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Un Mondial tout neuf

Par Adrien Candau
Un Mondial tout neuf

Prophétisée par certains, popularisée par une Espagne victorieuse de l'Euro 2012 avec Cesc Fàbregas en pointe et un Barça qui a aussi un temps fonctionné sans attaquant de pointe de métier, la disparition du vrai numéro neuf allait soi-disant dans le sens de l'histoire du football. Pourtant, ce sont bien les déménageurs de surface qui font la loi dans quasiment toutes les équipes encore en lice en Russie. Des renards grand format, mais toujours chenapans.

Toni Kroos regarde ses pompes, les mains sur les hanches. L’Allemagne a encore du mal à réaliser, mais la voilà éliminée de la Coupe du monde 2018 après s’être inclinée 2-0 face à la Corée du Sud. Une rencontre où elle a tenu le ballon 70% du temps, obtenu neuf corners et botté seize coups francs. Et surtout tiré 27 fois au but. Pour rien. Ou presque. La Mannschaft a débarqué en Russie avec des idées plein la tête, un jeu de possession de balle confiscatoire et le jeune loup Timo Werner devant. Dont le profil, plus proche du faux numéro neuf que du Bomberà l’ancienne, devait faire tourner la tête aux défenseurs adverses. Son vieux vautour, Mario Gómez, ne pouvait, lui, que grignoter les miettes laissées par l’attaquant de Leipzig avec quelques entrées en jeu. En Russie, le Nationalelfa voulu prouver qu’il pouvait exister sans numéro neuf de surface. Et il avait manifestement tort.

L’exception allemande

Esquissé lors de l’Euro 2016, le Mondial 2018 confirme le retour en grâce d’un profil de numéro neuf que certaines mauvaises langues disaient démodé au plus haut niveau. Les quarts de finale du Mondial 2018 devraient ainsi voir la France aligner Olivier Giroud, la Russie Artem Dzyuba, la Croatie Mario Mandžukić, la Suède Marcus Berg et Ola Toivonen, l’Angleterre Harry Kane et la Belgique Romelu Lukaku. De son côté, l’Uruguay croit encore au miracle pour qu’Edinson Cavani soit remis de sa blessure à temps. Des grands albatros qui ont connu une réussite diverse depuis le début de la compétition, mais partagent un point commun : celui d’être fondamental au jeu offensif de leurs formations respectives.

Une tendance contre laquelle s’est inscrite la Mannschaft en jouant la carte du faux neuf avec Timo Werner en pointe plutôt que Mario Gómez, donc. À moitié surprenant : depuis la retraite de Klose, aucun attaquant de pointe ne fait l’unanimité outre-Rhin. Joachim Löw en a profité pour aller au bout de ses idées en décalquant les concepts de l’Espagne et de son maître penseur, Pep Guardiola : « Le football du FC Barcelone et de l’équipe nationale espagnole m’a inspiré » , n’a-t-il cessé d’expliquer. Problème : l’Allemagne n’est pas l’Espagne. En embrassant pleinement le dogme de la possession, elle a perdu la verticalité et la qualité de finition dans les seize mètres qui avaient pu faire sa force par le passé.

Guardiolisation

Illustration en chiffres : en Russie, la Mannschaft a eu le cuir 67% du temps en moyenne – seule l’Espagne fait mieux – et tiré 45 fois au but. Bilan : deux pions en trois matchs, dont un sur coup de pied arrêté. « Ces permutations que permet l’utilisation d’un faux neuf, ça demande énormément de complicité, pose Philippe Hinschberger, désormais entraîneur de Grenoble et passé sur les bancs du FC Metz et du Stade lavallois. On a un peu l’impression qu’à un moment, beaucoup de monde a voulu copier l’Espagne et le Barça… Mais ces équipes-là se sont basées sur une ossature de joueurs qui se connaissent par cœur. En équipe nationale, on n’a généralement pas le temps de s’appuyer sur une complicité comme ça. »

Si l’Allemagne a livré une phase de groupes cataclysmique, elle n’a ainsi jamais été aussi dangereuse que quand Werner s’est décalé côté gauche, abandonnant l’axe et la surface à Mario Gómez (notamment entré en jeu à la pause face à la Suède).

Passes murailles

Signe que la Mannschaft aurait peut-être dû faire comme tout le monde, alors que même l’Espagne fait désormais la part belle au neuf de métier en alignant Diego Costa en pointe. Sans doute parce que le jeu de possession et les dézonages des faux numéros neuf ne font plus autant recette, comme l’a illustré l’échec retentissant du Nationalelf. De fait, même les petites nations du football mondial se révèlent aujourd’hui capables de mettre en place un bloc à l’organisation exemplaire, à l’image de l’Islande qui a anesthésié l’attaque de l’Argentine, ou de l’Iran qui a failli jouer un sale tour à l’Espagne en phase de groupes.

Des murailles qui semblent plus faciles à percer lorsqu’un attaquant de métier occupe la pointe de l’attaque. Le Portugal, qui a gagné l’Euro deux ans plus tôt avant tout grâce à sa solidité défensive, a ainsi plié sous les assauts de deux pointes pur jus – à savoir Diego Costa et Edinson Cavani, tous deux auteurs d’un doublé face à la Seleção. Autre échec de la stratégie associée au faux numéro neuf, qui permet théoriquement de gagner en possession de balle et en maîtrise technique : celui de l’Argentine face à la France. Un match où l’Albiceleste, avec Messi aligné en pointe, a eu le ballon 60% du temps sans jamais se montrer vraiment convaincante offensivement. La merveille de Di María est avant tout un exploit individuel, tandis que le second pion argentin inscrit par Mercado doit beaucoup à Madame la chance. Le seul but qui résulte d’une construction collective sera finalement celui d’Agüero. Un fauve de surface petit format, mais un attaquant. Un vrai.

Back to the basics

« Quand on voit l’Argentine de Messi, ça peut être potentiellement sympa à regarder, mais l’efficacité reste un facteur fondamental, poursuit Hinschberger. Si vous avez 65% de possession, mais que vous n’en faites rien… » Finalement, le meilleur match de l’Albiceleste dans le tournoi restera celui qu’elle a livré face au Nigeria en phase de poules. Une rencontre jouée face à un bloc bas et resserré, mais où Higuaín, aligné en pointe, a fait le sale boulot sur le front de l’attaque. Côté Bleu, Giroud, lui, a brillé par son absence face à l’Australie en ouverture du Mondial, démontrant que l’attaque française n’avait plus grand-chose de structuré quand sa grande carcasse ne se promenait pas sur le pré.

Face à l’Argentine, il a servi de point d’ancrage au bloc français, mis en valeur Griezmann en réussissant plusieurs déviations à destination du joueur de l’Atlético et libéré des espaces à Mbappé sur les côtés en apportant de la densité dans l’axe. Les Bleus ont alors réussi à mettre en place un jeu simple, vertical et efficace. « On opère peut-être une forme de retour aux bases, synthétise Hinschberger. Après tout, c’est quand même plus simple d’aller au but en trois passes qu’en essayant d’en enchaîner 19… Et c’est plus efficace de faire jouer les spécialistes à leur poste. » Conclusion : une place pour chaque chose, chaque chose à sa place. Et un numéro neuf de métier à la pointe de l’attaque.

Dans cet article :
Rodri, la victoire du collectif
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Par Adrien Candau

Propos de Philippe Hinschberger recueillis par AC

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