ACTU MERCATO
Un p’tit Ballo-Touré puis s’en va
Il était lillois, Fodé Ballo-Touré est devenu monégasque jeudi soir. Un club lancé dans une saison inespérée a donc lâché un titulaire indiscutable à mi-saison, un autre a mis près de 15 plaques dans un latéral de 22 ans aux six bons mois de Ligue 1 dans les jambes. Pourquoi pas.
Chaque début d’année, c’était la même rengaine. Les bonnes résolutions occupaient des JT vides d’infos, la neige empêchait les trains de circuler et le football s’affairait tranquillement autour de son marché d’hiver, autrement appelé « d’ajustement » . Un poste était retouché par-ci, un placardisé trouvait une porte de sortie par-là, un pré-retraité se lançait dans une dernière pige et quelques gros contrats étaient signés en prévision de l’été. En somme, la vie se déroulait sereinement, sans éclat, comme ralentie par le froid.
Mais il faut croire qu’il n’y a plus de saison. Qu’en 2019, les insatisfaits ne croient plus aux promesses sans lendemain. Que le temps se réchauffe. Et que, conséquence, le mercato hivernal devient une fenêtre comme les autres. Une période propice pour vendre un titulaire d’un onze qui carbure au-delà de toute espérance, par exemple. Ou encore le bon moment pour mettre un gros billet sur un jeune à fort potentiel, sans savoir si on sera en Ligue 1 six mois plus tard.
Le changement, c’est maintenant
Ce jeudi, Fodé Ballo-Touré, latéral gauche, 22 ans, est donc passé du LOSC à l’ASM moyennant 11 à 14 millions d’euros selon les bonus, pour un contrat de quatre ans et demi en Principauté. Du côté de Monaco, l’intérêt est assez clair : stabiliser un flanc gauche à la dérive, entre Antonio Barreca, décevant (et annoncé sur la route du Genoa), Nacer Chadli, pas venu ici pour courir à ce poste, et Benjamin Henrichs, couteau-suisse, donc pas franchement saignant. Si les arrivées de Naldo et bientôt Fàbregas laissaient planer le doute sur la stratégie monégasque axée jeunesse, voilà la balance rééquilibrée. À condition que Fodé Ballo-Touré s’adapte plus rapidement au Rocher qu’il ne l’a fait au pays de la brique.
Car si Ballo-Touré est aujourd’hui, et à juste titre, reconnu, c’est aussi parce que tout va très vite dans le football. Souviens-toi l’été d’avant : le LOSC nouveau est tout sourire au sortir d’une gifle infligée à Nantes en ouverture du championnat. Tous ? Non ! Car un mec tire la tronche, remplacé à la pause par Bielsa : Ballo-Touré, lui-même. Un épisode au cœur d’une saison cauchemardesque pour le natif de Conflans-Sainte-Honorine, débutée par un litige gagné par le PSG contre son nouveau club pour démarchage illégal d’un joueur en formation (15 000 euros d’amende), enchaînée avec un but à Amiens provoquant bien malgré lui l’effondrement d’une barrière, pour finalement se terminer par une mise au banc, remplacé à son poste par Thiago Maia (!) puis Hamza Mendyl.
Pour le projet sportif ?
Un temps d’adaptation ? Peut-être. Des épreuves qui forgent un mental ? Sûrement, puisque désormais les bonnes prestations de FBT lui permettent de compiler trois sélections en Espoirs. Mais alors, du côté de Lille, pourquoi vendre un joueur qui donne enfin satisfaction, titulaire à 18 reprises en une demi-saison ? En conférence de presse avant la réception de Caen, Christophe Galtier a assuré être en phase avec la décision : « Lorsque j’ai su que Fodé Ballo-Touré partait, j’ai dit au président que Youssouf Koné était très proche sportivement de lui. » Reste qu’en termes sportifs, la décision montre autre chose que de l’ambition. Ou alors celle de plaire tant aux créanciers qu’à la DNCG, qui vient de valider le budget du LOSC moyennant un encadrement de la masse salariale. Un problème qui ne se pose pas (encore) à Monaco, dont le modèle, exactement celui décalqué par le LOSC, bénéficie de fonds autrement plus importants. Le même en mieux – tant qu’ils puissent éviter la Ligue 2.
Fodé Ballo-Touré au LOSC, c’est donc déjà fini. Quatre lignes, « bonheur et réussite dans son nouveau challenge » inclus : voilà à quoi se résume l’épitaphe de la vie lilloise de FBT rédigée par le club. D’aucuns trouveront cela suffisant pour un joueur ayant passé en tout et pour tout 18 mois dans les Hauts-de-France. Les esprits comptables, eux, pourraient légitimement attendre plus : voilà un joueur récupéré gratuitement ou presque au 1er juillet 2017, revendu minimum 11 millions d’euros, le tout en 558 jours et 47 matchs. Soit une valorisation de l’ordre de 20 000 euros par jour de contrat, vacances incluses, ou 235 000 euros par match joué. Un tour de magie à voir Bernard Madoff se retourner dans la cellule qu’il doit occuper pour 150 ans. Parce qu’à ce prix-là, le ballon rond paye mieux que le crime et la pyramide de Ponzi réunis.
Par Eric Carpentier