritée et acquise sur un péno égalisateur très généreux. Comme s’il avait fallu sauver le soldat Sainté ! Lui permettre à tout prix de jouer l’Europe… Et pas de bol, c’est un gros morceau qui leur tombe dessus dès le premier tour, en seizièmes : Manchester United.

Vainqueur de la Cup, rouge comme Liverpool et coriace comme tout le foot british de l’époque. On sent déjà que ça va être hard. D’autant plus que le match retour aura lieu à Old Trafford. Un coup dur pour des Verts mieux habitués à disputer la revanche dans le Chaudron mythique. Et puis à l’intersaison estivale, l’ASSE a perdu sa boussole, Jean-Michel Larqué. Bien sûr, il était en déclin et à Anfield Road, il avait sombré. En désaccord avec le coach Herbin, il avait subi l’humiliation de finir la saison 77 avec la réserve, en D3. À l’été, il avait rejoint le PSG. Voilà pourquoi, le milieu stéphanois se composera contre Man-U à l’aller de Bathenay, Santini, Synaeghel. Tous très bons, mais pas vraiment meneurs de jeu… Voilà. Tous ces mauvais signes qui s’accumulent laissent entrevoir une sortie de route prématurée face aux Red Devils en cet automne 77. Or, de Saint-Étienne dépend la bonne santé du foot français, seule valeur indiciaire fiable de notre niveau à l’international. Car le 16 novembre, au Parc, les Bleus jouent leur qualif pour le Mundial 78 sur leur dernier match de poule, contre les terribles Bulgares. Bête noire du foot français, la Bulgarie n’aura besoin que d’un point pour aller en Argentine, alors que l’équipe de France devra vaincre impérativement. Or, en mars 77, l’élimination des Verts par Liverpool et la défaite des Bleus contre l’Éire en qualif (0-1) ont clairement douché l’optimisme d’un foot français qui se croyait sorti du Tiers-Monde du ballon rond. En 77, Michel Platini n’est qu’un « prospect » talentueux et plein d’avenir, mais pas encore le joker capable à lui tout seul de mener la France vers les sommets. Côté clubs, hormis Sainté, c’est le désert. Nantes champion de France 77 giclera comme prévu au deuxième tour, en seizièmes, l’année suivante en C1…

André Barthélémy ?

Voilà pourquoi la confrontation Saint-Étienne vs Manchester revêt à l’époque une importance capitale. Le match aller du 14 septembre à Geoffroy-Guichard est marqué par une affluence nettement moindre que lors des grandes soirées européennes. Et puis des incidents très violents provoqués par des hooligans mancuniens disséminés dans les deux kops émaillent l’avant-match à 45 minutes du coup d’envoi. Après Leeds 1975 au Parc des Princes, c’est au tour de Saint-Étienne de subir ces débordements inquiétants. Le match en lui-même se dispute comme un vrai match à l’anglaise, intense, entre deux clubs « anglais » , engagés et francs du collier. Et à ce jeu, Manchester est meilleur même si les Verts donnent la réplique. Signe des temps, le nouvel attaquant qui est titularisé à la place de Rocheteau, blessé, s’appelle André Barthélémy… Pas mauvais, Dédé. Sauf qu’il vient du SCO d’Angers et qu’il ne répond pas vraiment aux standards élevés du club stéphanois. Autre signe des temps, c’est le gardien Yvan Ćurković le capitaine. Why not : il a l’autorité requise. Mais à trente-trois ans, il commence à faire son âge, n’est plus aussi décisif, et surtout, comme Larqué, il a plongé à Anfield Road face aux Reds (1-3). Sans Jean-Michel, Sainté ne sait que pousser fort et encaisse un but après deux autres annulés pour hors-jeu : à la 77e, Gordon Hill surprend la défense et plante de près. Synaeghel égalisera deux minutes plus tard sur un cafouillage, mais on en restera là : 1-1, score final. Contre Eindhoven en 1976 (1-0) et contre Liverpool en 1977 (1-0 aussi), les Verts étaient partis jouer la manche retour avec un avantage conséquent. Ce qui ne sera pas le cas. Et Saint-Étienne sait mieux que personne en France toute l’importance du fameux but inscrit à l’extérieur à l’aller. Moralité : c’est fou-tu ! Sur le plateau de Téléfoot, Pierre Cangioni n’y croit plus ( « Le Saint-Étienne des années précédentes aurait battu cette équipe de Manchester » ). Pierre Fulla, qui interroge Herbin qui n’y croit plus ( « Le match retour sera extrêmement difficile » ), y croit encore moins ( « Robert Herbin, ce 1-1 c’est un constat d’échec ? » ).

Contrôle de maths

Aïe-aïe-aïe ! Déconnez pas les mecs ! Y a la Bulgarie qui débarque bientôt. Dites-nous pas que c’est foutu, hein ! Ben si : Sainté, c’est plus ça. Tout simplement. Toute la France du foot le sent, le devine, mais préfère ne pas voir le vertige qui s’ouvre devant elle : et si les Bleus, après les Verts, rataient la marche ? Un miracle survient quelques jours après le 1-1 de Geoffroy-Guichard. L’UEFA donne match perdu pour Manchester à cause des violences de ses supporters. Cette décision vaut élimination pour les Rouges et qualif pour les Verts. Un peu comme lorsqu’on apprend que le contrôle de maths du lundi matin n’aura pas lieu parce que le prof est absent ! Surtout quand on est nul en fonctions dérivatives de zéro à l’infini… Même si la presse française déplore la décision pas très fair-play de l’UEFA, un « lâche soulagement » cher à Léon Blum satisfait la France du foot. C’est pas très glorieux, OK, mais merde, les hooligans anglais y font ch… ! Alors, tant mieux pour Saint-Étienne et tant pis pour Manchester ! C’est vrai, quoi : j’ai pas raison ? Les Verts joueront les quarts au printemps prochain, il fera beau, ce sera le printemps, ils se seront refait la cerise, ils battront tout le monde et la France ira en Argentine. On s’aveugle comme on peut quand on aime encore passionnément. Mais v’là que MU fait appel de la décision… Ah, bon ? Ils ont le droit ? Et puis l’abruti de Robert Herbin s’y met : « Gagner sur tapis vert ne m’intéresse pas. D’autre part, les joueurs de Manchester ne méritent pas ça. » « Mais tais-toi ! » , lui souffle la France apeurée. Que dalle ! Roger Rocher intervient aussi auprès de l’UEFA pour disculper les Red Devils. À ce niveau-là, c’est du masochisme. Et l’UEFA rétablit Man-U dans ses droits : elle repêche le club, mais à la condition que le match-retour se déroule à au moins 200 kilomètres de Manchester. Naaaaaan ! Pas ça. On a envie de cafter : trois jours après Sainté-MU, avant le Chelsea-Manchester, les hooligans des deux clubs se sont salement frités entre eux aux abords d’Old Trafford ! Alors, hein, l’UEFA ? Vous faites confiance aux Anglais ? Pas nous !

Au sud du Sud

Finalement, le retour se disputera à Plymouth, dans le sud du Sud. On ne se fait aucune illusion. D’ailleurs, la TV française autrefois friande de matchs européens des Verts a zappé les deux matchs, comme avisée du désastre à venir. On suit le match à la radio en souhaitant Blair Witch aux Anglais. Sur les photos de l’autopsie, on remarquera par la suite que les Verts avaient joué la première mi-temps en shorts blancs et la seconde en shorts noirs. Noirs comme à Glasgow en 76. Noirs comme la mort… Oui, parce que Saint-Étienne a perdu le retour 2-0. Bravo le fair-play à la française ! À la TV, Cangioni et Larqué veillent le mort : « Paradoxalement, c’est l’année où Saint-Étienne se fait sortir au premier tour que les trois autres clubs français le passent, eux, Jean-Michel. » Larqué acquiesce en silence, hors champ. « Surtout, ne pas brûler ce qu’on a adoré, n’est-ce pas Jean-Michel… » Larqué acquiesce en silence, hors champ. Ce coup-ci, c’est officiel : Saint-Étienne va échouer dans les bacs à soldes, entre les 33 tours de Demis Roussos et les 45 tours de Sylvie Vartan. Mais les Verts vont faire pire : septièmes en championnat, zéro qualif en Coupe d’Europe 79 et titre de meilleur buteur du club pour Patrick Revelli, avec huit petits buts en D1… Le président Roger Rocher s’est complètement planté : il a laissé partir pendant l’été trois jeunes pousses pourtant prometteuses : Schaer à Auxerre, et surtout Larios et Lacuesta, prêtés à Bastia. Avec ses deux Verts, le club corse allait connaître une fantastique épopée en Coupe de l’UEFA 78, finaliste face au PSV (0-0 et 0-3) ! Le désastre de Plymouth conduira le président Rocher à laisser tomber les produits de la formation stéphanoise pour s’orienter vers une politique d’achats clinquante. Bernard Lacombe arrivera en 78-79, puis Platini et Rep en 79-80. Une rupture dans la culture club et une escalade périlleuse sur le marché des transferts. La France n’ira pas au Mondial, craint-on… Mais tout se passera bien : les Bleus d’Hidalgo battront les affreux Bulgares 3-1 et iront en Argentine. Les Anglais, eux, resteront à la maison. Normal, faut pas déconner, hein ! Mais après Liverpool et Man-U en 77, c’est Ipswich Town FC qui fessera les Verts en C3 1981 (1-4 et 1-3). Trois clubs anglais, comme Azincourt, Crécy et Waterloo.

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