- Copa América 2024
Copa América : un terrain ouvert au prosélytisme
Alors que les équipes s’affrontent sur les terrains de la Copa América, une autre compétition se joue en coulisses : celle des influences religieuses et politiques. De la bénédiction du tournoi par des pasteurs évangéliques lors de la cérémonie d’ouverture à la stratégie politique de Joe Biden pour mobiliser les électeurs hispaniques, ce tournoi commence bel et bien dans un climat très particulier.
La température était douce à Atlanta jeudi dernier, à peine 20°C, ou près de 70°F pour parler comme les locaux, et tous les ingrédients étaient réunis pour que la Copa América débute en beauté. Dans ce bijou architectural et technologique qu’est la Mercedes-Benz Arena, nid des Falcons d’Atlanta et futur hôte du Mondial 2026, l’ambiance était électrique. Cette répétition générale sur le sol américain, prélude à la Coupe du monde qui se tiendra dans le pays de l’Oncle Sam, au Mexique et au Canada, promettait déjà son lot de frissons. Les gradins vibraient au rythme endiablé du reggaeton du chanteur colombien Feid, dont le show donnait le ton d’une compétition coorganisée par la CONMEBOL et la CONCACAF, fruit du partenariat stratégique entre les deux entités. Sur le terrain, l’attente était palpable : d’un côté, le retour triomphal des champions du monde argentins menés par le « presque local » Lionel Messi ; de l’autre le début officiel des Canadiens sur la scène continentale, quelques mois après avoir participé à leur première Coupe du monde depuis 1986.
God bless Copa América
Il ne manquait donc rien pour pouvoir lancer cette fête du football américain, si ce n’est… une prière. Et cela a été chose faite sous les regards le plus souvent surpris, voire éberlués des spectateurs. En effet, à la fin de la cérémonie, le pasteur évangélique paraguayen Emilio Agüero Esgaib (aucun lien de parenté avec « Kun » qui était d’ailleurs présent pour présenter le trophée), accompagné d’un pasteur américain, a béni la compétition, notamment avec le message suivant : « Jésus a dit : “Je suis venu pour qu’ils aient la vie, et qu’ils l’aient en abondance.” Une vie pleine consiste à s’aimer les uns les autres, à se pardonner les uns les autres et à s’unir les uns aux autres. […] Dieu, nous te demandons de bénir le tournoi, les nations représentées, les équipes, les joueurs et les familles. Que ta paix et ta protection soient sur tous, au nom de Jésus, Amen. »
Presencia del pastor paraguayo Emilio Agüero Esgaib, que se encargó de bendecir la inauguración de el inicio de la competición más antigua a nivel de selecciones en su edición número 48. pic.twitter.com/mCs4bwZN3I
— Click Digital (@SomosClickOK) June 21, 2024
La surprise de voir un tournoi international de football incorporer une prière religieuse lors de la cérémonie d’ouverture, ce qui est ouvertement interdit par la FIFA, était totale et a enflammé les réseaux sociaux. De nombreux internautes se sont plaints de la superpuissance des églises évangéliques et de leurs tons messianiques et prosélytes, s’indignant que cela s’étende jusqu’au terrain du sport. Mais ce qui a encore amplifié la polémique est la figure choisie pour ce message. Emilio Agüero Esgaib est un pasteur proéminent de l’église Más que vencedores, une congrégation qui compte parmi ses fidèles un certain Alejandro Domínguez, président paraguayen de la CONMEBOL. Il est également le neveu du député Yamil Agüero Egaib, dans la tourmente pour une affaire de corruption et de violence contre les femmes. Bien plus que ce népotisme assez flagrant, cette figure de l’évangélisme du sud du continent américain enchaîne également les polémiques, avec des déclarations transphobes, anti-avortement et contre les théories du genre, comme le relève le journal argentin Clarín, qui le surnomme « le pasteur misogyne ». Ce dernier avait par exemple qualifié des femmes trans de « grotesques », tout en rappelant bien qu’il ne permettrait jamais à sa femme ou sa fille de se déguiser en homme. Ses positions contre la communauté LGBT+ et anti-avortement sont bien évidemment les autres noms cochés par le pasteur sur sa feuille de match.
Biden en mode gegenpressing
Un autre enjeu se dessine en arrière-plan de ce tournoi. Joe Biden, en quête d’un second mandat et en difficulté dans les sondages, particulièrement auprès des jeunes et de l’électorat hispanique, tente une manœuvre de contre-pressing clairement ciblée sur ces segments de la population. Julie Chávez Rodríguez, directrice de la campagne Biden-Harris 2024, dévoile la stratégie : « Nous cherchons à canaliser l’énergie de la Copa pour mobiliser et atteindre les électeurs hispaniques qui décideront de cette élection dans leurs communautés, sur les ondes et lors des matchs. » Le clip de campagne de Biden, habilement conçu, remonte le temps jusqu’à l’édition 2021 de la Copa en tentant de rappeler l’héritage de Trump lors de la pandémie de Covid. « Il y a quatre ans, nous étions à l’arrêt, les stades étaient vides, Trump nous avait laissés tomber. Puis Joe Biden a pris les commandes. Il a rouvert le pays et nous a remis sur les rails. »
Cette approche, loin d’être anodine, vise à intensifier la présence de Biden dans les « swing states », ces États-pivots où se jouera le sort de l’élection de novembre. Plus de 10 rencontres de la Copa América sont programmées dans ces terres convoitées – le Nevada, l’Arizona, la Géorgie, la Caroline du Nord notamment –, autant de lieux que l’équipe de campagne de Biden compte bien utiliser pour faire passer son message. Par ailleurs, de nombreux matchs ont lieu dans des États où la population hispanique, la plus attirée par le soccer, réside en grand nombre. La Copa América devient donc, presque malgré elle, le théâtre d’une stratégie électorale et religieuse où chaque moment de visibilité pourrait bien se traduire en votes dans les urnes ou à travers des prières.
Par Jonathan Leblanc, à Atlanta