- Foot et santé
Un spécialiste du sommeil, pour quoi faire ?
Avant de quitter Marseille, Franck Passi a eu le temps de faire appel à un spécialiste du sommeil. L’objectif : optimiser le repos de ses joueurs afin de gagner en récupération et en performance. Mais quelle est la stratégie ? Et en quoi le dodo est-il si important ?
Nommé à la tête de l’Olympique de Marseille le 8 août puis débarqué le 20 octobre, Franck Passi aura au moins eu le temps de laisser un petit souvenir au club et à son groupe. Non, il ne s’agit pas de record ou de trophée, mais de deux spécialistes médicaux amenés à travailler plusieurs années avec les désormais nouveaux poulains de Rudi Garcia. L’un pour la respiration et la concentration. Et l’autre pour le sommeil. « Cela permettra aux joueurs d’augmenter leur potentiel de concentration dans les matchs et de bien les appréhender. Je crois que mes joueurs dorment bien, car ils se donnent à l’entraînement, mais il faut être conscient de ce que représente le sommeil pour un athlète » , disait alors l’ancien entraîneur olympien en conférence de presse pour officialiser leur arrivée. Et il n’avait pas tort.
L’ami des muscles
En effet, le sommeil du footballeur est aujourd’hui considéré comme l’un des facteurs, voire le facteur prioritaire chez un footballeur professionnel pour qu’il récupère au mieux et qu’il soit performant. Un constat confirmé par François Duforez, spécialiste du sommeil de l’AS Monaco depuis 2014 : « Le sommeil lent, celui qui est normalement calme et profond, permet de « réparer » les muscles, en refaisant les stocks hormonaux. On se recharge, quoi. Sans compter qu’il consolide les connaissances. On apprend des choses dans la journée, on les imprime la nuit. Ensuite, le sommeil paradoxal, celui du rêve, c’est le moment de la dilution des émotions, durant lequel on lâche tout le stress subi dans la journée. C’est là qu’il stimule parfois trop le joueur la veille d’un match, quand il a l’impression de jouer la partie avant la rencontre. Donc le sommeil est primordial, à la fois sur le plan physique et sur le plan moral. » De là à dire qu’Abou Diaby est un insomniaque, peut-être pas. Mais estimer que Steve Mandanda faisait attention à son dodo pour être chaud bouillant tous les week-ends la saison dernière, oui.
Le fait est que, comme l’OM ou l’ASM, la majorité des grands clubs se sont récemment attaché les services de spécialiste du somme. Pourquoi avoir pris en compte leur utilité si tardivement, alors qu’ils travaillent déjà avec les protagonistes de la F1 depuis vingt ans ? D’abord parce que les études sur le sommeil corroborant son importance se sont multipliées ces dernières années. Et puis aussi parce que les objets technologiques ont pris une place prépondérante dans le quotidien des footballeurs. Or, passer sa soirée sur son Ipad n’aide pas franchement le marchand de sable à faire un tour au-dessus de son lit. « On s’est beaucoup occupé de la nutrition jusque-là, parce qu’on mange tous les jours, mais on dort tous les jours aussi, reprend François Duforez, également médecin du sport. Ça se démocratise dans le foot parce qu’il y a beaucoup de choses à faire. »
Jeun et non-européen, mauvais combo
OK, mais quelles sont les stratégies mises en place ? Quelles sont les différentes étapes imaginées par ces experts ? À Monaco, cela fait plus de deux ans que la thérapie a débuté. Elle a commencé par un état des lieux personnalisé de chaque membre de l’équipe et du staff. « L’idée, c’était de savoir comment dormaient les joueurs. Pour ça, on a utilisé une montre hyper connectée qui permet d’enregistrer de nombreux paramètres du sommeil et de la vigilance, jour et nuit, pendant quinze jours. L’activité musculaire, le mouvement du corps pendant la nuit, le nombre d’éveils, la phase d’endormissement… » , précise le docteur sommeil de la Principauté. Se dessinent alors des profils variés. « Les modes de vie diffèrent selon que le joueur soit père de famille ou une jeune pousse. »
Autrement dit, Andrea Raggi a plus de chances de passer huit bonnes heures dans son plumard que Benjamin Mendy. Mais l’âge et le goût de la fête ne sont pas les seuls critères. Le poste et l’origine du joueur peuvent aussi jouer un rôle. Ainsi, les gardiens, assez exposés à la pression, sont en général très demandeurs de nuits plus réparatrices. Comme les footballeurs qui vivent loin de leur famille. « Par exemple, les Sud-Américains sont perturbés par le décalage horaire, note le médecin qui exerce au médecin au Centre européen du sommeil. Leur famille les appelle à des moments pas forcément adéquats. Genre à 1h du matin pour le joueur. Or, le coup de fil, c’est très émotionnel. Ce n’est pas l’idéal avant de dormir. »
Le matelas, facteur X
Danijel Subašić et Radamel Falcao donnent donc sûrement pas mal de boulot à l’équipe de M. Duforez. Pour ce type de cas-là, et pour tous ceux qui en ressentent le besoin – une majorité de l’effectif visiblement –, de nombreuses techniques et améliorations sont proposées. Il s’agit parfois de changements très basiques, comme la literie ou la température de la chambre. « Pour certains joueurs, on peut vraiment optimiser leur sommeil, car ils peuvent avoir de mauvaises habitudes. Ça peut déboucher sur des trucs très cons, mais essentiels. La lumière blanche des écrans est néfaste à l’endormissement, par exemple, et les joueurs sont étonnés qu’on puisse la transformer en lumière de nuit, plus orangé, ce qui empêche moins la stimulation du cerveau avant de dormir. Il suffit de pas grand-chose parfois. »
Restent les méthodes plus complexes, qu’il convient de ne pas trop divulguer pour garder une longueur d’avance sur la concurrence. Outre l’emploi de la sieste, primordiale chez les footballeurs et qui peut s’avérer plus utile que le simple repos, François Duforez évoque la luminothérapie, censée influer sur l’horloge biologique, faciliter l’endormissement du joueur et améliorer les phases de vigilance. Bref, important pour « le sportif qui termine son match à 23h, et qui est hyper excité quand il se couche. Plus que la veille de match, c’est surtout la nuit d’après-match qui pose des problèmes. » Surtout si l’inconscient a décidé de briser son insomnie en allant faire un pas de danse en boîte.
Par Florian Cadu