- Foot féminin
- Sandrine Brétigny
« Une sélection en équipe de France, on l’apprend sur Internet »
Fin décembre à l'ESCE, Sandrine Brétigny était l'invitée de l'organisation étudiante Manage your dreams, pour parler football et mentalité, et expliquer au jeune public comment se réussit une carrière sportive au plus haut niveau. L'occasion de s'intéresser au parcours atypique d'un des plus beaux palmarès du football féminin français.
Tu es venue ici pour parler de football et de mentalité. Tu as voulu leur faire comprendre quoi aux étudiants ? Que percer dans le football demande énormément de travail et de rigueur. C’est un métier qui exige beaucoup de sacrifices, nous n’avons pas la même vie que nos amis, on ne sort pas les week-ends… Comme je leur ai expliqué, à Lyon j’ai vu passer de nombreuses joueuses qui avaient du talent, mais elles n’avaient pas d’envie à l’entraînement, aucune ambition de se surpasser, et le rêve s’est vite terminé. C’est pourquoi il faut avant toute chose être déterminé et passionné, cela rend les choses plus faciles.
Il n’est pourtant pas aisé de vivre du football féminin en France encore aujourd’hui. La faiblesse des revenus rend difficile les perspectives, et il est toujours difficile de combiner pratique sportive et études poussées. C’est vrai, et encore c’est plus facile maintenant qu’à mon époque. De nos jours, il y a beaucoup plus de structures sports-études qui se créent. Je crois qu’il y a quatre pôles avec différentes possibilités. Moi, quand j’ai commencé, je n’avais pas vraiment le choix au niveau des études, c’était beaucoup plus rigide. Après, forcément, cela reste difficile car il y a beaucoup d’appelées et peu d’élues, d’autant plus que le niveau a progressé. Avant que Jean-Michel Aulas ne décide de professionnaliser les joueuses de l’OL en 2009, j’ai d’abord passé mes diplômes sur deux ans avant de travailler comme assistante entre 2005 et 2009 dans une structure de sports-études. Aujourd’hui, certaines joueuses signent des contrats et arrivent à vivre de leur passion, mais ça n’a rien à voir avec les garçons.
Il y a 15 jours se tenait à Clairefontaine le Women Paris Soccer Show. 50 joueuses de niveau national se sont présentées pour être recrutées dans des universités américaines. Comment expliques-tu l’attrait des jeunes joueuses françaises pour les États-Unis ? Tout simplement parce que ce sont les États-Unis… (elle s’interrompt pour signer un autographe tardif) Elles ont possibilité de combiner leurs études et d’évoluer à un bon niveau dans le championnat universitaire, ce qu’on n’a pas en France. C’est très différent de la division 1, nous on ne peut pas faire ça.
Jouer en Amérique, ça ne t’a jamais tenté à un moment donné ? Si, une fois. En mai dernier, quand je suis revenue d’Allemagne pour aller à la préparation élargie en vue de l’Euro. Mon agent m’a dit que Seattle me voulait. Au début, je lui ai dit non, que ce n’était pas possible. Je me disais que je ne pouvais pas réussir là-bas. Je doutais de mes capacités mais j’ai parlé avec d’autres joueuses qui ont eu une expérience dans ce championnat et qui m’ont encouragée. Donc je n’arrivais pas trop à me décider, et finalement je leur ai dit que j’étais OK pour venir trois mois si je n’allais pas à l’Euro. Et finalement, j’ai été sélectionnée pour la compétition donc c’est tombé à l’eau. Si l’opportunité se représentait, pourquoi pas, ça me tenterait même si je n’ai plus mes jambes de 20 ans.
L’écart avec les USA s’est considérablement réduit en termes de niveau. Comment juges-tu la progression du football tricolore depuis plusieurs années ? Effectivement, on a clairement progressé en France. Le changement est passé par les résultats. Si on parle de la sélection, on est passées cinquième au classement FIFA. Au niveau des clubs, avec Lyon, on a récemment commencé à battre les clubs allemands, ce qui auparavant semblait impossible. Les infrastructures aussi ont beaucoup évolué, tout comme le nombre d’entraînements par semaine. Moi quand j’ai commencé ma carrière, on jouait pratiquement sur du sable…
Les moyens ont augmenté, tout comme l’intérêt médiatique… (Elle coupe) Oui, enfin bon, en réalité l’intérêt médiatique est très fluctuant, il ne se manifeste que pendant les grandes compétitions, le reste du temps, personne ne vient nous voir. Pendant l’Euro 2013 cet été, on a vraiment senti l’engouement, il y avait les journalistes qui nous appelaient tout le temps, mais on a été éliminées en demi-finales et l’intérêt est vite retombé. On s’est surtout intéressé à nous quand les garçons faisaient n’importe quoi. Il y a bien Eurosport ou France 4 pour diffuser quelques matchs du championnat, mais bon, on est loin du compte encore. Même si les choses progressent, on peut attendre longtemps avant de voir TF1 passer un de nos matchs. Je ne sais même pas si ça arrivera un jour.
Quels sont les problèmes qui restent encore à régler ? Bien sûr, il y a la question des salaires, les garçons sont dans un autre monde vraiment. Mais notre plus gros défi, je pense, c’est qu’il faut que cela devienne naturel d’aller voir des filles jouer au foot. En Allemagne, par exemple, c’est le cas, les garçons jouent le samedi et nous, on joue le dimanche matin à 11h ou 14h, et les gens viennent nous voir sans problème. Bizarrement, il y a encore cette idée parfois en France que la féminité n’est pas compatible avec une pratique sportive de haut niveau, même si elle est beaucoup moins développée qu’avant. D’ailleurs il suffit de voir les garçons aujourd’hui, ils étaient contents de me rencontrer quand même.
Comment expliques-tu la domination lyonnaise en D1 ? Trouves-tu que le championnat manque d’équité ?Cette équipe s’est construite dans la durée : les Lyonnaises jouent ensemble depuis 4 ou 5 ans, Patrice Lair a su créer les automatismes. Et puis il y a beaucoup de talent. Effectivement, il faudrait tendre vers un championnat plus serré, avec une concurrence accrue. Cela bénéficierait à tout le monde : on l’a vu d’ailleurs cette année, quand Lyon est en Ligue des champions, ça leur joue des tours, les Lyonnaises n’ont pas l’habitude d’être confrontées à des équipes très fortes. Quant à nous, forcément, ce n’est pas agréable de perdre largement. Cela ne sert personne.
Pourquoi ça s’est fini en eau de boudin ? Je suis partie car j’étais en fin de contrat au terme d’une année galère. Le 30 août, je me pète le genou, je me soigne mais ce n’est jamais vraiment revenu et quand vous êtes dans un effectif comme Lyon, qui compte 19 internationales, c’est compliqué de retrouver sa place. Le coach a commencé à m’envoyer avec l’équipe 2, je jouais en DH. Malgré tout, ça n’a pas découragé Francfort, qui m’a contacté en fin de saison. Au départ, je ne voulais pas partir car j’ai fait toute ma carrière à Lyon, et puis j’avais peur d’être seule en Allemagne, j’aime bien être entourée. J’ai dit non une fois, deux fois, et quand finalement ils m’ont appelée une cinquième fois, j’ai fini par dire oui.
Raconte-nous ton expérience en Allemagne.C’était un autre monde. Après y avoir passé une saison, je comprends maintenant pourquoi l’Allemagne gagne. Lors du premier entraînement, je ne parlais pas allemand et je ne connaissais personne. On est arrivées sur une piste d’athlétisme, et là, le coach nous a dit que l’on devait faire 10 kilomètres sans s’arrêter en 45 minutes. À ce moment, je me suis dit : « Bret, tu t’es trompée de club. » Je pensais être incapable de courir autant. Et finalement j’ai fait 47 minutes. J’ai progressé athlétiquement et physiquement, c’était une bonne expérience, mais ce que j’ai vraiment appris là-bas, c’est le mental. Les Allemandes sont des machines qui s’entraînent huit fois par semaine. En France, c’est plutôt : « Pourquoi on court, pourquoi on fait une pompe, pourquoi on fait des abdos ? » Les Allemandes ont cette capacité à se surpasser dès le plus jeune âge, c’est dans leur culture, elles sont toujours respectueuses et à l’écoute. Quelquefois c’est même trop bien huilé, il n’y a jamais d’imprévu. À chaque début de mois, on me donnait mon planning et il n’y a jamais eu le moindre changement. Il n’y a pas d’imprévu en Allemagne.
Tu as finalement décidé cette saison de revenir en France, à Juvisy. Pourquoi ce choix ? Je suis parti d’Allemagne car la solitude me pesait. Et puis à Juvisy, je connaissais déjà quelques joueuses, j’avais envie d’être rassurée sur mon entourage. Et il se trouve que Juvisy cherchait justement une buteuse. Malheureusement pour l’instant, ça ne se passe pas trop bien, je n’ai marqué que 3 buts en 10 matchs. Chez moi, tout est basé sur la concentration, je n’ai pas beaucoup d’occasions pour la mettre au fond. À vrai dire, je suis plutôt une attaquante de surface, il ne faut pas trop compter sur moi dans le jeu. Donc voilà, le manque de confiance se paie cher, c’est pourquoi j’ai décidé de prendre un coach mental. Hasard ou pas, avant de le voir, je n’avais marqué qu’une fois. Depuis, les choses s’améliorent : dans le derby contre Paris, le 6 décembre, c’est moi qui ai marqué le seul but du match.
Avec six championnats, quatre coupes et deux Ligues des champions, tu possèdes un des plus beaux palmarès du football français. Quel serait le moment le plus fort de ta carrière ?(Elle hésite) Le plus beau moment, pour moi, ce serait clairement la première victoire en Ligue des champions contre Potsdam (2-0) en 2011. Gagner la Coupe d’Europe, c’était une première pour un club français, tout comme le fait de battre un club allemand. Cette année-là, on a fait le triplé championnat, coupe et Ligue des champions. On a bien fêté ça.
Je pensais que tu allais me parler de ta saison 2006-2007, où tu as fini meilleure buteuse de D1, avec 42 buts en 21 matchs. Des statistiques à la Cristiano Ronaldo… Je ne saurais pas expliquer ce qui m’est arrivé cette année-là. C’était dingue, je marquais à tous les matchs. Tout roulait pour moi, je jouais avec Camille Abily et Sonia Bompastor, qui me soutenaient bien. J’étais en pleine confiance, je savais que j’allais marquer en entrant sur le terrain. Mais bon, tous ces buts, je ne les ai pas marqués toute seule.
Quelle est ta plus grosse déception au contraire ? Je dirais la première défaite en finale de Ligue des champions, aux tirs au but contre Potsdam, en 2010. On fait match nul contre elles dans le temps réglementaire puis la prolongation. Arrive la séance de tirs au but, on gagne 3-2, il ne manque plus qu’un but, et la gardienne allemande sort 3 arrêts décisifs, on finit par perdre 7-6. C’était inexplicable. On a eu peur de gagner. (Elle réfléchit) Sinon avec l’équipe de France, il y a forcément un goût d’inachevé avec les 4e places à la Coupe du monde et aux JO, mais je me souviens surtout de la défaite contre les Pays-Bas à l’Euro 2009. On perd aux tirs au but alors qu’on a passé 90 minutes à dominer dans leur camp, c’était dur.
Tu étais de toutes les dernières campagnes internationales des Bleues. Quels souvenirs gardes-tu de ces épopées ? Forcément celui de la Coupe du monde 2011 en Allemagne : on a joué dans des stades pleins de 50 000 personnes, c’était incroyable. Si on organisait la compétition en France, je ne sais pas si on arriverait à remplir le Parc ou le Vélodrome, mais j’en doute.
Cela représente quoi pour toi l’équipe de France ?C’est un objectif permanent. J’ai un parcours assez atypique, j’ai connu de longues périodes vierges sans sélections avant d’y retourner. Il faut savoir que quand on a une sélection en équipe de France, on l’apprend sur Internet. On allume l’ordinateur et on attend de voir si on y est, mais certaines joueuses ne le font même plus car elles sont sûres d’être dans le groupe. Moi, ce n’est pas mon cas (29 ans, 22 sélections, 9 buts). En 2010-2011, je n’ai participé à aucun match qualificatif, absolument rien, et le jour de la liste pour la Coupe du monde, il y a mon nom. Alors que pendant deux ans rien, même pas un match amical. Je sais donc d’expérience qu’il faut toujours apprécier ces moments car on n’est jamais sûre d’y retourner. Ma dernière sélection, c’était cet été à l’Euro, j’espère que mon nom sera encore dans la liste en 2015.
Pour finir, quelles sont les joueuses que tu admires le plus ? J’ai toujours été bluffée par Shirley Cruz, la numéro 6 du PSG, avant elle était à Lyon avec moi. Elle est au-dessus des autres, ça s’explique pas. Sinon, à Juvisy, je côtoie Marinette Pichon, qui m’a toujours impressionnée. Lors d’une de mes premières sélections, je suis arrivée en retard et on m’a mis avec elle dans la chambre, donc c’est un peu mon mentor depuis le début. Pour moi, cela reste l’une des meilleures attaquantes de l’histoire. Elle me donne des conseils à l’entraînement, je travaille beaucoup avec elle. Et je peux vous dire qu’elle n’a rien perdu (rires).
Propos recueillis par Christophe Gleizes
Pour plus de photos de l’événement, visitez le Facebook de l’association « Manage your dreams »
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