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Un homme, un stade : Ange Casanova
Souvent, derrière le nom d'un stade, se trouve celui d'un homme. Une figure éminente de la ville ou du club. Ange Casanova, lui, était une vision à lui seul avec une gueule et des idées novatrices. En l'espace de cinquante ans, l'homme a construit ce qu'est progressivement devenu le Gazélec Ajaccio avant de fermer les yeux un jour de match, en 1998. Laissant son héritage.
Le silence est glaçant. Il fait gris, froid, et rien ne sera plus comme avant. Le silence est pesant, il est lourd, et la minute de silence est interminable. Jamais Mezzavia n’aura autant manqué de chaleur. Tout le monde a la tête baissée face à un idéal qui vient de s’éteindre. À quelques kilomètres des piliers du stade qui porte son nom depuis quatre ans, Ange Casanova a fermé les yeux. Définitivement. Le 24 mars 1998, un mercredi où le Gazélec recevait l’US Raon l’Étape pour la vingt-huitième journée du championnat de National. Sept cents personnes se déplaceront sur le côté de la route de Mezzavia pour rendre hommage à celui qu’ils décrivent encore aujourd’hui comme un repère. Car ici, tout le monde le sait : sans lui, rien n’aurait été possible. Sans lui, le Gazélec et le FCA n’auraient pas fusionné au début des années 60. Sans lui, Pierre Cahuzac n’aurait peut-être pas écrit les plus belles pages du football corse et ne serait peut-être jamais devenu l’entraîneur mythique du Sporting finaliste de la Coupe de l’UEFA en 1978. Et sans lui, il n’y aurait pas eu de championnats de France amateurs soulevés en Corse à la fin des sixties, de club omnisports, d’esprit populaire. Ange Casanova, c’était un peu de tout ça.
Kopa, CGT et Mezzavia
Casanova était avant tout un idéaliste. Un homme dopé à l’égalité, à la fibre populaire et au don de soi pour le succès collectif. Il était un enfant des années 20, le fils d’une île de caractère où il passait de longues après-midi à jouer au foot avec ses amis. Sous les couleurs de l’ACA d’abord, puis de l’Olympique ajaccien. Il rêvait d’une société juste dans son bureau de l’EDF où il était cadre, responsable syndical CGT et défenseur des valeurs communistes face à la bourgeoisie de l’ACA et ses idées tirées du bonapartisme. Ange Casanova mit alors sur pied le Gazélec Ajaccio en 1956, une équipe corpo composée de gars agents EDF-GDF au quotidien. Le club survit grâce aux œuvres sociales de Gaz de France, et Casanova imagine une impensable fusion avec le FC Ajaccio – aka Le Bistro – pour contrer l’ACA. L’idée est simple : des idées, un club et un mariage avec la cause des quartiers populaires d’Ajaccio. On est alors en 1960, au fond du Claridge, un bar de la ville.
« On n’était pas nombreux. Le FCA était un petit club ajaccien. Au milieu, il y avait forcément un peu de politique. Le Gazélec était un club de communistes, et nous, on était plus bonapartistes, la droite de l’époque. Mais ce jour-là, c’était avant tout des hommes qui parlaient entre eux. L’objectif était de faire opposition à l’ACA, mais surtout de se débarrasser des Bastiais » , explique aujourd’hui Charles Contiliani, l’un des signataires de la fusion côté FCA. Le bébé est né, il s’appelle GFCA et jouera en rouge et bleu, les couleurs du FC Ajaccio avec le surnom de Gazélec. « Les joueurs, les dirigeants, les supporters tiraient tous dans le même sens. Nous avions réussi à embaucher quatre-vingts agents EDF et contribué à faire de beaucoup de nos joueurs des hommes dans toutes les acceptions du terme » , expliqua alors Ange Casanova, un homme à l’influence affirmée à l’époque, un gars des grèves souvent aussi. Casanova est alors le secrétaire général du nouveau club.
Il en deviendra rapidement le bâtisseur. Car tout est à construire, à commencer par un stade. Une enceinte qui va être montée en un été. Quelques semaines où « ce sont nos joueurs avec, en tête, leur entraîneur Pierre Cahuzac qui ont dressé les grillages, aménagé et peint les vestiaires, planté et entretenu la pelouse. Ce stade, c’est notre maison, notre œuvre. Celle d’une vraie famille » , détaillera Casanova. Mezzavia devient alors rapidement un bastion, un endroit où personne ne gagne, où l’ambiance est bouillante, où l’on ne veut même plus venir jouer, un temps. C’est aussi son âme, son esprit, son ADN. Un moteur qui emmènera le Gazélec à quatre titres de champion de France amateur à Versailles entre 63 et 68. Des années qui vont faire naître un nouveau visage : celui d’un croupier parisien devenu directeur de cercle, ancien prof au Maroc et à la gouaille certaine. Il s’appelle Fanfan Tagliaglioli et est aujourd’hui le président d’un club qu’il a rejoint comme représentant à Paris en 1970. Pris d’émotion, il se rappelle : « Ange Casanova était un homme de valeur, un mec bien. Je suis fier de l’avoir connu, c’est un modèle et jusqu’à sa mort, il venait souvent me voir à Mezzavia me donner des conseils. » Au point que le 16 juillet 1994, sous les yeux de Cahuzac et Kopa, Mezzavia va devenir le stade Ange-Casanova pour qu’ « Ange en profite de son vivant » . Une attention qui va gêner Casanova, qui ne souhaite pas dépasser de son club et qui trouve « injuste de mettre une seule personne sous les feux de la rampe. On reste toujours un peu prisonnier de son passé » .
Le totem Fanfan Tagliaglioli
Cette scène raconte beaucoup de l’homme Ange Casanova. Une figure discrète, calme et effacée. Un penseur, un analyste et quelqu’un qui « ne parlait jamais dans le vide » selon Antoine Exiga, le président de la section volley du GFCA. Car Casanova avait surtout installé un véritable groupe avec une quinzaine de filières sportives, du volley au hand en passant par l’athlé. « Ici, tout le monde avait du respect pour lui. On venait toujours chercher ses conseils. Sa force était d’avoir une vision du sport totalement désintéressée » , complète Exiga. Ange Casanova expliquait souvent qu’il ne voulait pas du professionnalisme, que « l’argent n’était pas le remède. Il a peu à peu tout pourri, et si, par la suite, nous y sommes aussi venus par la force des choses, c’était à des tarifs dérisoires par rapport à d’autres clubs.(…)Nous avons été champions de France sans donner un seul centime de prime aux joueurs. » Durant son existence, il refusera alors les propositions nationales d’accéder à la seconde division au point de laisser l’ACA filer. Sa mort, en 98, marquera d’ailleurs une bascule dans le foot corse, voyant l’ACA terminer champion de National avec vingt points d’avance sur le Gazélec. Comme une fin de règne. Dix-huit ans plus tard, le Gazélec d’Ange Casanova a plongé la tête dans l’amateurisme du professionnalisme. En Ligue 1 l’an dernier pour la première fois de son histoire, en Ligue 2 de nouveau cette saison. Dans l’entourage du club, on affirme que « l’esprit a été conservé » malgré les montées successives. Fanfan, lui, est toujours là. Comme un totem.
Comment aurait pu s’appeler le stade Ange-Casanova :
Le stade Pierre Cahuzac. Pour la légende, pas pour son fils, autre légende mais aussi aventurier à bandeau. Le stade Pascal Olmeta. Pour se souvenir de Pointers sur bécasse en Corse. Le stade Tino Rossi. Parce qu’on n’oublie pas un monument qui a été le premier chanteur à gratter un disque d’or en chantant la gloire du père Noël. Le stade Roger Grosjean. Un homme de racines. L’Alizée Stadium. Parce qu’on n’oubliera jamais ton hold-up, Jérémy Chatelain.Par Maxime Brigand
Tous propos recueillis par MB, sauf ceux d'Ange Casanova, tirés de Corse-Matin.