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Un Havre de bonheur
Sacré champion de Ligue 2 à l’issue de la dernière journée, Le Havre retrouve la Ligue 1, quatorze ans après l’avoir quittée. Une récompense amplement méritée, même si les Hacmen ont joué avec le feu en fin de saison.
Chaque année ou presque, c’était la même rengaine. Au moment de livrer les pronostics d’avant-saison, il n’était pas rare que le nom du Havre soit listé parmi les outsiders à la montée en Ligue 1. En raison de son statut de doyen du foot français, sans doute, et de moyens financiers présumés importants pour la division. Pourtant, le HAC s’avérait incapable de gratter une place dans l’ascenseur. En 2016, les portes se sont refermées juste devant son nez (même nombre de points et différence générale que Metz, promu à un but près). Il y a bien eu un play-off mouvementé à Ajaccio en 2018, ainsi qu’un paquet de places d’honneur, mais surtout d’innombrables exercices achevés dans la frustration et les regrets d’un rêve envolé, comme l’an passé (8e). Au fond, le petit monde de la Ligue 2 avait fini par s’habituer à sa présence. En 2023-2024, cependant, il faudra faire sans lui. Car les Normands ont bouclé leur saison avec un titre de champion de la division, synonyme de retour à l’étage supérieur.
𝐂𝐇𝐀𝐌𝐏𝐈𝐎𝐍 ! 🔥
Grâce à cette victoire sur Dijon, 1 à 0, avec un but de Josué Casimir à la 12e, le HAC conclut superbement sa saison, et oui, est champion de @Ligue2BKT !!!!!!!!!#HACDFCO pic.twitter.com/WkJXdW0ou4
— Havre Athletic Club ⚽️ (@HAC_Foot) June 2, 2023
Révolution bénéfique et incroyable série
Ils devaient être peu à songer à pareil dénouement le 20 juin dernier, quand Vincent Volpe a décidé de chambouler en profondeur l’organigramme du club de Seine-Maritime. L’actionnaire majoritaire du Havre a confié la présidence à Jean-Michel Roussier et la direction sportive à Mathieu Bodmer. Accompagné de Mohamed El Kharraze (directeur sportif adjoint) et de l’ancien journaliste Julien Momont (analyste data), qu’il a installés à ses côtés, l’ex-milieu de terrain s’est immédiatement employé à insuffler une nouvelle dynamique au sein d’une structure qui, jusque-là, avait pris l’habitude de ronronner. « Il y a énormément de ressources dans ce club. Seulement, elles ont parfois pu s’endormir pour diverses raisons », constatait-il auprès de So Foot à l’automne dernier. Le centre de formation local, dont la réputation n’est plus à faire, est justement l’une de ces ressources. Le nouveau dirigeant havrais a logiquement misé en partie sur les pépites du cru pour porter les Ciel et Marine. Il ne s’est d’ailleurs pas trompé en rattrapant par le col Yassine Kechta, alors en instance de départ, rapidement devenu titulaire incontournable et même convoqué en sélection marocaine. Profitant de ses nombreuses connexions au sein d’un milieu qu’il n’a jamais quitté, Bodmer a également bouclé un mercato intelligent. Des joueurs rompus aux joutes de l’antichambre et ayant déjà connu des montées ont ainsi gonflé les rangs de l’effectif, comme Arthur Desmas (Clermont), Gautier Lloris (Auxerre) ou Oualid El Hajjam (Troyes).
Le natif d’Évreux a aussi choisi de donner les clés de l’équipe à Luka Elsner, qui avait été son entraîneur à Amiens. Le technicien slovène est un adepte des séances à haute intensité, et il a pu s’en donner à cœur joie. « On a un système de suivi de marqueurs perceptifs chez les joueurs et en suivant ces marqueurs, on s’est rendu compte qu’on avait un groupe capable d’encaisser beaucoup de charge à l’entraînement, mais aussi de récupérer assez rapidement », révélait-il en novembre. Alors, les séances ont été doublées deux fois par semaine. Et sur le terrain, ces efforts supplémentaires n’ont pas tardé à porter leurs fruits. D’abord discrets, dans l’ombre des dégradés (Bordeaux, Saint-Étienne, Metz) et de prétendants pas franchement à la hauteur de leurs ambitions (Sochaux, Dijon, Paris FC), les partenaires de Victor Lekhal ont pris les commandes du classement au soir de la 14e journée. Ils ne les ont plus lâchées. Une mainmise qui a reposé sur une hallucinante série d’invincibilité : battus à Valenciennes début août, lors de leur deuxième match de la saison (1-0), les Hacmen n’ont ensuite plus goûté à la défaite en championnat jusqu’à leur déplacement à Annecy, mi-mai (1-0). Soit 32 rencontres de rang sans le moindre revers, record de la division – établi par Sedan en 1954-1955 – égalé.
Passion clean sheets, pas de tête d’affiche
Tant que l’on en est à parler chiffres, il convient de mettre en avant que Le Havre n’a encaissé que 19 buts, empilant au total 21 clean sheets. Cette impressionnante solidité défensive, incarnée l’infranchissable charnière Lloris-Sangante et un Desmas à la confiance retrouvée dans la cage, a tenu une place majeure dans la réussite sportive des Normands, souvent vainqueurs de justesse (70% des victoires l’ont été par un but d’écart) et qui, à défaut de pouvoir l’emporter, savaient au moins ne pas perdre (sept 0-0 enregistrés). Ce n’était pas toujours spectaculaire, c’est vrai. Comeilleurs buteurs du club, Quentin Cornette, Nabil Alioui et Lekhal (qui tire les penaltys) ont fini à… six réalisations chacun. On reconnaîtra d’ailleurs sans mal que le HAC, avec seulement 46 buts marqués, n’a rien à voir avec le Toulouse FC cuvée 2021-2022, sacré champion de Ligue 2 après avoir collé des roustes à la plupart de ses adversaires. Néanmoins, affirmer que Le Havre est une équipe résolument défensive reviendrait à commettre une grossière erreur de jugement. Car la troupe d’Elsner, très souvent articulée en 4-3-3, a surtout impressionné les observateurs par sa très grande maîtrise, technique comme tactique. Sans attaquant prolifique, sans meneur de jeu capable de délivrer galette sur galette – sans véritable tête d’affiche, en fin de compte –, les Ciel et Marine s’en sont remis à leur collectif parfaitement huilé et presque infaillible pour tracer leur route jusqu’en Ligue 1. Quatre d’entre eux (Desmas, Sangante, Lekhal et Richardson) figuraient d’ailleurs dans l’équipe type de la saison lors de la cérémonie des trophées UNFP, ce qui en dit beaucoup sur leur niveau de jeu cette saison.
🏆 𝐋𝐞𝐬 𝐓𝐫𝐨𝐩𝐡𝐞́𝐞𝐬 𝐔𝐍𝐅𝐏
Bravo à nos Ciel&Marine pour leurs récompenses aux trophées @UNFP ! 👏 pic.twitter.com/BW5MMaHo0w
— Havre Athletic Club ⚽️ (@HAC_Foot) May 29, 2023
C’est grâce à cette force collective à toute épreuve que les Havrais ont si rarement chuté cette saison. Dans un championnat aussi indécis, ce ne sont pourtant pas les chausse-trappes qui manquent, entre les déplacements piégeux chez des équipes à la lutte pour le maintien et les confrontations face à des concurrents directs bien décidés à faire tomber le leader. Mais les coéquipiers d’Amir Richardson ont géré ces chocs à la perfection, en témoignent leurs deux succès contre Bordeaux au cœur de l’hiver (1-0, 1-2) ou celui, plus récent, sur la pelouse du voisin caennais (1-2). En fait, leur régularité dans les performances a été telle qu’ils n’ont pas connu le moindre trou d’air pendant dix mois, avant, donc, de se faire quelques frayeurs dans le sprint final et de conclure dans la liesse contre Dijon, ce vendredi (1-0). Ce retour dans l’élite, quatorze ans après, va évidemment s’accompagner de nouveaux défis pour Mathieu Bodmer et consorts. Des joueurs clés seront sollicités (Reims a déjà mis la main sur Richardson), le mercato tiendra un rôle crucial, et la nouvelle formule du championnat, qui ne comprendra plus que dix-huit formations, s’annonce impitoyable pour celles qui auront du retard à l’allumage. Mais à chaque jour suffit sa peine et, pour l’heure, les Havrais savourent leur bonheur. Un bonheur ô combien mérité.
Par Raphaël Brosse