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Un terrain de football comme terre d’accueil
Depuis le mois de février, migrants et franciliens participent au Championnat de l'Intégration et de la Solidarité, un projet porté par Aurore, une association spécialisée dans la lutte contre l'exclusion. Immersion, samedi dernier, à l'Urban Soccer d'Ivry.
Ils viennent du Soudan, d’Afghanistan, du Tchad, de Somalie ou encore d’Érythrée. Chaque samedi, ils se font des passes et marquent des buts. Ici, il n’est pas question d’origine, de classe sociale ou de couleur de peau. Ils s’inscrivent, enfilent une tenue de football fournie par les organisateurs et forment des équipes avec des Franciliens. Simplement. Samedi dernier, près de 70 joueurs se sont retrouvés sur les coups de 15h pour disputer la 8e journée masculine et la 1re journée féminine. « Je suis en France depuis six mois et je viens jouer ici depuis deux mois. La France est un bon pays pour moi. Je n’ai pas encore de papiers, mais je suis heureux car je me fais beaucoup d’amis » , confie, sourire aux lèvres, Ibrahim, originaire du Soudan. Son pote Ali se mêle à la conversation. « Moi je suis en France depuis quatre ans et franchement, c’est ce qu’on attendait de la part de l’association. Cela nous fait énormément de bien de jouer au foot. J’étais réfugié, j’étais logé. Après j’ai eu mes papiers, ensuite j’ai travaillé un peu, et actuellement je suis à la recherche d’un travail. Avant je courais beaucoup. Avec le foot, j’apprends autre chose et cela me permet de continuer le sport. » Ces migrants sont accompagnés par l’association Aurore, dont l’objectif est la réinsertion sociale et professionnelle de personnes en situation d’exclusion et/ou de précarité. L’idée du football est venue de la rencontre d’Eric Pliez, le directeur de l’association, avec Florent Bertinotti et Nathalie Avakian, deux anciens camarades de classe respectivement directeur marketing et avocate d’affaires. « Nous nous sommes retrouvés pour des raisons diverses sur Paris en septembre dernier, explique Florent. Comme beaucoup de citoyens, nous avons été touchés par les événements récents en matière de dernière vague d’immigration. On s’est dit qu’on avait un peu de temps devant nous. Nous avons rencontré la Ville de Paris qui nous a présenté l’association Aurore. Nous sommes devenus bénévoles et nous avons proposé ce projet de championnat dont l’objectif est de réunir 50% de migrants et 50% de franciliens. » Le duo organise alors un premier tournoi en guise de test le 20 décembre dernier, au cours duquel l’association franco-ghanéenne des Black Stars participe. Le plaisir partagé sur cette journée donne rapidement de nombreux motifs d’espoir. « Comme tout le monde était motivé, on a fini par lancer le championnat, poursuit Florent. Pour moi, le football, ce n’est pas seulement des joueurs qui tapent dans un ballon. C’est aussi faire des rencontres qu’on n’aurait pas la possibilité de faire dans nos vies personnelles et professionnelles. »
« Dans le foot, il n’y a pas besoin de parler »
Un championnat malgré tout difficile à organiser sans la volonté de chacun. Agent d’accueil au centre d’hébergement d’urgence de Boulogne, Renaud Keribin connaît la plupart des participants. Nommé référent des équipes, il joue un rôle primordial de médiateur : « Je donne des coups de main pour l’organisation. Ce qui est complexe, c’est de gérer les joueurs, les regrouper pour les faire venir. Ils sont assez volatiles. Ils sont motivés, mais ils sont souvent en retard. Ce n’est pas évident de les rassembler. Le football est une super idée, car c’est un sport collectif. Cela les fait sortir un peu. Dans le centre, il y a pas mal de réfugiés. Alors le foot leur permet de voir d’autres gens. Dans le foot, il n’y a pas besoin de parler. La langue, c’est le mouvement, la gestuelle, le regard » . Un championnat qui intègre désormais des filles. Folles de joie, Estelle et Lydie racontent : « À la base, on fait du foot de rue. Mais quand on nous a proposé ce tournoi, on a accepté tout de suite. On a gagné 11-3. On s’est surpassées. On se mélange avec les migrantes et on fait plein de rencontres. C’est vraiment sympa. Il y a plein de femmes qui, ailleurs, ne peuvent pas jouer. Alors qu’ici, tout est possible. » Habituée des terrains de la porte de Bagnolet, Adrienne renchérit : « Je n’avais pas match aujourd’hui donc j’ai rejoint l’association qui cherchait des joueuses à Ivry. C’est cool le foot. C’est toujours des rencontres qu’on n’aurait pas pu faire dans la vraie vie. C’est pour ça que je fais du foot. En plus de l’aspect sportif, c’est l’aspect social que j’adore. Ce n’est pas qu’un sport masculin » .
« On n’a pas la prétention de régler tous les problèmes du monde grâce au football »
À l’approche des finales du mois de juin, tous espèrent que le championnat reprendra en septembre. « L’objectif est bien sûr de poursuivre l’action, que ça puisse être pérenne dans le temps, car il y a un gros engouement. Et pourquoi pas élargir à d’autres publics tels que les mineurs isolés » , précise Florent Bertinotti. Dire que ces matchs résolvent les difficultés de chacun serait faux. Un ballon et deux buts ne suffisent pas. Conscients des limites, Florent et Nathalie n’en demeurent pas moins optimistes : « Il faut être modestes. On n’a pas la prétention de régler tous les problèmes du monde grâce au football. On pourrait être à leur place. Cela pourrait être nous qui quittions la France pour un autre pays. Ce championnat est court, mais il y a déjà des belles histoires. On commence à aller boire des verres ensemble. Certains sont demandeurs pour apprendre le français. La connaissance de l’autre, c’est déjà pas mal, même si on aimerait que ce soit beaucoup plus. » L’écrivain et Prix Nobel Albert Camus, qui aurait voulu être gardien de but, savait mieux que personne à quel point le football est un reflet de la société, où toutes les couches de la population se retrouvent mélangées : « Je n’ai connu que le sport d’équipe au temps de ma jeunesse, cette sensation puissante d’espoir et de solidarité qui accompagnent les longues journées d’entraînement jusqu’au jour du match victorieux ou perdu. Vraiment, le peu de morale que je sais, je l’ai appris sur les terrains de football et les scènes de théâtre qui resteront mes vraies universités. » À Ivry, Albert se serait réjoui de constater que le football, malgré ses défauts, reste bel et bien une langue universelle.
Par Florian Dacheux