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Un seul amour et pour toujours : Racing Club de Strasblues
Strasbourg va passer sous pavillon américain. Une tendance lourde dans le foot tricolore, contre laquelle on ne peut semble-t-il pas grand-chose et à laquelle ni la LFP ni l'Etat ne s’opposent. Mais accordons-nous le droit, au-delà de la légitime inquiétude pour l’avenir du Racing, de ne pas s’en réjouir.
Marc Keller, qui doit toujours un peu songer à la présidence de la FFF, a clairement posé les termes du débat, à la fin d’une saison qui avait montré les limites auxquelles se heurtait le club alsacien en Ligue 1. « Nous avons construit un club sain à tous les niveaux et bien géré. Même s’il n’y avait pas d’urgence financière, nous étions conscients que nous avions atteint le plafond de notre modèle, et que si nous voulions continuer à faire avancer le Racing et à le projeter dans une nouvelle dimension, nous devions nécessairement être accompagnés par une structure solide capable de soutenir notre développement et notre ambition. Je me réjouis donc de la perspective d’accueillir un nouvel investisseur stratégique, avec lequel nous allons accélérer l’ambition du club de construire le Racing de demain. » Derrière ces quelques mots, la prise en compte de la réalité du rapport de force économique et surtout l’éternelle promesse envers les supporters de retrouver l’Europe, plutôt la C3 ou la C4, rêve caressé voici deux ans, mais raté de peu. « Strasbourg, sa région, son public méritent d’aller plus haut. C’est mon rêve pour mon club. Nous ne pouvions pas le faire seuls, explique Keller aujourd’hui dans les colonnes de L’Équipe. L’arrivée de BlueCo doit nous permettre d’avoir des ambitions plus fortes au classement sans faire n’importe quoi. Cette décision est responsable. »
US go home ?
Le nouveau propriétaire est donc le consortium américain BlueCo, qui possède également Chelsea depuis 2022. Il cherche désormais à imiter le City Group qui s’était emparé de Troyes – dont le destin peut laisser d’ailleurs de légitimes inquiétudes parmi le public fidèle de la Meinau. Si le Racing n’était pas son choix premier, il offre de grandes garanties. Depuis son arrivée voici plus de dix ans, Marc Keller a su stabiliser cette institution qui avait failli disparaître dans les limbes des divisions inférieures et qui va entamer sa septième saison d’affilée dans l’élite. Le club possède une forte assise locale, un stade plein, des supporters fidèles, même en période douloureuse sur le terrain, un centre de formation réputé, une image très positive… Bref, pour 75 millions, c’est une belle affaire. Le club parfait pour cette synergie qui consiste à utiliser les équipes françaises comme réservoir de jeunes prometteurs, parenthèse de remise en forme pour des joueurs en crise ou encore zone de transition depuis le Brésil ou l’Afrique avec de petites plus-values ensuite lors du mercato. Rien de surprenant ni d’illégal. Le cynisme est une qualité dans le capitalisme.
Le président Keller assure que les Bleus d’Alsace ne deviendront pas un satellite des Blues de Chelsea : « Nous avons le même actionnaire, mais nous serons des clubs frères avec une gestion séparée. » Lui va rester en place, et les nouveaux proprios se veulent rassurants et respectueux du passé : « C’est un honneur pour nous de faire partie de ce club historique. Nous nous engageons à préserver l’héritage du Racing et à travailler en étroite collaboration avec Marc et son équipe de direction afin de poursuivre l’excellent travail qu’ils ont accompli. Cet investissement stratégique renforcerait notre présence dans le football européen, parallèlement à notre participation dans Chelsea. Nous pensons qu’il créerait d’énormes opportunités de partage des connaissances et d’expertise. » L’exemple lyonnais peut laisser sceptique. Ce type d’annonces n’engagent que ceux qui y croient.
Déjà valable à Lorient (avec Bournemouth), Toulouse (avec Milan), Lyon (avec Crystal Palace), la multipropriété demeure un risque, puisqu’elle reste interdite dans les coupes européennes. Le Téfécé vit d’ailleurs toujours dans l’incertitude quant à sa participation en Ligue Europa. Cela dit, Aleksander Čeferin, président de l’UEFA, laisse entrevoir un peu d’espoir, puisqu’il semble vouloir renoncer à une règle qui mécontente les argentiers du foot. Voilà pour le versant économique. Le dur, celui qui ne fait pas de sentiments. Il ne s’agit pas d’ailleurs en retour de formuler la défense d’un patriotisme économique qui n’est plus de saison ni d’ailleurs aussi idyllique. Par contre, versons une petite larme sur la fin probable d’une époque et d’un club, qui ne fut d’abord grand que par l’amour de ses supporters et de sa ville. En espérant qu’il ne connaisse pas un sort plus funeste…
Par Nicolas Kssis-Martov