- Journée mondiale de l'eau
Un footballeur doit-il boire de l’eau avant d’avoir soif ?
Comme tous les sportifs, les footballeurs craignent la déshydratation. Une réaction qui n'intervient en réalité que dans de très rares cas, surtout si le joueur écoute son corps ainsi que ses sensations. En revanche, rien ne sert généralement de les anticiper... au risque de se surhydrater !
Juin 2019. Alors que la Coupe d’Afrique des nations ouvre pour la première fois de l’histoire ses portes à l’été en Égypte, Samuel Kalu est victime d’un malaise avant même le début de la compétition. « Il a été conduit à l’hôpital pour passer des examens, on nous a certifié qu’ils étaient bons, rassure le porte-parole de la Fédération nigériane de football, Ademola Olajire, face à la presse. Il était déshydraté, nous a-t-on fait savoir. » Flippant, à l’heure où le tournoi s’apprête à faire transpirer à grosses gouttes les malheureux joueurs ? Pas tant que ça, puisque peu de cas similaires seront finalement recensés durant l’épreuve.
Parce qu’après coup, les partenaires et adversaires de l’attaquant bordelais ont pris toutes leur précautions pour éviter ce genre d’incident ? Parce que la CAF a imposé la mise en place de deux pauses supplémentaires au cours des différentes rencontres (à la 30e et à la 75e minute) ? Parce que les staffs médicaux ont tenu à rappeler à l’ordre leurs footballeurs, en leur réexpliquant leur besoin corporel en eau ? En tout cas, les médecins et kinésithérapeutes ne leur ont pas conseillé de « boire avant d’avoir soif » . Ou alors, ils se trouvaient dans le faux sans même le savoir.
Clubs amateurs, effacez ces lignes !
« Boire avant d’avoir soif » , donc. Satané conseil sorti de beaucoup trop de bouches d’éducateurs, entendu par une majorité de paires d’oreilles footballistiques ou retrouvé sur bon nombre de sites amateurs pour s’installer confortablement dans les cerveaux et se transformer en réflexe. À chaque pause de chaque entraînement, qu’il neige ou que le soleil cogne, les gorgées d’eau se multiplient donc pour éviter d’éventuels problèmes de santé pendant l’exercice physique. Pas une mauvaise idée en soi, mais pas forcément une bonne non plus.
Car en réalité, à moins de se taper un match de trois heures en plein cagnard sans avoir accès à un liquide potable pour anticiper la perte hydrique de l’organisme, boire avant d’avoir soif se révèle inutile. En vérité, il n’y a qu’un seul seul mot d’ordre à respecter : écouter son corps en ne buvant que quand il le réclame, pas nécessairement avant. C’est la conclusion tirée du consensus d’experts internationaux mené par Tamara Hew-Butler qui, après avoir analysé l’ensemble de la littérature scientifique sur la question (189 publications), a statué la recommandation suivante : « Buvez à votre soif, avant, pendant et après » l’effort pour compenser l’élimination d’eau, quelle que soit la discipline pratiquée.
« Dire qu’il faut boire avant d’avoir soif, c’est débile »
Certains entraîneurs, parfois même de clubs professionnels, considèrent pourtant qu’il est nécessaire de boire à chaque arrêt de jeu ou après chaque séance d’entraînement. Cela empêcherait les coups de chaleur, les crampes, voire les courbatures. La sensation de soif interviendrait de toute façon de manière trop tardive, le corps étant alors déjà déshydraté. Sans oublier que les capacités physiques et les performances diminueraient en cas de perte de poids pendant l’exercice (alors qu’elle est au contraire tout à fait normale et logique, si elle n’est pas excessive)… Autant d’idées reçues généralement fausses ou pas encore démontrées scientifiquement, même s’il ne faut pas négliger le cas où le footeux « oublie » sa soif en raison de l’enjeu de l’événement.
« Dire qu’il faut boire avant d’avoir soif, c’est complètement débile. Après étude de toute la littérature scientifique disponible sur le sujet, les consensus d’experts se rejoignent sur une chose : le corps humain est super bien fait, et un système rénal en bonne santé suffit pour alerter le cerveau lorsqu’il y a besoin d’eau. Il faut donc boire seulement quand on a soif, que ce soit avant, pendant ou après l’effort » , note Blaise Dubois, physiothérapeute du sport internationalement renommé.
Van Gaal et le plan B
Spécialiste de la course à pied, Blaise Dubois craint même davantage les risques de « surhydratation » que de déshydratation, les premiers étant bien plus présents sur les marathons que les seconds : une trop grosse quantité d’eau dans le corps peut en effet conduire à un manque de sels minéraux dans le sang – phénomène appelé « hyponatrémie » -, entraîner des gonflements et ainsi aboutir à des problèmes sérieux (étourdissements, vomissements, œdème cérébral, coma et même la mort). Et si la déshydratation est plus courante que la « surhydratation » dans le foot, c’est avant tout parce que les arrêts de jeu demeurent beaucoup plus rares que lors des courses à pied où les ravitaillements et les boissons sont omniprésents.
Van Gaal says he changed tactics during the water break. Might as well let coachs call time-outs then. Paradigm change for the sport.
— Grant Wahl (@GrantWahl) June 29, 2014
« Sérieusement, il faut arrêter de sur-intellectualiser tous nos processus naturels qui ont des millions d’années d’évolution. En d’autres termes, il suffit de faire confiance à son corps et à ce qu’il nous réclame. Inutile de boire avant d’avoir soif, qu’il s’agisse d’eau ou de boissons vitaminées ! » , corrobore Flavio Bonnet, kinésithérapeute sportif. De quoi ralentir le lever de coude. Et de faire comme Louis van Gaal, qui exploitait la pause hydratation aussi bien pour rafraîchir ses poulains que pour les recadrer tactiquement. Place au plan B.
Par Florian Cadu
Propos de BD et de FB recueillis par FC.