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Un footballeur doit-il forcément garder ses nerfs ?

Par Léo Tourbe
5 minutes
Un footballeur doit-il forcément garder ses nerfs ?

Estrosi, Ciotti, Rivère, Longoria, Mandanda, tout le monde ne parle que de ça. Pour les uns, Dimitri Payet est un criminel, pour les autres il a eu raison. À l’image de la réaction d’humeur du Réunionnais sur la pelouse niçoise ce dimanche, les footballeurs sont parfois soumis à une pression considérable. Mais doivent-ils garder leur sang-froid en toutes circonstances ?

Péter les plombs ou garder son calme ? Telle est la question que se posent bon nombre de footballeurs chaque week-end. Face aux insultes, aux projectiles et provocations en tout genre, les sportifs professionnels se sont construit une carapace hermétique. Pas le droit de bouger le moindre petit doigt. Y prêter attention, c’est déjà admettre une petite fêlure dans son bunker émotionnel. Ce week-end à Nice, Dimitri Payet a carrément sorti la mitrailleuse à émotions en renvoyant violemment des bouteilles de là où elles étaient venues : des tribunes. « Ça peut ressembler à la dernière phase du burn-out. En l’occurrence, une des dernières phases du burn-out, c’est le côté cynique, de craquer et de ne plus considérer les gens autour de soi », analyse Mélissa Pangny, psychologue du travail.

Chaque semaine, les footballeurs sont donc exposés à l’éventualité de craquer, et de partir en burn-out, un des grands maux de notre temps, notamment professionnellement. « Dans un univers conventionnel, ce serait avec des clients ou des patients et de ne plus savoir se maîtriser. À force d’être poussé dans ses retranchements, que ce soit par des agressions verbales ou physiques – dans une entreprise, ça peut être du manque de matériels ou de moyens -, il se peut que l’individu au travail ne supporte plus la situation », déroule la psy. Qui n’a jamais eu envie de tout balancer, d’exploser son clavier sur son petit bureau, renverser son café sur un collègue ? Mais avoir la chance d’être payé pour jouer au football n’est pas un boulot ordinaire et prendre sur soi est une qualité presque aussi requise qu’un toucher de balle soyeux. « C’est ce qu’on appelle un facteur de risque. Footballeur fait partie de ces métiers qui vous demande de prendre sur vous émotionnellement, peu importe ce que vous pouvez ressentir. Il faudra toujours afficher la même émotion. C’est ce qu’on retrouve dans les domaines de la santé, du tourisme ou les professions en contact avec de la clientèle. Que vous soyez triste ou que la personne d’en face vous énerve, il faudra toujours maintenir la même émotion. C’est ce qu’on est censé demander aux footballeurs également », précise Mélissa Pangny.

« Une réaction extrêmement humaine »

« Tout sportif de haut niveau a appris à « garder ses nerfs », notamment ceux et celles qui opèrent devant un public de supporters particulièrement bruyants ou agités », nous affirme Stéphane Beaud, auteur avec Frédéric Rasera de Sociologie du football, (éditions La Découverte). Mais il arrive que les « supporters particulièrement bruyants ou agités » dépassent carrément les bornes et que la carapace des acteurs du jeu soit sérieusement endommagée. « Dans un match de football comme un derby incandescent, il y a la norme de comportement – garder son calme, son self control – et il y a le contexte. Si on prend l’exemple de Nice, comment ne pas comprendre ce geste de dépit et d’énervement de Payet ? Tout au long du match, il a été, notamment parce qu’il tire les corners, soumis à la bronca des supporters et à des jets récurrents de projectiles de la part des éléments les plus incontrôlables d’entre eux », insiste le professeur de sciences politiques à Sciences Po Lille.

Sang-froid ou Sancho

Lui aussi avait fini par exploser sous la pression des munitions, verbales et salivaires cette fois, des supporters adverses : Patricio Sancho. Bien moins connu que Payet (mais à l’armoire à trophées pas forcément plus vide), il gardait les buts de Raon-l’Étape en janvier 2020, alors que son équipe recevait le LOSC en 32es de finale de Coupe de France. La section de supporters des Dogues de l’Est s’était déplacée en nombre pour encourager leur équipe en cette journée hivernale. Pour se réchauffer, ils ont eu recours à une méthode infaillible : boire de l’alcool. Une fois bien chaud, ils ont passé la seconde période, pourrissant le portier de la formation de N3, à coups d’invectives et de crachats. La fin du match sifflée, Sancho est allé s’expliquer de manière musclée avec des Lillois d’Alsace, jusqu’à ce que la situation ne dégénère. « Je n’aurais pas dû réagir comme je l’ai fait et j’ai pris un petit savon par le manager pour que cela ne se reproduise pas. Je ne le referai plus. J’étais frustré, car je sais qu’il y avait moyen de passer. Ce qui s’est passé, c’est l’évacuation de tout ce qu’il y a eu dans le match et de tout le stress de la semaine », avait-il expliqué après la rencontre à Vosges Matin.

Pour Stéphane Beaud, « il est évident que les joueurs de foot pro devraient pouvoir ne pas répondre au public pour éviter la spirale de la violence. Mais il faut aussi tout faire – et c’est bien sûr la priorité actuelle – pour protéger ceux-ci des provocations croissantes de ces supporters ». Alors Payet a-t-il eu raison de réagir de la sorte ? « Je ne sais pas s’il a bien fait ou mal fait, mais en tout cas, ça se comprend. Personne ne pourra jamais lui dire qu’il aurait dû faire comme ci ou comme ça. C’est une émotion à un instant T, un trop plein à un instant T. Ça aurait éclaté d’une façon ou d’une autre, c’est une réaction extrêmement humaine », répond Mélissa Pangny. Dimitri Payet, en dépit d’un style capillaire qu’on croirait parfois sorti d’une autre galaxie, serait donc bien un humain.

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Par Léo Tourbe

Tous propos recueillis par Léo Tourbe

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