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Un homme, un stade : Jean Bouin
Certains noms de stade se retrouvent essaimés un peu partout dans le pays. C'est notamment le cas de Jean Bouin, dont le nom parcourt la France d'est en ouest, et du sud au nord. En partant de Marseille, sa ville de naissance. Preuve que l'homme, né à la fin du XIXe siècle, était fait pour l'endurance et les mémoires.
« Jean Bouin, comme Roland Garros, a un nom connu de tout le monde, mais personne ne connaît vraiment le personnage. » Michel Merckel, historien ayant travaillé sur les liens entre la Grande Guerre 14-18 et le sport, connaît bien l’histoire de Jean Bouin et la raison pour laquelle, de Cholet à Marseille, en passant par les alentours du Parc des Princes ou Angers, on trouve des stades en son honneur un peu partout. « Jean Bouin est un symbole. Dans l’imaginaire français, il a une place à part. » Une place partagée aux côtés de Roland Garros, notamment, dès la couverture de l’hebdomadaire La Vie au grand air début 1914. Une place légèrement oubliée par le temps, alors que le coureur a eu une place dans le panthéon national des grands sportifs, et est de ces figures qui traversent les régionalismes et les amours locaux. Cette place lui permet d’avoir le deuxième nom le plus répandu en France pour une enceinte sportive derrière Louison Bobet, même si Michel Merckel admet ne pas pouvoir estimer le nombre exact, une tâche « trop difficile » . Jean Bouin n’est pas un anonyme pour quiconque a passé ses week-ends à écumer les gymnases de sa région.
Premier recordman français
Si Jean Bouin est un sportif reconnu, c’est évidemment pour ses performances athlétiques. Très rapidement, le natif de Marseille fait montre de ses qualités en endurance. Il fait du cross et de l’heure ses grandes spécialités à la course à pied. En 1911, il établit le record mondial du 10 000 mètres, puis deux ans plus tard celui de l’heure. C’est ainsi le premier Français à se montrer plus rapide que les autres. « C’est l’une des facettes de la popularité de Jean Bouin en France. On l’adulait pour ses performances. » Son grand rendez-vous a lieu un an après, pour les Jeux olympiques. À Helsinki, malheureusement, il ne finit pas la course de cross-country et termine seulement à la 2de place du 5 000 mètres, derrière le Finlandais Hannes Kolehmainen.
Cette défaite est, des mots de Michel Merckel, « une déchirure pour lui comme pour les Français » . Jean Bouin, au caractère bien trempé, a du mal à se remettre de cette défaite, qu’il analyse comme une erreur tactique de sa part. Dans Le Petit Provençal, il estime qu’étant « plus sprinter que Kolehmainen, (il) aurai(t) dû le laisser mener de bout en bout et attendre les derniers mètres pour faire (s)on effort. » Il repart toutefois de plus belle dans l’objectif de gagner enfin de l’or la fois suivante et épate par sa régularité, son entraînement étudié avec soin et sa capacité à prédire ses performances. Avant 1916, les événements géopolitiques et le déclenchement de la Première Guerre mondiale vont changer tout cela, d’une manière qu’il ne pouvait pas tout à fait prévoir.
La trace de la guerre
La guerre est constitutive du parcours de Jean Bouin. Dès sa formation de jeune sportif, elle entre en ligne de compte. « Pour la IIIe République naissante, le sport est un moyen de lutter contre ce qui a provoqué la défaite de 1870. Par rapport aux Allemands, les Français étaient en retard physiquement. Il faut notamment des soldats endurants. » La scolarité et l’encadrement de la jeunesse servent à améliorer les performances sportives. Jean Bouin et sa capacité à courir encore et toujours correspondent parfaitement à cette recherche. Le peuple de France l’adule pour cela. Il retrouve de sa puissance et de sa vigueur à travers lui. En 1910, il est appelé pour son service militaire et intègre la 15e compagnie du 141e régiment d’infanterie à Nice. Surtout, élevé dans cet esprit de revanche, il refuse quatre ans plus tard d’échapper à la guerre grâce à son statut de sportif de haut niveau.
« Le général Gallieni veut le préserver, mais lui, il y va. Il est dans cet esprit de Marseillaise,« Allons enfants de la patrie / le jour de gloire est arrivé. » » Il demande même à être en première ligne et meurt « sous les tirs de l’artillerie française » dès septembre 1914. Le 29 septembre 1914, dans la Meuse. La nouvelle laisse pour le peuple « des regrets, notamment à cause de cette deuxième place d’Helsinki. En 1920, un Français gagne aux JO, grâce aussi à l’héritage de Jean Bouin. C’est lui qui entre dans le patrimoine sportif français et devient célèbre, contrairement à Lucie Bréard, la premièrerecordwomande l’athlétisme français. Jean Bouin est resté comme la figure véritable de la France et du sport en France. On est resté sur le perdant. » Selon Michel Merckel, « son corps n’a jamais été retrouvé » . Mais il a des stades en son nom. De Marseille à Paris. Les stades, gymnases, terrains de sport et pistes d’athlétisme en son nom deviennent des lieux de mémoire.
Comment aurait pu s’appeler le stade d’Angers :
Le stade Raymond Kopa, à jamais le premier Ballon d’or venu de l’Angers SCO. Le stade Julien Bessonneau, pour reprendre le nom d’origine du club et du stade, tout en conservant les initiales JB. Le stade Joachim du Bellay, pour avoir un nouveau nom que tous les collégiens de France connaissent, tout en conservant les initiales JB. Le stade J&B, pour garder les initiales avec un naming malin, si un jour la loi Évin n’existe plus.Par Côme Tessier