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Unai éméché et émérite
On ne gagne pas deux Ligues Europa sans un certain style, sans une certaine idée du football et de la vie. Celle d’Unai Emery intrigue, détonne et dérange de temps en temps. Mais elle a au moins le mérite de fonctionner. Parfois. Souvent.
Moscou, le 7 octobre 2012, dans un obscur bar. Le derby entre le CSKA et le Spartak s’est terminé il y a quelques heures, et c’est bien l’ancienne équipe de l’armée soviétique russe qui l’a emporté. Les supporters du Spartak, écœurés, avaient pourtant placé d’énormes espoirs en leur nouvel entraîneur. Un jeune, ambitieux, gagneur. Preuve en est avec les trois premiers matchs remportés avec classe par Unai Emery. Mais depuis la rouste reçue contre le Zénith, 5-0, quelque chose s’est cassé. Impossible de recoller les morceaux. D’ailleurs, ce soir-là, des supporters vont croiser leur entraîneur, en train de se consoler dans les bras de deux blondes. Ce qui ne va, forcément, pas leur plaire. La vidéo est relayé par le site d’information Life News. Un mois et une nouvelle fessée contre le Dynamo plus tard, le Basque est renvoyé chez lui. Si la raison invoquée est sportive, cette affaire ne l’a pas vraiment aidé à gagner du temps.
Emery Kasparov
Et puis, ce n’est pas la première fois qu’Unai se fait gauler pour ce genre d’histoires. Avec Valence, en 2014, il se fait attraper par la police après un dîner entre amis un peu trop arrosé. Tout ça pour dire que l’homme est un bon vivant à tout point de vue. En même temps, Unai est basque. Et tout ça fait partie de son patrimoine génétique. En Espagne, Emery est perçu comme un mec normal, honnête, avec ses forces et ses faiblesses.
… la cena con los amigos se alargó, y en vez de coger un taxi cogí el coche. Di positivo, sanción administrativa con multa y 4 puntos…
— Unai Emery (@UnaiEmery_) 21 juin 2014
Dans son livre, la mentalité de gagneur, il évoque les raisons de son échec russe : « Je voulais gagner en expérience. C’était un défi pour voir ce que j’étais capable de faire. Ça m’a rendu meilleur en tant qu’entraîneur et ça m’a aidé à mieux comprendre ce qu’est le football. Au début, c’était une bonne expérience, mais la base de l’équipe n’était pas assez solide. Et quand les mauvais résultats commencent à venir, l’adversité revenait toujours les hanter. »
Traduction : Emery est avant tout un meneur d’hommes, il a besoin que ses joueurs, ses supérieurs, ses supporters croient en lui. Ce qui n’était pas forcément le cas en Russie. Car le style du bonhomme n’est pas si simple à définir. À côté de la possession catalane, du contre madrilène ou de la défense de l’Atlético, il est souvent critiqué pour son manque de style. Deux raisons à ça : Emery adore faire tourner son équipe. Pour preuve, il a déjà utilisé onze défenseurs et douze milieux différents depuis le début de saison. Et puis Emery est de ceux qui aiment s’adapter aux adversaires plutôt que de camper sur un système de jeu définitif. Sur son 4-2-3-1 de base, il aime faire des ajustements avant et pendant le match. Dans sa poche, il a une contre-tactique à n’importe quelle tactique. Et c’est souvent contre le Barça qu’on peut s’en rendre vraiment compte. L’année dernière, Séville était parvenu à remonter à 2-2 face au Barça. L’entrée de M’Bia à la place d’Iborra, pour un apport physique au milieu, celle de Reyes pour Vitolo et celle de Gameiro pour Bacca avaient fait la différence. Cette année, pareil, mais en mieux. À l’aller, Séville est allé chercher sa victoire à force de coaching minutieux et de pressing cartographié, en bon fan d’échec.
Uruk-Unai
Dans cet objectif-là, Emery utilise la vidéo. Beaucoup de vidéos. Trop de vidéos. « Parfois, il met tellement de vidéos que j’arrive à court de pop-corn » , raconte Joaquín à son sujet. Mais c’est pour leur bien, à ce qu’il en dit. Avec l’Atlético, c’est l’une des rares équipes à mettre à mal la relance du Barça. En 2014, il expliquait au magazine World Soccer : « Quand j’étais joueur, je voulais tout savoir : je regardais autant de matchs que possible, pour comprendre ce qui se passait et comment ça se passait. Et puis, je prenais note de tout ça. » Et ça n’a pas changé depuis. Ce qui donne au Basque les moyens de faire beaucoup avec peu de moyens. Pour le moment, il n’a jamais été à la tête d’un grand club avec des moyens illimités, il a fait des merveilles avec Lorca, Almería, une équipe de Valence au plus mal, et maintenant Séville. Et ça, ça lui correspond plutôt bien.
Car avant tout, Unai Emery est à la recherche du plaisir. Difficile de savoir s’il pourrait s’épanouir avec un très grand club, mais il aime jouer. En arrivant à Séville, il confiait à Estadio Deportivo : « À choisir, je préfère gagner 4-3, que 1-0. » Ses équipes changent peut-être du tout au tout à chaque match, mais elle garde au moins cette ligne directrice : le plaisir, et l’envie de gagner quel que soit l’adversaire. Car oui, chez Emery, le plaisir passe surtout par la victoire. Et tel un Diego Simeone sur son banc de touche, il ne passe jamais inaperçu. Il gueule souvent, se fait exclure souvent, et comme face à l’Atlético, il n’hésite pas à revenir en cachette sur le terrain.
Car Emery aime le travail, intensif et bien fait. Et il tient à ce que ses joueurs puissent suivre ses ordres. Pour le moment, son palmarès en trois ans avec Séville parle pour lui. Deux Ligues Europa en deux ans. Peut-être trois en trois ans après ce soir. La fameuse Emerytocratie.
Ugo Bocchi