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Une histoire de flingue, une histoire de fous
C'est une histoire surréaliste qui s'est déroulée dans une chambre d'hôtel, l'an dernier à Istanbul. Une histoire dont on connaît les détails depuis quelques semaines seulement, depuis que Hüseyin Çalhanoğlu, père de Hakan, en a parlé dans la presse turque : son fils, ainsi que Ömer Toprak auraient été menacés par Gökhan Töre avec un flingue, pour une sombre histoire de drague mal placée. Et le week-end dernier, le joueur du Bayer Leverkusen, invité sur la ZDF, a tenu à livrer sa propre version des faits, qui ne correspondent pas tout à fait à ceux que l'on trouve dans un rapport de police. Une histoire digne d'un feuilleton turc.
L’histoire avait été relayée par Bildune première fois en juin dernier : en octobre 2013, suite à la défaite 2-0 de la Turquie face au Pays-Bas à Istanbul (match comptant pour les qualifs à la Coupe du monde brésilienne), quelques Kırmızı Beyazlılar (les Rouge et Blanc) étaient restés sur place, attendant de repartir le lendemain en avion chez leurs employeurs respectifs. C’est le cas d’Ömer Toprak et de Hakan Çalhanoğlu. Toprak et Çalhanoğlu, accompagnés par un pote de Toprak, avaient décidé d’aller boire un verre. Sur leur route, ils croisent Gökhan Töre, leur coéquipier en sélection, accompagné d’un ami. Pour une raison inconnue, une embrouille éclate. Toprak, son pote et Çalhanoğlu retournent à l’hôtel, dans leur chambre. Quelque temps plus tard, Töre débarque, frappe à leur porte. Personne n’ouvre. Et puis on ne sait trop comment, Töre parvient à se procurer le badge de la chambre de ses coéquipiers, y entre avec son pote, qui dégaine un pistolet et se met à braquer Toprak et Çalhanoğlu. Devant le surréalisme de la scène, le gun est rangé, et Töre et son pote finissent par partir.
Un curieux hasard
À cause de l’engouement créé par la Coupe du monde au Brésil, cette histoire est un peu tombée aux oubliettes. Mais elle est revenue sur le tapis vers la mi-octobre, lorsque la Turquie s’est retrouvée à jouer deux matchs comptant pour les éliminatoires de l’Euro 2016. Ömer Toprak et Hakan Çalhanoğlu n’ont pas été convoqués par Fatih Terim pour la réception de la République tchèque et le voyage en Lettonie. Officiellement, les joueurs du Bayer Leverkusen étaient blessés, suite à la rencontre face à Paderborn en championnat : problèmes musculaires pour l’un, bobo au mollet pour l’autre. De son côté, Töre était bel et bien là. Chose étonnante : quand on regarde tous les matchs disputés par la Turquie depuis octobre 2013, Toprak et Çalhanoğlu n’ont jamais été convoqués en même temps quand Töre l’était. Et finalement, c’est Hüseyin Çalhanoğlu, le père de Hakan, qui a fini par lâcher le morceau dans la presse turque. « Je demande à Fatih Terim : comment réagirait-il si on menaçait son fils avec une arme à feu ? Je suis un père, et j’attends des explications de sa part.[…]Il y avait une arme dans cette histoire. Je ne veux pas diaboliser Gökhan, mais il s’est mal comporté. Hakan et Ömer ne joueront plus jamais dans une équipe avec Gökhan » , s’est confié Çalhanoğlu senior à Hürriyet.
Gökhan yourself a gun
Petit à petit, de nouveaux éléments ont commencé à sortir les jours suivant ces déclarations. Notamment une grosse enquête relayée dans l’émission Kriminal Spor sur Radyospor. D’après le rapport de police qui a été établi ce soir-là, tout ce cirque aurait pour origine une histoire de meuf. Après le match perdu contre les Pays-Bas, Toprak et Çalhanoğlu sont allés en boîte. Töre et un pote de Cologne les ont rejoints là-bas. Quand ils ont su que Töre était là, Toprak et Çalhanoğlu sont rentrés à l’hôtel. Et quand Töre a su qu’ils avaient bougé, ils les a rejoints là-bas. Töre est allé taper à la porte de la chambre de ses coéquipiers. Pas de réponse. Il descend alors à la réception, et feint d’avoir perdu le badge de sa chambre. On lui en fournit un nouveau. Il se rend alors dans la chambre et ouvre la porte. Toprak essaye de l’arrêter, mais Töre sort une arme et la colle sur le front du joueur du Bayer. Et lui met une droite. Toujours d’après le rapport de police, Töre serait ensuite allé voir Çalhanoğlu et lui a collé… son flingue dans la bouche. La folie totale. Puis le pote de Töre a fini par intervenir, a pris l’arme de Töre et l’a planquée sur lui, et les deux hommes ont bougé. Par la suite, Toprak et Çalhanoğlu sont allés voir des responsables de la fédé turque (la TFF), qui les ont priés de ne pas porter plainte contre Töre…
The Message
Alors forcément, quand Hakan Çalhanoğlu passe à la télé allemande, on a envie de savoir. Et, samedi soir, dans l’émission Sportstudio de la ZDF, il donne tranquillement sa version des faits. À la base, selon le joueur du Bayer, ce n’est pas une embrouille entre joueurs, mais entre Gökhan Töre et un pote d’Ömer Toprak, accusé d’avoir dragué la meuf du joueur du Beşiktaş. « Nous étions au mauvais endroit au mauvais moment » , déclare-t-il, un peu fataliste. Après la rencontre, lui, Toprak et son pote sont allés boire un verre et puis sont allés dans leur chambre, « et non en boîte, comme cela a été raconté dans les journaux » . « Töre a appris que le pote d’Ömer était avec nous. Quand Töre est venu taper à notre porte, le gars savait de quoi il en retournait. Je ne sais pas si Töre avait pris quelque chose avant de venir. En tout cas, il était super énervé. Il a tapé, on n’a pas ouvert. Puis Töre a réussi à récupérer un badge pour la chambre. Il est revenu, nous a dit que c’était le « Room Service » pour nous appâter. Mais on ne voulait pas ouvrir la porte, j’étais en panique. Et puis je me suis dit que de toute façon, c’était pas grave entre coéquipiers, on pouvait se parler et régler cette histoire. J’ai fini par ouvrir. Il est passé devant moi, directement pour aller voir le pote de Toprak, suivi d’un autre mec, et là, c’était parti. »
« Allonge-toi ou je te tire dessus »
Déjà, cette version de l’histoire est légèrement différente du rapport fait par la police. Et la suite aussi. Toujours d’après Çalhanoğlu, le pote de Töre a sorti une arme et dit à Toprak : « Allonge-toi ou je te tire dessus. » Puis ils sont allés voir Çalhanoğlu. « Ils m’ont frappé. J’étais dans un coin, le gars est venu me voir et m’a dit de ne pas bouger, sinon il allait me tirer dessus. J’étais nerveux, bloqué dans mon coin. Certains en rient peut-être aujourd’hui, mais moi, je n’ai pas rigolé. Puis à la fin, ça s’est arrêté, et le jeune (le pote de Toprak) avait saigné. » Plus tard, Hakan Çalhanoğlu en a parlé à ses parents, et toujours selon ses dires, son père « a réagi en tant que père. On n’avait jamais discuté de quelconque interview » . Cette apparition télévisée est déjà culte. Non seulement pour les propos tenus par Çalhanoğlu, mais aussi pour toute l’animosité qu’elle a déclenchée. À Hambourg, on se rappelle encore de la manière dont le natif de Mannheim a quitté la ville pour le Bayer. En début de saison, il n’était pas revenu à l’entraînement du HSV, prétextant des problèmes psychologiques suite aux réactions des fans concernant un éventuel départ. Puis, en loucedé, il a réussi à bouger au Bayer. Du coup, sur le net, nombreux sont ceux et celles qui l’ont traité de menteur. Mais en vrai, pourquoi Hakan Çalhanoğlu a-t-il raconté une telle histoire, sachant qu’à l’époque, il ne voulait rien dire, pour « ne pas entacher la carrière de Töre » ? Qui dit vrai, qui dit faux ? Le joueur, ou le rapport de police ? Qu’en pense Ömer Toprak ? Qu’en dit Gökhan Töre ? Et surtout, que doit faire Fatih Terim ? Au pays des derviches tourneurs, le Bosphore n’a pas fini de faire de remous.
Par Ali Farhat