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Un homme, un stade : Santiago Bernabéu
Souvent, derrière le nom d'un stade, se trouve celui d'un homme. Une figure éminente de la ville ou du club. Santiago Bernabéu, lui, était un visionnaire. Un homme arrivé au pouvoir grâce à Franco, avant de faire du Real Madrid le meilleur club du siècle dernier.
La vie est parfois une question d’opportunités et de relations, plus ou moins respectables. Celle de Santiago Bernabéu de Yeste est un doux mélange des deux. S’il était prédestiné à prendre la présidence du Real Madrid, Santiago a dû attendre un coup de main du général Franco. On est en 1943, et le Real Madrid vient de perdre la finale de la Copa del Generalísimo, ancêtre de la Copa del Rey, contre Bilbao. Mais ce qui retient l’attention de Franco, ce sont les violences entre les supporters des Merengues et ceux des Blaugrana à la suite d’une demi-finale au score aussi fleuve que suspect (défaite 3-0 à Barcelone, victoire 11-1 au retour à Madrid pour le Real). Le gouvernement prend alors la décision de virer les deux présidents en place, Antonio Santos Peralba et Enrique Piñeyro Queralt. Apprécié par les Madrilènes et par Franco, Santiago Bernabéu, en opportuniste, est alors élu à la tête du Real Madrid à l’unanimité le 15 septembre 1943.
René Petit, Atlético de Madrid et guerre civile
L’histoire d’amour entre Santiago Bernabéu et le Real Madrid débute en 1909. Alors âgé de quatorze ans, le jeune Santiago rejoint le FC Madrid – devenu Real en 1920 – avant de vite devenir un joueur essentiel du club. Associé en attaque avec le Français René Petit, l’Espagnol inscrit 76 buts en 74 rencontres officielles. Mieux, en douze saisons au club, le capitaine des Merengues remporte une Copa del Rey et neuf Campeonato Regional Centro (la Liga étant créée en 1928). Véritable légende du club, le jeune Santiago a pourtant trahi les siens en 1920. Ami avec le président de l’Atlético, Julián Ruete, Bernabéu a alors posé avec le maillot des Rojiblancos le temps d’un match amical, même s’il n’a jamais disputé avec eux de rencontres officielles.
Une erreur de jeunesse qu’il a su vite faire oublier à coups de buts et trophées soulevés. Une fois sa retraite sportive actée en 1927, Santiago Bernabéu commence alors son ascension dans l’organigramme du Real Madrid. Entraîneur-adjoint, directeur sportif et membre du Conseil d’administration jusqu’à ce que la guerre civile éclate en 1936. Nationaliste assumé, Santiago Bernabéu se réfugie à l’ambassade de France, avant de rejoindre l’armée franquiste sur le front catalan. Une fois la guerre terminée et l’arrivée de Franco au pouvoir, Santiago devient fonctionnaire au ministère des Finances. Dans le même temps, le Real Madrid galère à se relever de cette guerre civile. Jusqu’au 15 septembre 1943 et l’arrivée de Santiago Bernabéu à la présidence du club.
De Chamartín au Stade Santiago Bernabéu
Une fois arrivé au pouvoir, Santiago Bernabéu veut vite faire retrouver au Real Madrid son lustre d’antan, et stopper la hype Atlético, renommé Atlético Aviación après sa reprise en main par l’armée de l’air en 1939. Pour cela, le néo-président, un brin visionnaire, a son plan d’attaque. Et celui-ci doit absolument passer par la création d’un nouveau stade, plus grand et plus moderne afin de faire grimper les recettes. Après trois ans de travaux, le Nuevo Estadio Chamartín est inauguré le 14 décembre 1947 devant près de 75 000 spectateurs, contre environ 22 000 pour l’ancien Estadio Chamartín. Convaincu que le stade est la pierre angulaire du succès du club, Santiago Bernabéu décide très vite d’augmenter la capacité de la nouvelle enceinte. Dès 1954, un troisième étage est ajouté aux deux premiers, et désormais ce sont près de 125 000 supporters qui peuvent venir regarder jouer le Real Madrid. Fort d’une politique de baisse des prix pour remplir le stade, Santiago Bernabéu réussit son pari et voit les recettes aux guichets grimper de manière exponentielle, de neuf millions de pesetas en 1947 à trente-neuf millions en 1955. Populaire comme jamais, le président du Real Madrid voit alors le stade changer de nom en 1955 après une assemblée générale des socios. Fini le Nuevo Estadio Chamartín, place au Estadio Santiago Bernabéu « comme preuve de reconnaissance du travail de l’actuel président » .
Di Stéfano et Coupe des clubs champions européens
Histoire de montrer au monde entier sa nouvelle richesse, Santiago Bernabéu lance la première ère de ce qu’on appellera plus tard les Galactiques. Après l’attaquant – encore argentin – Alfredo Di Stéfano en 1953, c’est le Français Raymond Kopa et le Hongrois Ferenc Puskás qui rejoignent les rangs merengues. Mais le championnat espagnol n’est pas assez grand pour les ambitions du président madrilène. Il utilise alors son influence pour appuyer le projet lancé par le journal L’Équipe et ses journalistes Gabriel Hanot et Jacques Ferran. En 1955, la Coupe des clubs champions européens est créée. Un trophée que confisque le Real Madrid lors des cinq premières éditions. En 1978, après avoir remporté six Coupes des clubs champions européens, seize championnats d’Espagne, six Coupes d’Espagne et une Coupe intercontinentale, Santiago Bernabéu s’éteint à l’âge de quatre-vingt-deux ans. Il laissera derrière lui un double héritage, l’amour pour les grands joueurs et la Coupe d’Europe, que les Merengues ont remportée pour la onzième fois en mai dernier.
Comment aurait pu s’appeler le stade Santiago Bernabéu :
Le stade Alfredo Di Stéfano. 5 C1, 8 Ligas, 308 buts en 396 rencontres. Patron Le stade Zinédine Zidane. Pour une petite volée de rien du tout, un soir de mai 2002 à Glasgow. Le stade Julio Iglesias. De loin l’ancien footballeur qui a le mieux réussi sa carrière de chanteur. N’en déplaise à Pascal Olmeta. Le stade Julien Faubert. Un transfert aussi improbable mérite un tel honneur. Le stade Victoria Abril. Parce que rendons à Madrid ce qui lui appartient.Par Steven Oliveira