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Un destin portugais

Par Alexandre Pedro
4 minutes
Un destin portugais

La Selecção est en finale d’un championnat d’Europe qu’elle aurait pu quitter dès le premier tour et où elle n’a jamais vraiment brillé. Alors on peut critiquer, regretter qu’une autre sélection ne soit pas à sa place, on peut aussi juste être content pour tout un pays. Et si le Portugal avait enfin rendez-vous avec son destin dimanche à Saint-Denis ?

C’est l’histoire d’un petit pays périphérique de l’Ouest de l’Europe de 10 millions d’habitants, un pays dont les journaux et les chaînes d’infos ne parlent pas souvent. C’est vrai, il suffit de demander au correspondant en Espagne d’y faire un tour si jamais un événement notable se passe. Pas de conflits, pas de terrorisme, un président dont on ne connaît même pas le nom (mais comme il paraît que le vrai patron est le Premier ministre…), quelques cinéastes pour des salles d’Odéon et Saint-Germain, des belles plages, un fiscalité sympa pour les retraités, une nourriture agréable et bon marché si on tolère bien l’huile d’olive, des ponts qui portent le nom de navigateurs, une capitale où tous vos amis sont allés forcément l’été dernier ( « Quoi, tu n’es pas allé à Lisbonne ? Mais c’est beaucoup plus authentique que Barcelone. » ) C’est l’histoire d’un pays où une génération a découvert la crise, le chômage et dont un ancien Premier ministre (de centre droite) a dit d’aller voir si l’herbe était plus verte ailleurs. Alors, comme il ne peut plus découvrir de terres inconnues, conquérir la moitié du monde, qu’il n’a plus d’œillet à mettre au bout des fusils de ses soldats, ce pays a trouvé le foot pour faire parler de lui, pour se raconter une histoire à lui-même.

Première défaite contre l’Albanie, à la maison

Ce jeudi matin, il s’est même réveillé dans la peau du premier finaliste de ce championnat d’Europe. À vrai dire, il se pince un peu pour y croire. L’optimisme n’a jamais été son point fort, il a même inventé ce joli mot fourre-tout de saudade pour expliquer cet attrait irrésistible pour la mélancolie. Que pouvait-il attendre d’une équipe qui débute ses éliminatoires par une défaite à la maison contre l’Albanie ? Au moins, il a eu la bonne idée de changer de sélectionneur. Avec ses valises sous les yeux et ses airs de personnage résigné à sortir d’un roman de Lobo-Antunes, ce Fernando Santos attire la confiance. On sent l’homme revenu de toutes les illusions, mais un type fiable, un peu roublard sur les bords, et dont le petit pays se dit qu’il doit forcément avoir un plan en tête sans en être trop sûr non plus. Parce qu’une équipe qui en prend trois contre la Hongrie, glisse dans la bonne partie de tableau parce qu’un grand blond islandais marque à la dernière seconde contre l’Autriche, attend la demi-finale pour gagner son premier match dans le temps réglementaire, change toute sa défense, son milieu et se retrouve à 90 ou 120 minutes de remporter cet Euro… Oui, cette équipe doit avoir ce qu’on appelle un destin.

Le destin, c’est ce truc très con qui vous fait battre le Paraguay sur un but en or, être repêché au dernier moment parce que l’ONU a décrété un embargo sur le pays qui a terminé devant vous lors des éliminatoires, qui fait que votre meilleur joueur rate le seul penalty de sa carrière en finale dans un stade de base-ball, qui vous fait perdre une finale d’un championnat d’Europe à cause d’un but d’un attaquant dont l’errance de la suite de sa carrière l’amènera à Arles-Avignon. Le destin est parfois plus fort que vos insuffisances, que l’ennui que peuvent vous procurer des personnes chargées d’entretenir un flot de paroles ininterrompues lors d’un duplex depuis Clairefontaine ou la fameuse arrivée du bus des Bleus (importante, l’arrivée du bus). Ce petit pays aimerait bien que son équipe pratique un football plus chatoyant, moins court en bouche. Alors il encaisse les critiques, il se vexe parfois, il peut virer un peu parano, mais il aurait tort. L’essentiel est ailleurs. L’essentiel n’est pas de savoir si le spectacle pratiqué est du goût des spécialistes, des causeurs, si Cristiano devrait laisser un coup franc au petit Guerreiro, si cette sélection est dégueulasse, ennuyeuse, chanceuse et si Platini a foutu un beau bordel avec son Euro à 24. L’essentiel réside dans l’émotion provoquée par une victoire aussi à l’arrachée soit-elle, la joie suscitée par ce sport à la con où le meilleur ne gagne pas toujours à la fin. Le Portugal est en finale de l’Euro 2016 et que cela plaise ou non, c’est aussi une belle histoire.

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Par Alexandre Pedro

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