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Un homme, un stade : Geoffroy Guichard
Souvent, derrière le nom d’un stade, se trouve celui d’un homme. Une figure éminente de la ville ou du club. Ou parfois les deux, comme c’est le cas pour Geoffroy Guichard, fondateur de l’AS Saint-Étienne et du groupe Casino qui a tant rendu fier le Forez.
« Vous dénigrez l’âme de nos clubs pour de sales billets. Vous oubliez les gloires du passé au profit de marques intéressées. Le naming est le nouveau fléau du football français. Et c’est pas une pizza dégueulasse qui nous fera changer d’idée. Pour un football populaire : stop business. » Le moins que l’on puisse dire, c’est que les supporters stéphanois tiennent à leur stade Geoffroy-Guichard, en atteste la banderole déployée dimanche 20 novembre contre Nice. L’idée que le Chaudron puisse être renommé au nom d’une marque comme un vulgaire Matmut Atlantique leur fait froid dans le dos. Une preuve de fidélité et un très bel hommage pour le fils de l’épicier du coin, né il y a maintenant cent cinquante ans à une quarantaine de kilomètres au nord de Saint-Étienne, dans la petite commune de Feurs. Car Geoffroy Guichard est parti de loin, avant de poser les bases de ce que deviendra l’AS Saint-Étienne.
La naissance de Casino
En 1858, dix ans avant la naissance de Geoffroy, le casino lyrique de la rue des Jardins, à Saint-Étienne, est contraint de fermer pour cause de mœurs un peu trop légères au sein de l’établissement. M. Bréchaud reprend alors le bâtiment pour une bouchée de pain en 1860 et le transforme en une petite épicerie de détail sans problème et sans ambition. Mais trente-deux ans plus tard, en 1892, un homme va venir chambouler le destin du petit local aux stores verts de la rue des Jardins. Geoffroy Guichard a abandonné ses études supérieures il y a peu pour apporter son aide au commerce familial qu’il développe avec sa belle-famille. Associé au cousin de sa femme, Paul Perrachon, il devient le propriétaire de l’épicerie. Six ans plus tard, il enclenche la vitesse supérieure en s’installant avec sa femme Antonia dans la rue des Jardins. Surnommé « Le Sénat » par leurs employés, l’appartement donne directement à l’intérieur du magasin.
L’enseigne « Casino » est officiellement née, avec la création d’une première succursale à Veauche, à vingt kilomètres de là. Geoffroy Guichard développe alors son groupe à la vitesse de la lumière, passant d’une succursale en 1898 à 452 en 1914. Et ce, grâce à des innovations constantes, que ce soit dans l’approche marketing ou dans la gestion des employés. D’abord, il est un précurseur en ce qui concerne le système de franchises, avec des gérants postés à la tête de chacune. Et surtout, il est le premier à se lancer dans la production pour maîtriser les produits et l’approvisionnement. Du pain, des pâtisserie, de l’huile, de la moutarde et des articles de droguerie sont ainsi commercialisés sous la marque « Produits Casino » dès 1904. Il met également en place un système de fidélisation de sa clientèle : les tickets primes. Geoffroy Guichard devient alors petit à petit le patron d’un grand groupe de distribution.
Le papa de l’AS Saint-Étienne
Le principe de base de Geoffroy Guichard est de créer une gigantesque entreprise familiale. Dans cette veine paternaliste, il crée dès le début du XXe siècle pour ses employés une caisse de prévoyance et d’assurance décès, une société de secours mutuel, une prime aux familles nombreuses et à la défense et il construit et loue des habitations ouvrières. En 1916, il met même en place des allocations familiales. Un pionnier. Parallèlement, Geoffroy Guichard crée l’Amicale des employés de la société des magasins Casino. Et c’est en 1919 que la section sportive est ouverte. L’ancêtre de l’AS Saint-Étienne vient de naître, et les joueurs-employés portent un maillot vert, comme le logo Casino, comme les stores du premier local rue des Jardins.
En 1929, après avoir décroché au passage une légion d’honneur, il quitte ses fonctions à soixante-trois ans pour léguer sa société à ses enfants. Mais il part sur un dernier cadeau, en achetant un terrain de 40 000 m² à la duchesse de Broglie. Pierre Guichard, son fils, achève son œuvre en lançant une souscription auprès des Stéphanois pour construire un stade. Une fois l’argent réuni, et le projet confié à la société de construction parisienne à l’origine du stade de Colombes, le stade de l’AS Saint-Étienne peut enfin voir le jour en 1931. Le stade Geoffroy-Guichard, évidemment.
Comment aurait pu s’appeler le stade Geoffroy-Guichard :
Le stade Jean-Snella. Parce qu’il a déjà une tribune et la rue qui mène au stade à son nom, alors autant faire les choses à fond. Le stade Robert-Herbin. Vingt-six ans dans le club sans discontinuer en tant que joueur, puis entraîneur. Et les deux en même temps l’espace d’une soirée de 1975. Venez le chercher. Le stade Jacques-Monty. Parce que « qui c’est les plus forts ? Évidemment c’est les Verts » . Le stade Dub-Incorporation. Parce que ça aurait été vachement mieux « Qui c’est les plus forts ? Évidemment c’est Babylone » Le stade Roger-Rocher. Dix ans de boulot dans les mines de charbon de Saint-Étienne, quinze des dix-sept titres nationaux conquis sous sa présidence et cette phrase : « En football, Saint-Étienne sera toujours la capitale et Lyon sa banlieue. » Fin du débat.Par Kevin Charnay