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- Interview Alessandro Aleotti
« Une identité footballistique réduirait la discrimination envers les roms »
Président du Brera Calcio que l’on peut considérer comme la troisième équipe de Milan, Alessandro Aleotti a décidé de lancer la sélection Rom qui participera en mai à la prochaine Coupe du monde des minorités.
Commençons par une citation de vous « Il faut que la rhétorique laisse place à la pratique. Les écharpes pour le Téléthon ou les maillots contre le racisme ne sont que le prix qu’un football gâté doit payer à un imaginaire football vertueux. Tout ceci ne sert à rien. »
Je suis convaincu que le football est un excellent instrument pour intervenir sur les thèmes de fragilités sociales, car c’est un langage universel et il fait partie de la vie des Italiens. On peut faire passer des messages très importants, malheureusement le monde du foot s’en sert juste comme propagande et il ne se mouille pas vraiment. Il y a des banderoles déroulées, des maillots enfilés, un tout petit pourcentage des revenus reversé à quelques fondations, mais personne ne met à disposition son know-how footballistique pour intervenir sur le plan social. Nous, le petit club de Brera calcio, avons fait des choses importantes mais sur la durée, elles ont même permis de changer les lois et règlements.
Expliquez-nous par exemple ce qu’était Milanomondo.
On a fait du lobbying afin que les immigrés puissent jouer dans les clubs amateurs, alors que jusqu’au début de ce siècle, seul un seul joueur de plus de 16 ans par équipe pouvait posséder une licence. Les normes étaient inadaptées alors que les étrangers sont pour la plupart des immigrés et ne viennent pas juste pour jouer au football. Tavecchio, aujourd’hui président de la fédé et en poste à la ligue amateur à l’époque, s’était montré sensible et on a donc pu changer le règlement. Désormais, tous les immigrés avec un permis de séjour en règle peuvent jouer dans les clubs amateurs. Concrètement, Milanomondo était une ligue de 24 équipes/nations différentes qui s’affrontaient pendant quelques jours. Les joueurs évoluaient avec les couleurs de leur pays, il y avait des hymnes nationaux, des milliers de personnes de chaque communauté y assistaient, mêmes les consuls venaient, c’est l’Équateur qui gagnait souvent.
« Freeopera » est une autre initiative dans le même style.
On a réussi à mettre d’accord le ministère de la justice et la FIGC afin que les prisons aient des clubs participant aux championnats. Évidemment, il fallait respecter certaines choses, par exemple, ils jouaient toujours à domicile ! Et puisque une prison est une communauté, on a également fait naître une équipe de la police pénitentiaire, car il s’agit de conserver un équilibre fragile et ne pas trop pencher dans un sens pour éviter de générer des contrecoups négatifs. Quatre ou cinq établissement ont ainsi monté une équipe. Les projets sociaux doivent savoir mélanger des mondes différents. Le fait que chaque dimanche, une cinquantaine de personnes de l’équipe adverse entraient dans une prison et prenaient conscience de la réalité carcérale, c’est une chose très civile et utile. Et inversement pour les prisonniers qui avaient une relation extérieure sur une base paritaire. C’est un vrai élément d’intégration.
Vous avez aussi écrit un essai qui s’appelle Le foot parfait.
J’ai tenté une lecture méta-religieuse du football dans un pays comme l’Italie. Les caractéristiques de ce sport sont très similaires avec celles de la théologie catholique. La violence verbale et physique autour du foot n’est qu’une radicalisation d‘une sorte d’extrémisme religieux. Si vous tuez au nom de la religion, vous le faites dans le cadre d’une phénoménologie déviante, mais qui est liée au gamin qui fait sa communion. Tout ce qu’on appelle racisme dans les stades, c’est la même chose, c’est une radicalisation de matrice méta-religieuse de ceux qui croient en une pureté du calcio et le considèrent contaminé par la modernité.
Pourquoi s’être lancé dans l’aventure de cette sélection rom ?
Déjà, j’estime que le foot permet d’aller au-delà d’une série de fragilités et discriminations sociales, car il est par essence un instrument non-discriminatoire. Le match légitime les prétendants, ils peuvent être vos ennemis, mais ils sont légitimes. La discrimination intervient à partir du moment où vous ne donnez même pas le statut d’ennemi à la personne discriminée. Aujourd’hui en Europe, la question rom est le contexte où le racisme s’exprime de la manière la plus flagrante. Il ne s’agit pas de faire jouer quelques roms et gitans, non, c’est un vrai projet de foot afin d’intervenir dans les endroits où la question rom est très critique.
L’idée est donc de monter une équipe active toute l’année.
Oui, pour disputer des matchs amicaux contre des équipes professionnelles importantes. La construction d’une identité footballistique contribuerait fortement à surmonter les phénomènes structurels de cette discrimination. Et peu importe si les spectateurs adverses crient « gitans de merde » depuis les tribunes, car un cap important serait déjà passé. Aujourd’hui, le rom est considéré une non-personne, quand ils entrent dans un bar c’est « dehors les roms » , gouvernement de droite comme de gauche détruisent leurs habitations, et ils considèrent ça comme une médaille. Il y a une accoutumance à l’idée, comme pour les juifs dans les années 30, que cette catégorie est un peu sous humaine, et qu’on peut la traiter comme on veut. Construire une identité positive à travers une équipe de foot forte peut contribuer à donner une sorte de dignité positive pouvant positivement influencer la perception de chacun.
Quelles ont été les démarches à faire ?
La ConiFA (confédérations des associations de football indépendantes) m’a toujours intrigué, car c’est un fait géopolitique intéressant. J’ai vu qu’ils avaient déjà accrédité par le passé une équipe rom via une association allemande, mais il s’agissait d’une ONG assez classique qui n’avait pas un vrai projet foot. Nous sommes entrés en contact et on leur a proposé de reprendre leur affiliation. Il y a eu un congrès à Bergame le 10 Janvier dernier pour savoir quelles allaient être les 12 sélections choisies, et on a été la 12e juste devant la Transnistrie.
Comment trouver les joueurs ?
C’est une ethnie sans pays et même sans la volonté d’avoir un pays ! Elle est ainsi présente dans toute l’Europe, je voulais donc que cet aspect soit représenté. Beaucoup de joueurs professionnels sont des roms, Ibrahimović, Quaresma, Reyes etc. Il suffit de taper sur Google et vous trouvez la liste, mais c’est une identité qui n’est pas affichée volontiers. Par exemple, Pirlo vient d’une ethnie sinté, c’est un tzigane, mais il n’a jamais aimé que cette chose soit publique, et beaucoup sont dans ce cas. C’est un peu pareil pour l’homosexualité. Évidemment, on ne s’attendait pas à ce que ces grands noms viennent, mais on cherchait tout de même dans les clubs pros, malheureusement on s’est vite rendu compte qu’on ne ne les autoriserait pas à venir pour des raisons d’assurance notamment.
Quelle a été la solution de « repli » ?
On a changé de cap, on veut construire un modèle national qui puisse être répliqué dans d’autres pays. On a donc fouillé dans les équipes amateurs italiennes. C’est une ethnie très complète, les roms, les manouches, les gitans, soit 12 millions de personnes en Europe. On fait beaucoup la confusion entre roms et roumains, mais tous ces gens qui vivent dans des cabanes, sur les routes, ça concerne plus la désintégration et la pauvreté extrême contrairement aux tribus nomades. Parmi elles, on trouve donc des italiens et footballeurs et on parcourt les diverses communautés pour ramener des gars qui jouent entre la 4e et la 6e division, tout en s’appuyant sur l’association de Dijana Pavlovic, activiste internationale de cette cause, et en contact avec toutes les communautés. Il ne s’agit pas de prendre le petit rom qui tape le ballon dans la rue.
En Italie, un important politicien n’hésite pas à parler de bulldozer pour régler la question rom.
Il s’agit de Matteo Salvini de la Lega Nord, il y a d’ailleurs la sélection padane qui représente l’Italie septentrionale, si on la bat, ça risque de le mettre dans l’embarras. Cela dit, à partir du moment où nos joueurs endosseront le maillot de leur sélection, leur image changera auprès de leurs détracteurs. Le foot donne un « permis » footballistique à n’importe quelle identité. Si les roms deviennent une sélection, ils seront jugés pour comment ils jouent sur le terrain et même si le chambrage verbal restera, vous avez déjà fait un grand pas. C’est comme ceux qui crient « noir de merde » à Balotelli, tous échangeraient leur vie contre la sienne dès demain, peau comprise. D’un point de vue socio-historique, le phénomène de la discrimination raciale ne prévoit pas un transfert, le nazi n’aura jamais échangé sa place avec un juif, idem pour le sud-africain blanc avec le sud-africain noir contrairement à celui qui insulte Balotelli.
Ce n’est donc pas du racisme proprement dit ?
Non, c’est un phénomène antipathique, mais ce n’est pas du racisme. De fait, le foot peut contribuer à réduire cette discrimination envers les roms, il s’agirait d’une identité positive dans un langage universellement reconnu. D’ailleurs, leur seule faute historique est finalement d’être irréductible à l’intégration. Là, on entre dans une bataille de liberté et de civilité, pourquoi contraindre une personne à s’homologuer à des styles de vie mainstream ? On peut encore vivre comme l’on veut non ? Les vols ? C’est vrai qu’il y a beaucoup de roms qui volent, le nier serait mentir, mais ça, la justice s’en charge, non ? Tous les roms qui volent sont des voleurs, mais pas tous les roms.
Vous avez un objectif durant cette compétition ?
Elle commence le 28 Mai en Abkhazie, on se réunira quelques jours avant à Milan pour former l’équipe qui sera dirigée par mon entraîneur du Brera Calcio, et on aimerait déjà disputer un amical contre l’Inter ou le Milan. C’est la Padanie qui est première au ranking ConiFA, je pense qu’on peut atteindre ce niveau, car on ne va pas là-bas en vacances. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, la victoire est très importante. Je l’ai vu avec « Freeopera » , c’est un projet qui a également pris grâce aux bons résultats. Ils sont fondamentaux, c’est ce qui permet d’aller plus loin que la simple question de dignité sociale.
Propos recueillis par Valentin Pauluzzi