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Un homme, un stade : Francis Le Blé

Par Régis Delanoë
Un homme, un stade : Francis Le Blé

Avant de donner son nom au stade de Brest, dont il a été maire de 1977 jusqu’à sa mort soudaine en 1982, Francis Le Blé est d’abord considéré par les gens de gauche comme l’un des pères fondateurs du socialisme moderne dans le Finistère. Un militant modèle, qui s’est forgé sa conscience syndicale et politique à l’Arsenal de Brest dans les années 50 et 60.

Francis Le Blé n’est pas brestois d’origine, pas même finistérien. C’est à Locmiquélic, petit port de pêche face à Lorient, qu’il naît le 6 septembre 1929 dans une famille modeste. Jeune, il est scolarisé dans le privé, avec une enfance et une adolescence studieuses et sans histoire.

Sa vie professionnelle l’emmène à Brest dès 1948, où il est embauché comme ajusteur à l’arsenal, l’immense base navale militaire dont les origines remontent au XVIIe siècle. Cette période d’après-guerre est difficile dans une ville particulièrement meurtrie par les bombardements intenses de l’été 1944 qui ont permis sa libération le 18 septembre. Le siège de Brest a conduit au largage de 100 000 obus et de 30 000 bombes en l’espace de trois semaines. Seuls 200 des 16 500 immeubles que comptait la ville avant-guerre ont été épargnés. La forte activité de reconstruction qui suit ne se fait pas sans tension, notamment durant tout le mois d’avril 1950, avec de violents affrontements entre ouvriers de l’arsenal, ouvriers du bâtiment, dockers et forces de l’ordre. Ces mouvements dureront un mois. Cette grève a été racontée par Kris et Étienne Davodeau dans la très chouette BD Un homme est mort. Un an plus tard, un autre long mouvement de grève est mené, encore à l’Arsenal, conduisant à la signature du décret du 22 mai 1951, relatif à l’alignement des salaires du personnel ouvrier sur celui de la métallurgie parisienne.

Issu du syndicalisme chrétien

C’est dans ce contexte aussi agité que passionnant que Francis Le Blé devient progressivement un leader syndical. Son éducation catholique sociale l’entraîne naturellement à adhérer aux deux mouvements qui collent alors le plus à cet état d’esprit : la JOC (Jeunesse ouvrière chrétienne), très populaire sous la IVe République, et la CFTC. Il apprend des mouvements de grève de 1950 et 1951, développe son réseau, tout en menant en parallèle une carrière exemplaire d’ajusteur puis d’ingénieur. En 1959, il n’a que trente ans lorsqu’il est nommé secrétaire de l’unité brestoise de la CFTC. Les années qui suivent sont importantes, à la fois pour le jeune homme et pour le milieu syndical, avec le mouvement de déconfessionnalisation de la CFTC et la création par le courant majoritaire, favorable à cette déconfessionnalisation, de la CFDT. Francis Le Blé s’affirme en réformateur et devient vite une figure de la CFDT naissante, née de la rupture en 1964. Pourtant, seulement trois ans plus tard, il démissionne de ses fonctions syndicales – il est alors le numéro 1 de la CFDT dans le Finistère – pour se consacrer à la vie politique.

« Le père fondateur du nouveau socialisme finistérien »

En homme de la gauche chrétienne, humaniste et moderne qu’il est, Francis Le Blé adhère alors non pas à la SFIO vieillissante, mais à la CIR, la Convention des institutions républicaines, mouvement fondé en 1964 par un certain François Mitterrand et dont feront partie beaucoup de têtes d’affiche des deux septennats de 1981 et de 1988, ainsi que du gouvernement Jospin en 1997 : Roland Dumas, Pierre Joxe, Daniel Vaillant, Élisabeth Guigou, Édith Cresson, Gérard Collomb… C’est avec le CIR que « FLB » mène sa première campagne politique, les législatives de 1967. Les années qui suivent sont celles de la transformation profonde de la gauche française, avec la création du Parti socialiste (au sein duquel le CIR fusionnera) et sa prise de pouvoir par Mitterrand à l’occasion du fameux congrès d’Épinay en 1971. Le Blé est le premier secrétaire départemental de ce PS naissant. Les premiers temps sont galères, avec à peine une centaine de militants et une dizaine de cotisants au niveau local. Ses premiers combats sous la bannière de la Rose – cantonales de 70, législatives de 73 – sont néanmoins encourageants. Le passé syndical et ouvrier de Francis Le Blé est un atout, de même que son large réseau. Avec lui à sa tête au niveau local, le PS grandit de manière exponentielle sur Brest et ses alentours, à tel point que l’historien Christian Bougeard, auteur d’Un Siècle de socialisme en Bretagne, le considère comme le « père fondateur du nouveau socialisme finistérien » .

Nouveau nom de stade, nouveau nom de club

Sa victoire politique personnelle la plus marquante est bien sûr celle qui le conduit à la mairie de Brest en 1977. Tête de liste d’un regroupement d’union de la gauche nommé « Brest-Espoir » , il est élu maire dès le premier tour du scrutin, le 13 mars 1977, battant une droite désunie, avec deux anciens maires – dont le sortant – qui avaient chacun leur liste. Un an plus tard, il échoue de très peu à cumuler avec un mandat de député. Francis Le Blé devient alors président de l’agglomération brestoise, mais il décède brutalement le 23 juin 1982 à seulement cinquante-deux ans. « Il réalisait dans sa personne le modèle même du militant que prônait et qu’exprimait le nouveau parti socialiste : l’osmose avec le « peuple de gauche », la connaissance du milieu associatif et syndical, la longue pratique de la réflexion et de l’action, de l’organisation et du combat » , est-il écrit dans le communiqué du PS 29 qui rend hommage à ce maire populaire. L’autre hommage, c’est donc ce stade de la ville qui porte désormais son nom. Construit en 1922 et d’abord nommé stade de l’Armoricaine (du nom du club de foot dont est issue la création du Stade brestois en 1950, par le regroupement de ce patronage catholique avec d’autres), il avait bénéficié d’une rénovation et d’un agrandissement au début des années 80. L’inauguration de la grande tribune latérale à l’été 82 est donc l’occasion de renommer l’enceinte. Son club résident est alors en pleine bourre depuis sa première montée historique en élite en 1979 et l’arrivée à la présidence de François Yvinec. À l’époque, le Stade brestois devient le Brest Armorique et le stade de l’Armoricaine devient Francis-Le Blé. Ce sera le début de la décennie la plus folle du football finistérien.

Comment aurait pu s’appeler le stade Francis-Le Blé :

Le stade Miossec, parce qu’Évoluer en troisième division est l’une des plus belles chansons sur le foot. Le stade Yann Queffélec, parce que l’accent le plus étrange des écrivains français mérite bien des honneurs. Le stade Roberto Cabañas, parce que ça valait le coup que le président Yvinec aille arracher ce joyau des mains du cartel de Medellín en 1988. Le stade Bruno Grougi, parce que les dreadlocks. Le stade Bruno Derrien, parce que ça peut être bien vu de flatter le corps arbitral en honorant l’un de ses représentants natifs de la ville.
Dans cet article :
Un homme, un stade : San Paolo
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