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Une histoire de Collègues

Par Benjamin Asseraf et Ugo Bocchi
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Une histoire de Collègues

Il y a exactement 17 ans, Les Collègues, film culte sur le football à Marseille, sortait en salle. Et aujourd’hui, s’il n’a pas encore atteint l’âge de la majorité, il n’en reste pas moins majeur. Au moins dans le Sud.

Été 98, pendant que le monde entier vit au rythme de la Coupe du monde, et que Dennis Bergkamp accomplit l’un des plus grands chefs-d’œuvre du XXe siècle, Marseille, elle, vibre pour une autre compétition. Au milieu des Hollandais et des Argentins qui se pavanent sur le Vieux-Port, une camionnette bleue bruyante, remplie de joueurs pas comme les autres. Eux, c’est l’Espoir Club Boretti (ECB) et ils viennent de remporter la Mondialette. Au dessus d’Aix-en-Provence, personne ne sait vraiment ce que c’est. Mais en dessous, elle a presque surpassé le Mondial français. La Mondialette, ce tournoi de foot marseillais imaginé dans Les Collègues, a permis à l’ECB de ne pas transformer son stade en piscine municipale. Futile dit comme ça, mais aujourd’hui elle fait partie du patrimoine. C’est un hommage aux petits clubs de quartier et aux équipes de « bras cassés » qui se battent pour que l’histoire continue de s’écrire. Parmi les Collègues, il n’y avait pas de joueurs de ballon. Ou presque pas. Et cette Mondialette, ils ne l’ont pas gagné avec le talent, mais plutôt avec le cœur, la bonhomie et la gouaille marseillaise, complètement indispensables. Une bande de potes saupoudrée de quelques têtes connues, une atmosphère Coupe du monde et une bonne dose de soleil, il n’en fallait pas plus pour réaliser le long métrage qui a marqué Marseille et le Sud de la France pour toujours.

Lhermitte, Lindon et source inépuisable d’insultes

Pourtant, Philippe Dajoux et sa troupe étaient loin de se douter d’un tel succès. Tout part d’une idée dans un coin de la tête du réalisateur : « À la base, je tournais des petits sketchs sur Paris avec Pierre Lopez (Lulu), Bob Assolen (Michel), Cyril Lecomte (Albert), Sacha Bourdo (Igor) et Mickaël Aragonés (Le Corse). Et mon rêve, c’était de retourner chez moi, à Marseille, pour tourner mon premier long métrage avec mes potes. » Une idée qui grandit au fil des jours, mais qui peine à prendre forme, faute de producteur sérieux. Jusqu’à cette rencontre avec Thierry Lhermitte, qui fait une apparition symbolique, et jusqu’à ce que sa boîte de production accepte de financer le film. Mais avant que la mayonnaise ne prenne vraiment, il manquait un petit plus.

Quoi ? De vrais ambassadeurs marseillais : « Vincent Lindon voulait jouer le rôle de Francis Boretti. Mais j’avais déjà dit oui à Joël Cantona, il était très motivé. Dans la troupe, il y en a qui démarrait, et d’autres plus chevronnés. Atmen Kélif jouait déjà dans les Deschiens, Bosso faisait de la scène, tandis que Robert et Pierre, c’était leur premier film. Y avait un peu de tous les univers, et c’est ce que je voulais. » Avant de tous les réunir, Philippe prend quand même le temps de s’imprégner des ambiances de stades de quartier : « Je suis allé voir au moins vingt matchs, et j’ai écrit les dialogues en écoutant les gens parler dans les tribunes. Ils sont exceptionnels ! Il y a des dialogues qui allaient au-delà de ce que je pouvais imaginer. Les parents, les enfants qui jouent, ou au stade Vélodrome dans les virages, peuvent inventer des insultes qui sortent du commun. » C’est bon, tous les ingrédients sont réunis. Les Collègues peut enfin voir le jour.

Oaï, pastis et dentifrice

En plein mois de juin 98 à Marseille, le soleil cogne sévère sur les casques. Et Les Collègues ne demande pas mieux. Pour la durée du tournage, toute l’équipe est logée à la même enseigne, à l’hôtel Mercure du Vieux-Port. « Eux, ils doivent encore se souvenir de nous, se rappelle Mickaël Aragonés. Tous les soirs, on mettait le oaï, on sortait boire un coup à droite, à gauche. Et puis on avait Bosso et Canto avec nous… Ça a été un joyeux bordel ! » Travail, sorties, fatigue, mais rigolade avant tout. Le tournage démarre et les conneries avec. Forcément, vivre ensemble, ça rapproche et ça casse des barrières. « On rentrait très tard tous les soirs et on se retrouvait à 8h du matin sur le plateau, en plein cagnard, alors qu’il fallait courir avec trente-cinq degrés » , rigole Bob, dit Michel. Un mélange des plus savoureux et qui inspire Philippe Dajoux : « Je m’étais renseigné pour savoir si on pouvait jouer au foot bourrés. Et bien, j’ai appris que l’alcool n’était pas un produit dopant. Si ton entraîneur veut bien te faire jouer, tu as le droit d’arriver complètement bourré sur le terrain. »

Ce qui lui fait imaginer un joueur complètement alcoolique. Igor, un gardien russe recruté 50 000 francs qui se découvre une passion pour le pastis et doit en avaler 26 pour jouer à son meilleur niveau : « À l’époque, on tournait en pellicules super 16, et ça coûtait super cher. Du coup, fallait pas faire n’importe quoi, on répétait beaucoup avant de tourner. Et je ne sais plus qui décide de mettre du vrai pastis dans la bouteille où il devait y avoir de l’orgeat. Et donc Igor, moteur, ça part : il boit le premier, il dit rien. Le deuxième, il ose rien dire. Et au bout du troisième, le pastis lui sort par le nez et il est tombé par terre K.O. » En fait, chaque joueur de l’équipe représente assez précisément le genre de mecs que personne ne souhaite voir dans son équipe. Le gardien alcoolo, donc. Mais aussi, le fan de Ravanelli, descendant d’une grande famille marseillaise, avec les pieds carrés. Cyril Lecomte alias Albert Girardi : « Je m’étais teint les cheveux pour le film, c’était l’enfer. Le genre de trucs que je n’assumais pas du tout en dehors du tournage. Dedans non plus d’ailleurs. Sur le terrain, je faisais carrément précieuse, ça passait parfois mal. » Ou encore, le gardien « bidon » un peu enrobé, fils de poissonnier et pas toujours très frais, raconté par son réalisateur : « Languillé se mettait du dentifrice sur le bord des lèves pour faire le dégueulasse. Et puis je disais bien aux acteurs avant chaque scène qu’il pue pour bien qu’ils l’intègrent. » Et enfin, liste non exhaustive : Lulu, le sanguin. Michel, le gros gueulard à moitié sourd. Eros, l’attaquant qui ne veut pas mettre de tête au risque de se décoiffer. Maké, le grand et costaud défenseur black. Blanco, le philosophe. Doumé, le Corse…

Pagis, APG et Star Wars

En somme, une équipe de bras cassés qui ont, sans aucun doute, fait le succès des Collègues. Un mélange de personnalités dans lequel Marseille s’est retrouvée, et dans lequel chaque personne qui a fréquenté le milieu amateur a pu s’identifier. À tel point que la fièvre des Collègues s’invite même à l’Olympique de Marseille. « Jean-Marie, le frère de Joël, est devenu agent de joueur, et il m’a dit que Pagis avait posé une affiche des Collègues dans les vestiaires de Sochaux, explique Cyril Lecomte. Non mais t’imagines le truc ?! La vraie, grande affiche dans le vestiaire de Sochaux ! » Tout comme André-Pierre Gignac qui, lors de son passage à l’OM, met un point d’honneur à faire découvrir le film aux nouveaux arrivants. Si, en province, le succès est au rendez-vous, du côté de la capitale, ce n’est pas tout à fait la même chose. Les journalistes ne saisissent pas bien le côté parodique, et le film est boudé dans les salles. Logique pour Philippe Dajoux : « On aurait pu faire 1 million d’entrées facilement, mais niveau promotion, on n’a pas été futés. On a sorti le film à Paris avec des grandes affiches « Made in Marseille ». Si on avait fait l’inverse à Marseille, forcément, ça n’aurait pas marché. »

Malgré un flop à l’échelle nationale, Les Collègues a traversé les générations plus au sud. Pierre Lopez : « J’ai compris qu’il y avait un truc trois ans après les Collègues quand je me suis retrouvé dans un jardin tout seul tranquille, et que là, il y a des jeunes qui arrivent en bagnole, ivres morts mais cools, et que les mecs ont refait tout le film. Ils ont sorti toutes les répliques du film. » Chose dont les autres acteurs ont également pu se rendre compte lors du quinzième anniversaire du film, qui avait réuni toute l’équipe à l’été 2014. « C’était de la folie, j’avais l’impression qu’on avait fait un Star Wars ! Les gamins nous touchaient comme si on était des stars, alors que la plupart n’étaient même pas nés à l’époque du film » , se souvient Cyril Lecomte. Depuis dix-sept ans maintenant et la sortie du film, les rumeurs quant à un deuxième opus vont bon train. Même si Philippe Dajoux a pensé à une suite, pour l’instant, rien n’est en marche. Mais ça n’empêche pas Philippe Dajoux et sa bande de rester une « belle bande de collègues » .

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