- C1
- Quarts
- Bayern-Villarreal
Unai Emery, plus qu’un coach de coupe ?
Septième de Liga après 31 journées, Villarreal a rendez-vous mardi soir à Munich pour basculer vers la deuxième demi-finale de Ligue des champions de son histoire, mais surtout pour faire fructifier le plan presque parfait dessiné par Unai Emery lors de la manche aller.
Au printemps 2018, plongé sans brassard au milieu de ses dernières heures parisiennes, Unai Emery accepte un temps d’introspection en compagnie du journaliste Marti Perarnau. Au cours d’un long entretien réalisé pour la revue The Tactical Room, il faut alors voir le technicien basque retourner dans tous les sens ses 114 matchs dirigés avec le PSG, son passé et son avenir, mais aussi louer les qualités d’un système : le 4-4-2. Extrait : « J’ai toujours considéré que les systèmes en 4-4-2, qui sont de nouveau à la mode en Espagne, sont les meilleurs pour éviter que l’adversaire ne casse tes lignes. Parce qu’il doit en passer trois. Les équipes de Marcelino sont, par exemple, bonnes parce qu’elles le font très bien. C’est très difficile de dépasser chacune de ces trois lignes. Ses équipes cherchent à récupérer pour contre-attaquer, avec l’appui des deux pointes et des deux milieux extérieurs. Positionnement défensif et contre-attaques.(…)C’est un système fait pour un positionnement en zone, moins agressif, qui est très difficile à déborder. » Roi de la confection de plans sur mesure pour que son groupe plonge au mieux ses griffes dans les plaies d’un adversaire, Unai Emery a, un peu moins de quatre ans après sa longue discussion avec Perarnau, de nouveau réussi un coup mercredi dernier, cette fois avec Villarreal face à l’un des favoris de la Ligue des champions en cours : le Bayern Munich. Avec quoi ? Un 4-4-2, évidemment, qui a déjà emmené le Sous-Marin jaune sur les hauteurs de la Ligue Europa au printemps dernier. « Avec Villarreal, on savait à quoi s’attendre, a concédé Benjamin Pavard après la défaite des siens en Espagne (1-0). Un bloc très compact, qui sait jouer au football, avec un très bon entraîneur qui, partout où il passe, a des résultats. Villarreal a fait le match parfait, on était prévenus, félicitations à eux. »
Ce quart de finale aller a été l’énième preuve des qualités d’Emery pour préparer tactiquement une rencontre en fonction des forces de son adversaire. Si certaines équipes bossent tout au long d’une saison pour perfectionner au maximum un plan de jeu défini, Villarreal, de son côté, brille par sa faculté à s’adapter aux différents profils de ses victimes. On l’a vu la saison dernière en Ligue Europa, on l’a vu lors des huitièmes de finale face à la Juventus d’Allegri, et cette rencontre face au Bayern a de nouveau laissé Unai Emery enfiler son costume favori : celui du caméléon. Ainsi, face à des Bavarois qui ont eu le ballon une large majorité du temps (62%, ce qui est en accord avec un Villarreal qui possède le 12e taux de possession moyen de Liga, 48.5%) et se sont principalement déployés en 3-1-6 en phase offensive (un trio Pavard, Upamecano, Hernández pour démarrer les mouvements et Kimmich installé au carrefour des circuits derrière la première ligne de pression jaune), Villarreal a d’abord brillé en phase défensive en fermant l’intérieur du jeu (l’axe et les deux demi-espaces). Puis, lorsque le Bayern a touché ses ailes pour respirer, via Coman et Davies, le bloc espagnol, qui a relativement bien contrôlé Kimmich, a brillé par sa compacité et la complémentarité de ses éléments dans la gestion des intervalles (si un latéral – Foyth ou Estupinan – sortait, le milieu excentré ou un milieu axial venait couvrir, et Villarreal s’est souvent retrouvé en surnombre pour repousser les approches munichoises). Finalement, les hommes de Nagelsmann n’ont cadré que quatre de leurs 22 tentatives et ont sorti un paquet de centres forcés.
Ce n’était alors que la phase A du plan. Pour la phase B, on a ensuite vu Villarreal étaler certains circuits ciblés, notamment sur les six mètres. Sur plusieurs séquences, Emery a alors demandé à Rulli, Pau Torres et Raúl Albiol de sortir court pour attirer le pressing haut des deux ailiers du Bayern (Coman et Gnabry) avant de piquer via des diagonales vers les latéraux, libérés par les positions très excentrés de Moreno et Danjuma qui ont forcé Davies et Pavard à ne pas trop s’aventurer. À d’autres moments, Villarreal, qui s’est amusé à étirer au maximum la distance entre Dayot Upamecano et Lucas Hernández tout au long de la soirée, a cherché à appuyer plus directement vers Gerard Moreno et à miser sur les idées d’un Lo Celso structurellement libéré par la position de son numéro 7. C’est notamment ce qu’on a vu sur le but de Danjuma et, sur la route de Munich, Villarreal a certainement aussi repensé à certaines occasions ratées dans une seconde période plus débridée. Unai Emery, lui, est déjà passé à autre chose, concentré sur tout ce qu’il peut maîtriser : la préparation d’un nouveau plan millimétré pour ce qui va être, de son propre aveu, « le plus grand défi de sa carrière d’entraîneur ».
« Parfois, on a l’impression que l’équipe se transforme »
L’ancien coach du PSG a un fait pour lui – cinq finales européennes (en C3), quatre victoires – et une légende. Mais derrière cet accomplissement se cachent aussi plusieurs interrogations : que vaut exactement Emery sur une saison entière ? Pourquoi n’a-t-il jamais su s’imposer dans un club majeur ? L’intéressé, qui a peiné à percer crampons au pied pour avoir notamment eu « beaucoup de mal à gérer la pression », ce qui l’a longtemps vu se battre avec une grosse anxiété, a souvent répondu à ces questions. Sur un banc, son expérience parisienne a été marquée par la déroute subie au Camp Nou (6-1) en 2017, soirée où Unai Emery était apparu nerveux et submergé par un scénario improbable, ce alors que la manche aller reste probablement à ce jour la meilleure performance du PSG version QSI en Ligue des champions. Dans la foulée, l’entraîneur espagnol a aussi assisté au sacre de Monaco en Ligue 1, et son PSG a été éliminé par le Real Madrid en 2018. Dès lors, Emery a subi bon nombre de critiques injustifiées et de raccourcis. Interrogé dans L’Équipe récemment, voilà ce qu’il a alors dit : « Je vis une histoire d’amour avec la Ligue Europa, mais j’aimerais bien en vivre une autre avec la Ligue des champions. C’est un rêve pour lequel j’aimerais travailler et que ça devienne une réalité. Aujourd’hui, je pense être un meilleur entraîneur que lorsque j’étais au PSG, notamment dans la façon d’aborder les moments importants. »
Francis Coquelin, l’un de ses cadres à Villarreal, ajuste : « C’est un coach qui aime construire des groupes et fédérer autour de lui. À Paris, peut-être qu’on ne lui a pas laissé le temps nécessaire. Ici, quand il donne ses consignes, nous essayons de les appliquer à la lettre parce qu’on sait qu’il est dans le vrai. On voit que ses méthodes fonctionnent dans les matchs importants, en coupe notamment, parce qu’il nous galvanise durant une période donnée. Il le fait surtout avec les jeunes, qu’il prend à part afin de leur expliquer ce qu’il faut faire. Ça les motive, les rassure et ça finit par marcher. » Là est toute la force d’Unai Emery, tueur pour porter son groupe vers un objectif donné plus que pour l’emmener dans une longue bataille. Le Basque concède d’ailleurs lui-même souvent être plus stimulé par les événements que par les marathons. Pour preuve : la saison dernière, Emery avait analysé 17 matchs de Manchester United pour préparer la finale de la Ligue Europa. « La Liga, c’est différent, expliquait le technicien à The Athletic il y a quelques jours. L’Europe vous stimule énormément et vous prend beaucoup d’énergie. Les rencontres tendues me motivent, parce que vous essayez toujours de surprendre l’entraîneur adverse. Vous exigez de votre équipe qu’elle surpasse l’autre tactiquement. » Cette méthode est plus dure à tenir durant les 38 journées d’un championnat.
« Avant un match européen, Unai transmet sa charge émotionnelle et sa façon de vivre le football à ses joueurs, décryptait il y a quelques mois Guillermo Abascal, l’ancien analyste vidéo d’Emery à Séville devenu entraîneur du FC Bâle. Il est capable de transmettre cette passion pour chaque minute et chaque action d’un match durant cette courte période de temps. Parfois, on a même l’impression que l’équipe se transforme. Elle devient un prédateur pour l’adversaire. » Au bout, si l’on met de côté son passage au PSG, Unai Emery n’a jamais eu de pourcentage de victoires en championnat supérieur à son rendement européen. Il est ainsi reparti de Séville avec 47% de victoires en Liga et 63% de succès en Ligue Europa. Même bilan du côté d’Arsenal (56% de victoires en Premier League, 79% en C3) ou à Villarreal aujourd’hui (40% de succès en Liga, 56% en C1). En matière de classement, toujours PSG mis à part, il n’a également jamais tapé au-dessus d’une cinquième place. Septième en Liga la saison dernière, son Sous-Marin jaune tient sa présence en C1 cette saison à son parcours vertueux en C3. « Monsieur Emery est un coach qui aime préparer les choses par le bas, boucle Coquelin. C’est-à-dire qu’il va se focaliser, point par point, sur nos forces et les faiblesses de nos adversaires. Ça va donc passer par des séances vidéo qui peuvent paraître longues, mais qui, le moment venu, s’avéreront efficaces. » Après la victoire contre l’ogre bavarois à l’aller, il semble donc évident que cette recette soit remise au goût du jour au moment d’enfiler le bleu de chauffe à l’Allianz Arena. En 2011, Unai Emery prévenait : « La domination, c’est bien, mais le contrôle, c’est mieux. On peut dominer un match et le perdre, mais c’est très difficile de le perdre si tu le contrôles. Il y a des joueurs et des équipes qui sont plus à l’aise sans le ballon. Qu’est-ce qu’il y a de choquant là-dedans ? Rien. » Lundi, Julian Nagelsmann a, lui, préféré muscler le ton : « Nous avons fait beaucoup d’erreurs à l’aller. Ils en ont fait une : nous laisser en vie. Et nous devons les punir pour ça. Nous allons devoir mettre beaucoup plus d’intensité. C’est sous pression que les diamants se forment et peut-être que demain, nous livrerons un match brillant. Et s’il faut, nous devrons jouer un football un peu plus dégueulasse… » Le duel peut (re)commencer.
Par Adel Bentaha et Maxime Brigand